Face à des signalements de souffrance au travail et de faits de harcèlement moral ou sexuel, l’enquête interne est devenue incontournable pour les employeurs. Ceux-ci se doivent de réagir rapidement, afin de traiter la situation dénoncée et de prendre les mesures adaptées. Benoît Cazin, avocat associé chez Spring Legal, détaille les enjeux et les étapes d’une enquête interne.

Décideurs. Les entreprises ont de plus en plus souvent recours aux enquêtes internes. Comment s’explique ce phénomène ?

Benoît Cazin. Les enquêtes internes ont le plus souvent pour origine des dénonciations de situations de souffrance au travail, de harcèlement sexuel ou moral, ou de discriminations. Ces signalements proviennent directement des salariés concernés ou de leurs avocats. Les alertes peuvent également être lancées par le CSE. Quel que soit le mode par lequel une plainte est formulée, il est dans l’intérêt de l’employeur de la prendre au sérieux et d’appliquer les mesures appropriées. L’essor récent des enquêtes internes s’explique par le fait qu’un employeur qui ne mène pas d’enquête en cas de plainte pour de tels faits de la part d’un salarié, encourt une condamnation au titre d’un manquement à l’obligation de sécurité.

"L’essor récent des enquêtes internes s’explique par le fait qu’un employeur qui ne mène pas d’enquête en cas de plainte est presque systématiquement condamné"

Les salariés connaissent désormais cette obligation mise à la charge de leur employeur et sollicitent la condamnation de ce dernier en cas de carence. L’expérience montre d’ailleurs que les collaborateurs qui entendent négocier la rupture amiable de leur contrat de travail peuvent instrumentaliser des alertes, par exemple pour harcèlement, afin de prendre à défaut les employeurs réticents à mettre en place une enquête.

Dans cette situation, nous conseillons vivement aux DRH de suspendre la négociation en vue de l’éventuel départ du salarié et de mettre en œuvre une enquête interne, qui permet soit de confirmer le bien-­fondé des accusations du salarié et alors de prendre les mesures qui s’imposent – mise à l’écart du salarié dont le comportement a été dénoncé, formation management… –, soit d’établir que les accusations ont été formulées de manière excessive, voire de mauvaise foi.

Dans ces deux cas, l’employeur a, en ne restant pas indifférent à la situation dénoncée mais au contraire en la traitant, rempli l’obligation mise à sa charge, et peut reprendre la négociation de départ sur une base plus sereine. C’est pourquoi il est toujours dans l’intérêt des DRH de privilégier les enquêtes internes. Les DRH peuvent être réservés sur la mise en place de ce dispositif qui semble lourd et chronophage. Cela étant, la conduite de l’enquête peut être sous-traitée à des prestataires, notamment à des avocats enquêteurs.

L’employeur est-il légalement tenu de diligenter de telles enquêtes ?

Aucun texte de loi n’oblige expressément l’employeur à mener une enquête quand une alerte est émise par un salarié. Les juges condamnent toutefois pour manquement à l’obligation de sécurité et de prévention, l’employeur qui n’a pas répondu à une alerte de l’un de ses salariés par la mise en place d’une enquête. Il en est d’ailleurs ainsi même si les juges estiment que les faits invoqués par le salarié dans le cadre du contentieux ne permettent pas d’établir le bien-fondé de son accusation.

Relevons toutefois la position plus nuancée que la Cour de cassation a dernièrement adoptée dans l’arrêt n° 23-13.975 du 12 juin 2024, en jugeant que, malgré l’absence d’enquête interne consécutive à un signalement de harcèlement, l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité car il avait pris toutes les autres mesures possibles pour préserver la sécurité d’une salariée.

Comment accompagnez-vous les DRH ?

Notre rôle est d’abord de rappeler aux DRH l’importance et les avantages des enquêtes internes, et de les conseiller lors des différentes étapes – information ou non du CSE ; composition de la commission d’enquête ; éventuelle invitation de la médecine du travail et de l’inspection du travail aux auditions en qualité d’observateurs ; gestion de la personne qui a formulé l’alerte et celle qui est mise en cause, notamment par des mesures temporaires de repositionnement ou de dispense d’activité ; établissement des questionnaires ; rédaction des procès-verbaux des auditions, lesquels sont soumis ou non à la validation des personnes auditionnées ; garantie de confidentialité ou de discrétion concernant les déclarations des personnes auditionnées ; délais de réalisation, etc. Les DRH qui doivent à l’issue du processus prendre les mesures adaptées au regard de la situation révélée par le rapport d’enquête peuvent préférer préserver leur objectivité et sous-traiter ces enquêtes internes. Nous réalisons ainsi, en qualité d’avocats enquêteurs, des enquêtes et notamment les auditions. 

"La présence du médecin du travail ou de l’inspection du travail en tant qu’observateurs montre que le dispositif est élaboré de manière transparente et objective" 

Quel premier bilan peut-on faire de la loi Waserman du 21 mars 2022, instaurée afin d’améliorer la protection des lanceurs d’alerte ?

D’abord, les salariés peuvent inscrire leur dénonciation d’une situation de harcèlement moral ou sexuel dans le cadre du dispositif d’alerte issue de la loi Sapin ainsi que de la loi Waserman qui a considérablement assoupli la définition du lanceur d’alerte. Il s’agit en effet de délits ou, à tout le moins, d’une violation de la loi. Les salariés sont, en pratique et dans ce cadre, de plus en plus nombreux à réclamer la protection du statut de lanceur d’alerte. En pratique, la loi Waserman est venue renforcer les modalités de recueil du signalement et la manière dont les informations recueillies sont traitées. Rappelons que si l’enquête est conduite dans ce cadre, l’obligation de confidentialité s’impose aux personnes concernées. Autre conséquence de la loi Waserman : la confrontation des DRH à des dénonciations anonymes que ces derniers doivent traiter.

Entretien avec Benoît Cazin, avocat associé chez Spring Legal

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