L’arrêt du 12 juin 2024 de la chambre sociale de la Cour de cassation (n° 23-13.975) apporte une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel de l’enquête interne en France.

L’enquête interne n’est pas obligatoire en cas de plainte pour harcèlement

Jusqu’alors la jurisprudence de la Cour de cassation, conforme à la recommandation de l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement moral et la violence au travail, semblait imposer l’enquête interne comme la réponse obligatoire à une plainte pour harcèlement moral. C’est en tout cas ainsi que la comprenaient bon nombre de commentateurs et de praticiens. La décision de juin 2024 vient clarifier la situation : la chambre sociale dément toute obligation de principe.

Une analyse in concreto des moyens mis en œuvre par l’employeur au titre de son obligation de sécurité de l’employeur doit permettre aux juges de s’assurer de son respect. Ainsi l’employeur alerté d’un possible harcèlement moral au sein de l’entreprise n’est nullement contraint de diligenter une enquête mais devra justifier avoir pris "les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité" de la ou du salarié à l’origine du signalement.

D’autres mesures peuvent être privilégiées

L’employeur est donc juge de l’opportunité d’une enquête interne et, si elle ne paraît pas nécessaire ou adaptée, devra prendre d’autres mesures de protection des salariés concernés.

Dans l’arrêt du 12 juin 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation s’appuie notamment sur les réponses écrites apportées par la direction à la salariée plaignante – outre la suspension de son contrat pour cause de maladie – pour en déduire que nonobstant l’absence d’enquête interne, l’employeur n’a pas manqué à son obligation de sécurité. En pratique, il est imaginable que d’autres mesures auraient pu être mises en place, telles que le recours à un psychologue du travail, la mise en place d’une médiation, l’aménagement des emplois du temps ou encore une modification temporaire de l’organigramme. L’employeur, qui a la tâche sensible de prévenir et remédier aux situations de souffrance au travail, reste ainsi libre des moyens pour y parvenir, sous réserve de pouvoir en justifier en cas de litige.

L’enquête interne reste à manier avec précaution et professionnalisme

Cette précision jurisprudentielle permettra de réserver l’organisation d’enquêtes internes aux cas d’espèce le justifiant pleinement et, peut-être, de mettre un terme à la démultiplication de ce dispositif non-régulé. En ce sens, la proposition de loi déposée par le député Gauvain en octobre 2021 semble aujourd’hui aux oubliettes. En tout état de cause, pour permettre la manifestation de la vérité et sécuriser les procédures qui pourraient en découler, la réalisation d’enquêtes internes doit répondre à une exigence de rigueur, de précision et d’impartialité, à laquelle doivent d’autant plus s’astreindre les avocats enquêteurs que la déontologie propre à la profession trouve évidemment à s’appliquer à ce domaine.

La jurisprudence a certes édicté des principes directeurs en réprimant par exemple le manque de discrétion, le fait d’enquêter uniquement à charge, de manière brutale et vexatoire, ou en mettant en cause de façon précipitée et humiliante le salarié visé par l’enquête. Mais les dysfonctionnements restent fréquents, d’autant plus que les droits de la défense ne sont pas assurés et le droit à l’assistance d’un avocat non garanti. Dans ce contexte, les enquêtes internes sont génératrices d’un stress important pour l’ensemble des personnes concernées et peuvent elles-mêmes devenir un risque psycho-social sui generis. Faute de régulation, une limitation par la jurisprudence de l’obligation de recourir à l’enquête interne nous paraît donc la bienvenue, à charge désormais pour les entreprises d’identifier des dispositifs plus salvateurs ou de meilleures manières de les réaliser.

Par Lise Le Borgne, associée du cabinet Kantor-Le Borgne, et Chirine Heydari-Malayeri, associée du cabinet Temime

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