Le mentorat inter-entreprises, une arme pour briser le plafond de verre
Tribune de Martine Liautaud, fondatrice de la Women Initiative Foundation
La notion de "plafond de verre", qui désigne l’impossibilité pour certaines catégories de personnes (notamment les femmes) d’accéder à certaines fonctions, responsabilités ou rémunérations en raison de discriminations tacites et systémiques, est désormais bien connue et documentée. Pour le traverser, il n’existe que deux possibilités : soit attendre une rare ouverture dans cette trame invisible, tissée de préjugés, de confraternités occultes et de calculs politiques ; soit se donner soi-même l’impulsion suffisante pour la déchirer. Ce n’est pas impossible. Beaucoup de femmes l’ont fait. Mais infiniment plus nombreuses sont celles qui, par manque de confiance en elles, d’ambition, voire d’imagination, ne provoquent pas leur chance. Pour aider ces femmes à se défaire des stéréotypes qu’elles ont intériorisés, à sortir du piège pernicieux de l’auto-dépréciation et à rassembler toutes leurs forces pour briser par elles-mêmes le plafond de verre, un outil ne cesse de démontrer son efficacité : le mentorat.
Transmission désintéressée
Terme parfois galvaudé, le mentorat est une transmission désintéressée d’expérience entre un mentor, en général un professionnel à l’automne de sa carrière, et son "mentee", qui n’en est, lui, qu’au printemps. Pour le mentor bénévole, toute la gratification réside dans la satisfaction de partager son savoir, de bénéficier d’un regain d’énergie et d’enthousiasme et de se confronter à des idées nouvelles et stimulantes. Lorsque l’alchimie opère, la personne qui bénéficie de cet accompagnement sur mesure n’hésite pas à s’ouvrir sans détour de ses difficultés personnelles et professionnelles (souvent étroitement liées) à son mentor qui, pour sa part, ne ménage pas ses efforts pour l’aider à les surmonter. Il en résulte une relation mutuellement enrichissante de grande proximité et d’estime réciproque.
Souvent, le mentorat s’adresse soit à de jeunes entrepreneurs et entrepreneuses auxquels leur bref parcours académique et professionnel n’a pas fourni tout le bagage intellectuel et personnel nécessaire pour concrétiser leurs ambitions, soit et surtout, aux entrepreneures qui auraient besoin de prendre du recul après quelques années d’expérience et de valider leur stratégie de développement international. Mais il intéresse aussi de plus en plus les entreprises qui, en dépit de leurs efforts en faveur de la diversité, constatent la persistance de plafonds de verre au sein de leur organisation. Alors que les grands groupes se disputent les meilleurs talents, proposer des programmes de mentorat est assurément un facteur d’attractivité pour un employeur.
Objectif : libérer un formidable potentiel inexploité
C’est surtout le moyen de libérer à leur profit un formidable potentiel humain inexploité. Grâce au mentorat, l’entreprise peut réveiller des capacités enfouies sous la résignation, redonner un élan à des personnalités démobilisées et faire s’épanouir des profils originaux, capables de lui apporter d’autres idées et d’autres points de vue, et ainsi se renforcer considérablement sans même avoir à recruter. Enfin, ces exemples individuels ont aussi vocation à dynamiser toute l’organisation en signalant la fin du statu quo tant à ceux qui en pâtissaient qu’à ceux qui en bénéficiaient.
La clé du succès
Pour que ceci se réalise, la clé réside avant tout dans la complémentarité personnelle et professionnelle entre mentor et "mentee". Cependant, les problématiques rencontrées par une dirigeante de start-up ne sont pas celles d’une jeune cadre au sein d’un grand groupe. C’est pourquoi le mentorat inter-entreprises est le plus indiqué dans ce dernier cas : issu du même type d’organisation, dont il percé les codes et les mécanismes, le mentor peut aider par ses conseils et son expérience le mentee à franchir un palier, par exemple en matière de communication, de posture managériale ou de capacité à régler les conflits. En revanche, il est important que les deux entreprises soient issues de secteurs d’activité très différents, ceci pour ne pas risquer de voir d’éventuelles questions techniques, personnelles, ou même de possibles conflits d’intérêt, polluer la relation.
Bien choisir le duo nécessite un art de l’humain qui ne peut se pratiquer que dégagé de toute considération pécuniaire. Aucune des parties, en effet, ne doit estimer qu’elle doit « en avoir pour son argent » et mettre ce type de pression sur l’intermédiaire qui instaure la rencontre. Comme le mentorat lui-même, son organisation doit être neutre et bénévole. Au moment de constituer le binôme, le seul objectif doit être de trouver le subtil équilibre entre les similitudes qui rapprochent et les différences qui enrichissent. Et les entreprises doivent soutenir la démarche en tant que donatrices, au titre de leur politique RSE, et non en tant que clientes, dans le cadre d’un projet RH.
En ces temps de mutations profondes que connaît le monde du travail, cela peut-être aussi une façon de créer du lien avec l’entreprise, hors de toute ligne hiérarchique, tout en développant l’autonomie du mentee. Enfin, le mentorat n’est pas une fin en soi. C’est un outil au service du développement et de l’épanouissement des individus pour qu’ils puissent donner toute la mesure de leurs capacités. Il est donc très pertinent de l’inscrire dans une démarche plus large incluant également des masterclass, des modules d’e-learning, des sessions de networking, des rencontres… Autant d’opportunités dont l’addition permet aux mentees de se révéler à elles-mêmes et de prendre conscience qu’elles ont en elles la force de briser le plafond de verre.