Bpifrance renforce ses missions de soutien à l’export des entreprises françaises. Une nécessité pour prêter main-forte aux entrepreneurs mais aussi à l’économie hexagonale dans son ensemble, qui souffre d’un déficit commercial abyssal. Retour sur ces défis avec le patron de la banque publique.
Nicolas Dufourcq : 'Il faut faire tomber le délit de faciès sur la marque France"
Décideurs. Quels sont les freins à l’internationalisation des entreprises françaises ?
Nicolas Dufourcq. L’internationalisation, si elle est coûteuse, est aussi un puissant levier de croissance. Elle est dorénavant bien financée. En réalité, les freins sont essentiellement internes aux entreprises. Il faut qu’elles se projettent. Une entreprise qui a décidé de foncer à l’international, qui monte un plan stratégique, qui refait son marketing stratégique de manière à se focaliser sur un nombre limité de produits, compétitifs et de qualité ; ces entreprises-là sont accompagnées par Bpifrance et Business France.
Vous ne constatez pas de freins culturels, comme la barrière de la langue par exemple ?
Je ne crois pas du tout à la problématique de la langue. D’abord parce que les Français ont fait énormément de progrès en anglais. Ensuite, quand vous regardez le drame que connaît le commerce extérieur britannique, vous comprenez que le sujet n’est pas la langue. Le sujet c’est plutôt l’ambition. Et, d’une certaine manière, le désir de conquête marchande.
Est-ce qu’il y a des secteurs où ce désir est plus présent ?
L’aéronautique et le luxe représentent l’essentiel du commerce extérieur français. On sait qu’il est terriblement déficitaire, donc le sujet consiste à amener à l’export tout le reste de l’économie hexagonale.
Certains pays sont-ils plus difficiles que d’autres à conquérir ?
Il y a des pays dans lesquels il est difficile d’exporter si on n’est pas présent physiquement, en particulier l’Allemagne, qui se montre extraordinairement patriote. On encourage beaucoup les PME françaises à y mener des acquisitions de manière à disposer d’une identité allemande qui rassure les acheteurs. C’est pareil pour la Suisse. Et puis il y a des pays plus naturellement ouverts comme l’Italie ou l’Espagne mais qui, en même temps, s’avèrent très compétitifs. Donc il faut vraiment avoir des belles choses à leur vendre, des produits différenciants et innovants.
"Il y a des pays dans lesquels il est difficile d'exporter si l'on est pas présent physiquement, en particulier l'Allemagne qui se montre extraordinairement patriote"
Comment Bpifrance a-t-elle structuré son aide à l’internationalisation des entreprises ?
Toute entreprise peut se tourner vers son chargé d’affaires international dans l’agence régionale Bpifrance de son territoire. Elle a la possibilité d’échanger avec lui des balles sur la construction de sa stratégie. Nous proposons ensuite des missions de conseil en stratégie internationale mais aussi des financements. Les entreprises bénéficient de subventions remboursables que l’on appelle l’assurance-prospection, de prêts "croissance internationale" (nous en délivrons pour environ 600 millions d’euros par an). Puis, quand elles reviennent avec des clients, on peut leur octroyer un crédit export. Quand elles veulent investir en capital à l’étranger, on leur garantit ce capital. Si elles ont besoin d’une caution sur des marchés ou d’une garantie de l’État sur les prêts bancaires de leurs clients à l’étranger (la garantie export), on s’en occupe. Nous disposons d’une très belle boîte à outils.
Avez-vous l’impression que vos solutions sont suffisamment utilisées par les entreprises ?
Oui, mais nous devons arriver maintenant à faire des crédits export beaucoup plus petits, de quelques centaines de milliers d’euros. Il convient aussi d’aller vers davantage de simplification autour de ces produits complexes. Pour les PME, il faut que l’on ait une instruction unique de l’ensemble du package crédit-export et assurance-crédit. Nous y travaillons avec l’État. C’est une démarche permanente de simplification.
Ces dispositifs ne sont pas adaptés aux TPE ?
Non, ils le sont pour les PME.
En janvier, vous annonciez accroître vos mesures de soutien à l’export. Qu’est-ce qui change ?
