Avec la fin de l’année 2022, les chiffres du marché du M&A sont tombés. Un constat s’impose, ils sont mauvais, en particulier pour le large-cap. Les méga deals, valorisés entre 1 et 5 milliards d’euros ont reculé de – 43 %, c’est plus que la moyenne de – 37 % d’après une étude Refinitiv. Pourtant, certains secteurs se sont distingués et récemment des dossiers comme April ou Trescal ont abouti en France nonobstant un marché du financement complexe. Comment expliquer ces cas de résilience ?
M&A, où sont passées les opérations large-cap ?
Inflation, hausse des taux, guerre en Ukraine et explosion du prix de l’énergie ont ralenti le rythme des fusions-acquisitions. L’environnement macroéconomique du second semestre 2022 a été fatal notamment pour le large-cap, et ce, partout dans le monde. Le coup de massue est venu du financement. Le durcissement des conditions imposées par les banques, associé à de fortes fluctuations des valorisations, en particulier dans la tech, secteur qui animait le M&A depuis plusieurs années, a limité les montants des transactions. Il est de plus en plus difficile d’aligner acheteurs et vendeurs pour conclure un dossier, les premiers devant faire face à un durcissement des conditions de financement – dû à la hausse des taux et aux garanties exigées par les banques pour palier une éventuelle récession – et les seconds, échaudés par la concrétisation d’une opération dans un contexte de tendance baissière.
"Le nombre de transactions effectuées par les fonds de private equity en 2022 a augmenté de 25%."
La mission de sauvetage du private equity
Les opérations qui se distinguent sont celles qui font appel aux fonds de private equity, source de financement qui laisse la part belle aux banques depuis quelques années. D’après une étude PwC, le nombre de transactions effectuées par les fonds de private equity en 2022 a augmenté de 25%, faisant d’eux un moteur pour le marché du M&A. Leur part représente aujourd’hui près de la moitié des opérations. Thomas Rajzbaum, Managing Director de EQT Infrastructure en charge de l’investissement dans le groupe français Trescal via un LBO de 1,4 milliard d’euros en novembre dernier, explique : "En ce moment, il est plus difficile de financer les deals. Nous avons eu recours à des préteurs directs qui ont été séduit par la résilience de Trescal mais aujourd’hui ils sont très sollicités et d’autant plus sélectifs". Une sélectivité accrue également au sein des fonds. "En comité d’investissement nous sommes challengés sur ce qui se passe en cas de forte récession et comment cela va influencer l’actif. Nous recherchons des business typiquement comme Trescal aux caractéristiques très résilientes qui font que si la production baisse de 15 à 20 % le chiffre d’affaires ne sera pas impacté, car la calibration [secteur sur lequel ils sont leaders. NDLR] est un service indispensable qui doit être réalisée à intervalles réguliers". Solliciter le private equity pour contrer la raréfaction du financement bancaire ne suffit pas, la potentialité de résilience des actifs devient un facteur indispensable pour concrétiser une opération sur le large-cap.
"Une forte diversité géographique, apporte beaucoup de confort aux investisseurs pour se protéger contre une éventuelle récession en Europe en 2023."
À la recherche de la résilience
Certains secteurs se distinguent par leur résilience et concentrent plus d’opérations. C’est le cas de l’assurance qui d’après un rapport de FTI consulting a vu le nombre de transactions augmenter en 2022, avec 292 deals contre 280 en 2021 en Europe. Une bonne santé illustrée par l’opération de KKR et April, groupe français de courtage en assurance acheté par le fonds américain pour 2,4 milliards d’euros en novembre 2022. Un succès du large-cap français qu’Éric Maumy, CEO d’April justifie notamment par le dynamisme du secteur. "Le courtage en assurance a depuis quelques années, les faveurs des fonds car c’est une activité aux revenus récurrents. Même dans un contexte économique difficile, les gens continuent de s’assurer, voire s’assurent davantage, ce fut d’ailleurs le cas pendant la crise du Covid. […] J'espère que le deal que nous venons de sceller va inspirer d'autres acteurs du marché".
Une résilience des actifs qui repose aussi sur une diversification géographique, dans le cas de Trescal, expert mondial indépendant des services d'étalonnage "il s’agit d’un business international. Une forte diversité géographique, apporte beaucoup de confort aux investisseurs pour se protéger contre une éventuelle récession en Europe en 2023", précise Thomas Rajzbaum. Une résilience qu’il caractérise aussi par un potentiel de résistance à l’inflation. "Des entreprises comme Trescal fournissent un service sur lequel il est possible de répercuter des hausses de prix, car il est essentiel et rendu obligatoire par des normes. Il représente aussi un faible pourcentage de la base de coût, il est ainsi plus facile de faire passer une hausse de prix à des clients pour ce type d’activité".
"Si les transactions sont plus rares sur le large cap, le mid et small cap restent de vastes sources d’opportunités notamment à l’international."
Le salut viendra-t-il des opérations cross border ?
Il n’y a pourtant pas de quoi être si pessimiste. D’après l’étude CMS European M&A Outlook 2023, 88 % des personnes interrogées envisagent de réaliser des opérations de fusions-acquisitions en 2023. Si les transactions sont plus rares sur le large-cap, le mid et small-cap restent de vastes sources d’opportunités notamment à l’international. Tanguy Lesselin, CEO et co-fondateur de Finquest, spécialiste de l’origination d’opérations de M&A, témoigne "nous avions observé le début de ralentissement dès le premier trimestre 2022. Aujourd’hui les valorisations des petites et moyennes entreprises sont relativement moins impactées par la volatilité des marchés publics. Avec l’internationalisation du M&A, il ne sera plus anecdotique pour ces acteurs de réaliser des transactions cross border". En 2023, il faudra voir plus petit et regarder vers l’horizon pour espérer un marché plus dynamique.
Céline Toni