Depuis le 1er janvier 2024, tout arrêt de travail lié à l’arrêt naturel de grossesse (un terme plus approprié que celui de « fausse couche ») ne sera plus associé à une carence.

Cette mesure, votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 8 mars 2023, vise à soutenir les femmes qui traversent cette épreuve lourde sur les plans psychologique et physiologique, et leur permettra de prendre soin d’elles sans perte de salaire, la carence étant, sur tout arrêt de travail dans le privé, de trois jours. C’est donc l’Assurance maladie qui prendra en charge l’indemnisation dès le premier jour d’arrêt.

À qui s’adresse cette mesure ?

Un quart des grossesses s’arrête prématurément pendant le premier trimestre de la grossesse. Cela représente, en France, 200 000 arrêts naturels de grossesse (fausses couches) chaque année. En France, pour une fausse couche survenant avant 22 semaines d’aménorrhée (période à laquelle remontent les dernières menstruations de la femme qui porte l’embryon), l’employée peut se voir prescrire un arrêt maladie par son médecin. Après la 22e semaine, le congé maternité est octroyé.

Cette mesure s’adresse aux salariées, aux artisanes, aux commerçantes et aux professionnelles libérales, sous réserve des conditions d’ouverture de droit.

Notons que la convention collective Syntec, mais aussi toutes les entreprises signataires du Parental Challenge, offrent également trois jours aux conjoints et conjointes, afin qu’elles et eux aussi puissent se remettre de cet événement difficile.

Peurs des discriminations et de la fin de la grossesse : les raisons du silence

L’événement passe d’autant plus inaperçu aux yeux de la société qu’il a lieu durant ce trimestre tenu secret par la majorité des futurs parents, qui attendent d’être sûrs que l’embryon soit viable et craignent les discriminations : rappelons que selon le 10e baromètre de la perception des discriminations dans l'emploi, publié par le Défenseur des droits, la grossesse et la maternité constituent le troisième motif de discrimination cité par les femmes.

Quelques chiffres : 

  • 1 femme sur 10 cache sa grossesse le plus longtemps possible par crainte de la réaction de son employeur (sondage ODOXA pour PremUp, Femme enceinte et environnement, avril 2015).
  • Près d’un tiers des femmes ont eu le sentiment que l’annonce de leur grossesse a dérangé leur manager (étude menée auprès de 37 000 salariés par le CSEP et l’Institut BVA en 2018).
  • 1 femme sur 4 a vécu une discrimination ou un harcèlement au travail en raison d’une grossesse ou de sa maternité (Défenseur des Droits, Baromètre 2020 de la perception des discriminations dans l’emploi). 
  • Les femmes actives de 18 à 44 ans qui ont été enceintes ou mères d’un enfant en bas âge ont été deux fois plus la cible de discriminations que les autres (Défenseur des Droits, Baromètre 2017 de la perception des discriminations dans l’emploi).

Comment instaurer un environnement safe pour les personnes qui traversent un arrêt naturel de grossesse ?

  • Écrire un mémo par mail informant l’ensemble des équipes de ce changement de loi, et rappelant que le médecin doit pouvoir prescrire un arrêt de travail en cas d’interruption spontanée de grossesse (fausse couche).
  • Considérer que tout le monde est potentiellement concerné, même au sein d’entreprises dont les effectifs sont jeunes et sans enfants.
  • Rappeler que le process est confidentiel : aucune confession n’est à faire à quiconque, et les ressources humaines, qui recevront l’arrêt de travail, sont par nature soumises au devoir de confidentialité.
  • Rappeler que l’entreprise est engagée contre les discriminations, et que la loi est très claire sur les discriminations faites aux femmes en raison de leur grossesse ou désir d’enfant. Rien ne va sans dire sur cette question qui demeure un fléau.
  • Rappeler les coordonnées du médecin/psychologue du travail en expliquant que leur assistance est également là pour accompagner ces moments.
  • Rappeler qu’il existe des associations qui organisent des groupes de parole et fils d’écoute (cette ressource est très peu connue, y compris des médecins : vous pouvez vous en faire le relai).

Si une personne (femme ou homme) se confie sur l’arrêt de grossesse qu’elle ou il vient de traverser :

  • Exprimer de la sollicitude sans jamais inciter à aller de l’avant : on est dans le temps du deuil, absolument pas dans la projection de l’après. C’est aux personnes concernées (qui se projetaient dans la parentalité) qu’il revient de savoir quand le deuil est fait.

Si vous voulez aller plus loin :

  • Donner également trois jours au coparent, qui traverse aussi le deuil d’une parentalité projetée, et a lieu de s’inquiéter pour la santé de sa conjointe.
  • Proposer le télétravail les jours qui suivent le congé (aussi bien à la femme qui était enceinte qu’au coparent).
  • Élargir ce droit à toutes les interruptions de grossesse, y compris volontaires : les symptômes sont identiques, et certaines entreprises s’y engagent d’ores et déjà.

Note de l’autrice :

Je suis depuis 2021 engagée sur ces questions, ayant moi-même traversé un arrêt naturel de grossesse. Comme pour beaucoup de couples ou femmes, il faisait suite à un long chemin pour obtenir, enfin, un test positif tant espéré. Après avoir découvert que cet espoir était fini, je me suis aperçue du vide qui existait aussi bien en matière de discours sociétal qu’en accompagnement médical et en dispositif RH. Une fois de nouveau enceinte, j’ai écrit un livre, Trois mois sous silence (Payot, 2021), qui expliquait le travail à mener pour cesser de maintenir les femmes et les couples dans l’extrême solitude et inquiétude du premier trimestre de grossesse, où se mêlent symptômes physiques particulièrement invalidants, inquiétude pour la fausse couche et peur des discriminations, le tout dans un silence quasi imposé par une tradition sociétale qui, selon moi, préfère regarder sur le côté tant que la procréation n’est pas certifiée valide.

J’ai ensuite entamé un travail militant, en cofondant la charte du Parental Challenge et en incitant les entreprises à inscrire dans leurs cadres une politique RH réellement inclusive vis-à-vis des salariées et salariés, à chaque étape – y compris celle très longue du désir d’enfant (PMA et FIV, mais aussi adoptions, étant de plus en plus fréquentes) – de leur parentalité. Parmi les DRH avec lesquelles j’ai été en lien, nombreuses sont celles qui, alors même qu’elles avaient vécu des arrêts naturels de grossesse, se sont aperçues qu’elles n’y avaient pas pensé pour leurs entreprises, alors même qu’elles avaient établi des cadres déjà innovants pour accompagner la parentalité. Le tabou était trop fort, même pour elles : cela ne devait pas exister. Enfin, en 2022, j’ai créé un collectif, Fausse couche, vrai vécu, qui a contribué à parler davantage de ce que traversent les personnes qui désirent devenir parents. En parallèle, le travail parlementaire n’a pas été simple : il a fallu deux passages, à un an d’écart, pour que le sort des individus qui traversent une fausse couche soit pensé et reconnu.

Cette loi est une victoire, un grand pas vers la reconnaissance et vers l’humanisation du travail.

Le tout est d’y accoler une politique non discriminatoire très claire : je ne compte pas les femmes qui m’ont contactée pour me dire qu’elles avaient été discriminées parce que leur entreprise (dont nombre étaient certifiées B-Corp, publiant de beaux messages chaque 8 mars...) avait détecté qu’elles venaient de vivre un arrêt de grossesse et donc, désiraient avoir un enfant.

Judith Aquien

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