Le middle-office des prêts du Trésor. Qu’est-ce ? Le Trésor accorde aux entreprises des prêts – de longue durée et sur des montants importants – inscrits sur le bilan de l’État. Ensuite, il faut les mettre en place et les gérer dans la durée. C’est ce qu’on appelle le middle-office. Jusqu’ici Natixis s’en chargeait. Maintenant c’est à Bpifrance – qui s’occupait déjà de la garantie publique à l’export pour le compte de l’État – de reprendre le flambeau. Cela va permettre à l’État de proposer aux entreprises une seule entité, très professionnelle, très centrée sur le client. Il est très important de disposer d’un middle-office qui fonctionne bien car les directions financières les appellent constamment, que ce soit sur la mise en place du crédit ou sur les événements de gestion. Le dialogue est permanent.
Est-ce que vous travaillez sur la gouvernance des entreprises qui souhaitent croître à l’international ? Plus globalement, les sujets non financiers sont-ils pris en compte par Bpifrance ?
La gouvernance fait partie des conseils que nous pouvons leur donner via les consultants que nous référençons. Bpifrance a également créé des Accélérateurs internationaux qui sont des écoles de Bpifrance qui marchent très bien avec des promotions de 20 entrepreneurs en phase d’accélération à l’étranger qui travaillent ensemble pendant dix-huit mois voire deux ans. Période durant lesquelles ils bénéficient de 20 à 30 jours de conseils, de mentorat, d’une semaine dans une grande école ou encore parfois d’une mission d’immersion à l’étranger. On leur fait rencontrer quantité de gens. À cette occasion-là, la question de l’organisation de la PME autour de l’export se pose. Ces Accélérateurs internationaux (franco-africain, franco-italien et Accélérateurs internationaux "de projection") se révèlent très efficaces. Pour moi, ils se trouvent être la vraie bonne solution. Leur impact prend du temps car on ne peut pas faire des promotions de 100 personnes. C’est un programme que nous avons monté avec Business France et qui bénéficie chaque année à une cinquantaine d’entrepreneurs. Nous avons l’ambition de doubler dans l’année à venir.
"Le déficit commercial, c'est la richesse nationale qui fuit"
Les PME françaises sont-elles touchées par la montée du protectionnisme dans différents pays ?
C’est trop tôt pour le dire. Mais je n’ai pas de verbatim d’entrepreneurs me disant que le monde a changé ou qu’ils sont bloqués par le protectionnisme des autres.
À quel point l’internationalisation des entreprises françaises s’avère importante pour l’économie hexagonale ?
Notre déficit commercial avoisine 160 milliards d’euros. Quand vous voyez qu’en 2021 l’Allemagne a exporté 100 milliards d’euros vers la France et 105 milliards vers la Chine, vous vous rendez compte du drame que cela représente. D’autant que ce déficit commercial n’est maintenant plus complètement annulé par un excédent de balance des services. C’est la richesse nationale française qui fuit. Il est donc indispensable d’aller chercher des marchés extérieurs, de vendre nos produits. C’est aussi une manière pour nous de nous confronter à la concurrence mondiale et d’avoir la certitude de rester compétitifs. Si vous n’êtes pas exposés à l’international, vous ne pouvez pas être certains que vos produits soient bons. Vous ne recrutez pas non plus les meilleurs. Les jeunes Français veulent des carrières internationales. C’est un indispensable pour la marque employeur.
Et la marque France, qu’en est-il ?
Les sujets que nous venons d’évoquer sont des sujets essentiellement industriels. D’où la création du label French Fab. Ce n’est pas un hasard si on a fait le choix d’un anglicisme : il s’agit de la marque de projection à l’extérieur. Tous les salons de Business France à l’étranger se nomment French Fab. Il faut faire tomber le délit de faciès sur la marque France. Pour les étrangers, la France, c’est le luxe, le vin et le tourisme. Ce n’est pas la machine car nous avons perdu beaucoup de parts de marché. Notre secteur de la machine-outil a pratiquement disparu et, par ailleurs, nos concurrents ne se sont pas privés de faire savoir que l’industrie française était non compétitive et en recul. Nos concurrents allemands, suisses, italiens, suédois et toute l’Europe de l’Est et du Nord se montrent féroces.
Un mot pour la fin ?
Il faut développer la volonté de puissance de nos exportateurs. C’est vrai qu’en ce moment un patron de PME doit relever des challenges importants : la digitalisation, la décarbonation, l’innovation et en même temps la projection export. Le tout en étant entouré d’états-majors relativement limités. Les premiers pas sont difficiles. C’est pour cela qu’ils ont besoin d’être beaucoup encouragés et accompagnés. Toutefois, la réussite est possible. Quand cela fonctionne, c’est un plaisir immense pour l’entrepreneur. Notre rôle à nous, chez Bpifrance, consiste à leur dire que ce n’est pas négociable mais indispensable.
Propos recueillis par Olivia Vignaud