Le concept de "semaine de quatre jours" fait son chemin en France. C’est toutefois un dispositif encore balbutiant. Gaïa Sanchez et Frédéric Leclercq, associés au sein du cabinet Lusis Avocats, partagent leur analyse sur cette question d’actualité.

 

Décideurs RH. Quelles sont les différentes formes que peut prendre la semaine de quatre jours ?

Frédéric Leclercq. La semaine de quatre jours constitue aujourd’hui un nouvel outil doté de multiples facettes : il faudrait plutôt parler "des" semaines de quatre jours. La première branche de l’alternative consiste en une réduction du temps de travail ce qui est l’option "simple", et on diminue la charge hebdomadaire de travail, Cette réduction d’un cinquième de la charge hebdomadaire peut s’accompagner d’un maintien de la rémunération des collaborateurs. La seconde branche consiste à redistribuer l’ensemble de l’activité hebdomadaire sur quatre jours, le cas échéant quatre jours et demi, au lieu de cinq. Cela illustre une partie des différentes formes que peut prendre l’utilisation de cet outil. Cette modularité doit, bien entendu, être appréhendée comme une opportunité.

Gaïa Sanchez. D’un point de vue juridique, l’entreprise, avec l’assistance de ses avocats, doit d’abord étudier le cadre de mise en place de ce dispositif, et les éventuelles dispositions qui pourraient s’appliquer relatives à la répartition du travail sur la semaine dans certains secteurs notamment.Dès lors que cette question est traitée, la mise en place effective est techniquement assez simple. En réalité, la réflexion autour de la question de la semaine de quatre jours recouvre aussi, et surtout, toute une série de questions très importantes, telles que le rapport contemporain des collaborateurs vis-à-vis de leur travail, la valeur du travail lui-même…

"Chez Lusis Avocats, nous considérons que la mise en place de la semaine de quatre jours doit intervenir dans le cadre d’une réflexion d’envergure, stratégique, autour de ce dispositif."

Nous invitons les entreprises qui nous consultent à tirer parti de l’expérience acquise lorsqu’ont été mises en place des 35 heures, et surtout le forfait-jours. Cette modification de l’organisation du travail doit donc, de notre point de vue, être effectuée après avoir opéré une vision à 360 degrés des conséquences potentielles de sa mise en œuvre effective. Il faut prendre en compte avec une attention minutieuse la question de la charge de travail :

  • Cette évolution ne risque-t-elle pas, au sein d’une entité, de déséquilibrer la charge de travail des collaborateurs qui en bénéficient ?
  • Comment faut-il répartir dès lors cette charge pour éviter que cette modification de l’organisation du travail ne déséquilibre en profondeur les conditions de travail des salariés ?

Cela illustre le fait que la simplicité technique, juridique apparente de la mise en place de la semaine de quatre jours constitue, en réalité, une illusion. L’idéal sans doute est d’envisager le déploiement progressif du système de la semaine de quatre jours en opérant par exemple préalablement par le biais de "pilote", de phases de test...

F. L. La question doit aussi être appréhendée tant sur le plan de chaque individu que sous l’angle de ce que cet outil peut apporter à l’entreprise. Ainsi :

  • Ce dispositif peut être conçu avec une vision offensive, par exemple pour répondre à une problématique de concurrence, une question d’image, notamment avec l’objectif d’attirer des talents.
  • Il peut également être envisagé pour apaiser un climat tendu, accompagner une réorganisation…

G. S. Il faut, en outre, envisager la perspective de l’arrivée à terme d’un cadre législatif ou conventionnel qui viendrait apporter des règles complémentaires à celles qui existent déjà. Il est donc indispensable pour les entreprises qui mettent en place la semaine de quatre jours de construire un dispositif suffisamment souple et agile permettant, le cas échéant, de s’adapter aux contraintes extérieures nouvelles ou de ne pas venir en contradiction avec celles-ci.

F. L. La perspective de la mise en place d’une semaine de quatre jours est donc plurivectorielle, pluridisciplinaire, avec un point de vigilance essentiel : ne pas reproduire les erreurs commises à l’occasion de la mise en place du forfait-jours dont la plupart des entreprises payent encore le prix plus de vingt ans après…

G. S. Parmi ces questions, on peut en particulier s’interroger sur la compatibilité ou l’adéquation entre le télétravail et la semaine de quatre jours. Ne s’expose-t-on pas en cumulant les deux systèmes à un délitement du lien social ? Et comment anticiper ce risque ?

F. L. Compte tenu de la complexité des sujets et en particulier de la dimension sociale, sociologique, organisationnelle des incidences multiples ne serait une grave erreur que d’envisager le déploiement d’une semaine de quatre jours sans avoir mis en place préalablement une phase d’échanges en profondeur avec :

  • les représentants du personnel ;
  • les salariés eux-mêmes.

L’analyse des retours d’expérience, en particulier à l’occasion de phases de tests, permettra très certainement de partager avec les représentants du personnel, de mesurer toutes les conséquences, y compris celles qui n’avaient peut-être pas été envisagées initialement et d’ajuster au mieux la mise en place de ce nouveau dispositif.

G. S. Cette phase de consensus doit être appréhendée, selon nous, nécessairement en utilisant l’outil contemporain très puissant que constitue la formation commune. Il est essentiel pour appréhender une question de cette importance, de veiller à ce que l’ensemble des parties concernées par la réflexion puis par l’élaboration de la norme permettant la mise en place d’une semaine de quatre jours, puisse bénéficier de toutes les informations, notamment juridiques (mais pas uniquement) permettant de débattre dans les meilleures conditions le déploiement de cet outil.

F. L. L’histoire du droit social nous enseigne que les systèmes qui fonctionnent, qui contribuent avec efficience au développement de l’entreprise sont ceux qui ont été conçus de manière réfléchie, par itération, en veillant à privilégier la formation, le dialogue, le consensus.

Il s’agit aussi – c’est essentiel – de bâtir un outil spécifique pour chaque entreprise.

Un dispositif d’organisation du travail peut être comparé à une paire de chaussures : doter chacun avec une paire à taille unique ne convient à personne. On ne peut rien attendre d’efficace et de pérenne d’un dispositif ainsi imposé et identique pour tous.

Entretien avec Gaïa Sanchez et Frédéric Leclercq, associés, Lusis Avocats

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