Vice-présidente des affaires juridiques et publiques, coresponsable du comité impact et membre du comité exécutif de la banque en ligne Qonto, Alexia Delahousse revient sur les expérimentations en matière d’IA génératives menées au sein des équipes.
Alexia Delahousse (Qonto) : "L’innovation fait partie de l’ADN des équipes"
Décideurs RH. Comment les équipes de Qonto utilisent-elles l’intelligence artificielle (IA) ?
Alexia Delahousse. À l’échelle individuelle, chaque salarié de Qonto peut manier des outils d’intelligence artificielle (IA) dans le cadre de ses missions. C’est pour cela que nous avons conclu un partenariat avec Dust, une start-up française qui met à disposition les grands LLMs comme ChatGPT, Mistral ou Claude. Elle propose aussi la création d’assistants personnels, des chatbots conçus pour répondre à un but spécifique et qui ont accès à de la documentation interne. Chacun est libre de choisir l’usage qu’il en fait, en choisissant le LLM qui lui convient le mieux, pour la rédaction d’un email ou d’un compte rendu. La direction générale encourage l’utilisation de cet outil, qui fait gagner aux collaborateurs trente minutes de travail par jour. Cela fonctionne bien, puisque la majorité d’entre eux s’est inscrite sur la plateforme de Dust. La direction juridique est d’ailleurs l’une des équipes qui a le plus adopté l’IA générative pour améliorer son efficacité : 80 % des juristes utilisent l’IA générative de façon hebdomadaire. La formation des équipes constitue un autre levier important, et les managers en sont aujourd’hui responsables. J’ai notamment proposé une formation à l’équipe juridique de Qonto, lors d’un séminaire, afin de démystifier l’usage de l’IA et de tester l’outil.
À l’échelle de l’entreprise, nous faisons appel à l’IA lors de divers processus pour gagner en efficacité. L’équipe recrutement par exemple y a recours pour présélectionner des CV. Nous restons très vigilants quant aux biais de sélection qui peuvent en découler, et l’équipe revoit toujours le premier tri de CV opéré par notre outil pour s’assurer de la diversité des profils retenus.
"80 % des juristes de Qonto utilisent l’IA générative de façon hebdomadaire"
Notre partenariat avec Mistral nous permet d’optimiser la gestion de la relation client. En intégrant le modèle de langage Mistral dans notre outil de Chat Box, nous espérons passer de 25 % de réponses satisfaisantes sans avoir à faire appel à un humain à 50 %.
Sans oublier l’intégration de fonctionnalités d’IA au sein de notre produit, afin d’assurer une meilleure expérience Qonto à nos clients. Nous sommes alors, en tant que créateurs d’IA génératives, soumis aux règlements qui s’appliquent en la matière, tels que le règlement européen de l’IA, dont l’entrée en vigueur progressive est prévue à partir du 1er août 2024.
Notre rôle, au sein de la direction juridique, est également de nous assurer que l’utilisation de l’IA est sécurisée. Nous avons récemment créé un assistant IA qui revoit les contrats à faible valeur ajoutée, désormais intégré à notre logiciel de gestion des contrats, afin d’optimiser le processus et de faire gagner du temps à la direction juridique ainsi qu’aux équipes opérationnelles. Si les résultats demeurent concluants, nous augmenterons progressivement la valeur minimale des contrats qu’il gère. Les critères d’application de l’IA sont assez stricts, ce qui nous assure que la balance bénéfices-risques reste favorable.
Quelles mesures ont été instaurées afin de protéger la confidentialité des données ?
Nous avons identifié trois risques liés à l’IA : la protection des données personnelles, la propriété intellectuelle et la confidentialité des informations de l’entreprise.
Nous avons par ailleurs catégorisé les données personnelles selon les risques auxquels elles sont exposées, et nous en avons conclu que certaines d’entre elles ne devaient jamais être transférées dans un outil d’IA. C’est notamment le cas des informations relatives aux salaires et à la santé. Pour le reste, il est possible de les télécharger, à condition de les anonymiser.
Quant à la propriété intellectuelle, nous recommandons fortement aux collaborateurs qui créent du code d’utiliser des domaines propriétaires, et non en open source, en déposant un nom de domaine auprès de l’Agence pour la protection des programmes (APP).
“Nous avons conscience que l’IA va modifier certains métiers et nous devons nous y adapter”
Enfin, nous avons de nombreuses discussions en interne concernant la confidentialité des informations propres à l’entreprise, utilisées notamment sur Dust. Notre contrat avec cette plateforme contient une clause robuste qui lui interdit d’utiliser les éléments transmis pour entraîner les modèles auxquels elle se connecte, données qui pourraient ensuite être mises à la disposition d’autres acteurs du secteur. Cette disposition ne doit pas pour autant nous empêcher de faire preuve d’une grande vigilance quand il s’agit de documents très sensibles. Et nous sensibilisons les équipes en ce sens grâce à des ateliers portant sur les risques de l’IA.
Quels sont les enjeux pour Qonto en ce qui concerne l’employabilité et le dialogue social ?
Nous avons conscience que l’IA va modifier certains métiers et nous devons nous y adapter. Nous évoluons toutefois dans un environnement où l’innovation fait partie de l’ADN des équipes, qui voient dans l’IA un moyen d’optimiser leur travail. Le service RH anticipe néanmoins ces bouleversements pour être en mesure de proposer de la mobilité interne si certains emplois devaient être amenés à disparaître.
Nous veillons par ailleurs à communiquer à l’ensemble des équipes au sujet de toutes les initiatives en matière d’IA, et à les impliquer. Aymeric Augustin, le Directeur technique de Qonto, porte cette mission avec le soutien de la direction générale. Sous son impulsion, des hackatons sont régulièrement organisés, afin que les participants puissent soumettre des projets. C’est ainsi qu’a émergé l’idée d’un outil utilisant l’intelligence artificielle pour concevoir des logos adaptés à l'identité de l’entreprise que notre client veut créer, et qui fait aujourd’hui partie de notre offre.
Propos recueillis par Caroline de Senneville