Le 6 décembre 2023, les députés adoptaient la proposition de loi visant à organiser largement des tests individuels et statistiques pour lutter plus efficacement contre les discriminations et sécuriser juridiquement la pratique du "name and shame". En dénonçant les entreprises qui alimentent ces inégalités, l’objectif est de changer leur politique de recrutement.

Cette mesure du député Renaissance Marc Ferracci, engagée le 16 novembre dernier, a été adoptée ce 6 décembre avec 102 voix en faveur du texte et 81 contre. Pour le député, l’enjeu est de taille. Le but est de prendre la juste mesure des discriminations à l’embauche et d’en finir avec cette injustice. "Nombreux sont nos citoyens qui, à force de se voir refuser l’accès à un emploi, à un logement, décident de changer de nom, de mentir sur leur âge ou leur adresse. Nombreux sont celles et ceux qui sont contraints de se dépouiller d’une partie de leur identité pour pouvoir vivre dignement car ils subissent des discriminations", soulignait Marc Ferracci lors de l’examen du texte. Pour lutter contre les discriminations et tous comportements diffamatoires, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) sera chargée de lancer plusieurs campagnes de testing dès 2024, une fois que le texte aura été validé au Sénat.

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Un bon début, mais à renforcer pour en garantir l’efficacité, selon Marie Larsonneau, corédactrice de l’ouvrage Évaluer pour agir : les diagnostics statistiques au service des politiques égalitaires  (2023), publié par l’Association française des managers de la diversité (AFMD) en collaboration avec le cabinet ISM Corum : "Au-delà des limites méthodologiques de la généralisation souhaitée, il manque des mécanismes incitatifs, par exemple pour encourager tout employeur dont les pratiques de recrutement permettent la réalisation d’un testing à le faire." Dans cette étude, l’AFMD soutient le développement de la pratique du testing et met en lumière les diagnostics statistiques pour mesurer et lutter contre toute forme de discrimination au travail.

Malgré un engagement des entreprises de plus en plus conséquent pour lutter contre ces injustices, des inégalités dominent encore le marché du travail en France. D’après l’Insee, en 2022, un sentiment discriminatoire était en constante évolution chez les citoyens français, avec une hausse de cinq points sur les dix dernières années. En 2019 et 2020, ce sont 19% des 18/49 ans qui déclaraient avoir subi "des traitements inégalitaires ou des discriminations", contre 14% en 2008 et 2009. Une augmentation reflétant un manque de moyens consacrés par l'État et certaines entreprises.

Lutter contre les discriminations dans les entreprises

Allant dans le bon sens, la libération de la parole donne lieu à la création de dispositifs pour lutter contre la discrimination à l’embauche, établissant une politique égalitaire plus forte et durable au sein des entreprises françaises. Par conséquent, la force des diagnostics statistiques est multiple : ceux-ci permettent aux entreprises "d’établir un état des lieux, de construire leur politique diversité et inclusion, d’évaluer l’efficacité des actions mises en place, d’améliorer leurs pratiques en continu, de mobiliser différentes parties prenantes de l’organisation, de sensibiliser et former les RH, les managers, ainsi que les équipes", souligne Marie Larsonneau.

Réputé pour son efficacité au sein des entreprises, le testing est aujourd’hui l’outil de mesure le plus utilisé par les organisations. Ce "test de discrimination" consiste à proposer sur un même emploi des profils fictifs semblables, à l’exception d’un critère discriminant (sexe, origine, handicap, orientation sexuelle, résidence, etc.), pour mesurer l’impact que peut avoir ce critère sur la décision au moment du recrutement. Rendu populaire par des associations comme SOS Racisme, le testing possède le double avantage de mesurer les discriminations sur le terrain et ne pas comporter de contraintes juridiques : "Le testing ne nécessite aucune démarche auprès de la Cnil – du fait du caractère fictif des candidatures utilisées – tandis qu’une autorisation de la Cnil est nécessaire pour les analyses statistiques de fichiers RH, dont la mise en œuvre est également plus longue", rappelle Marie Larsonneau.  

Depuis 2006, le cabinet associatif ISM Corum a effectué plus de 75 testings au recrutement et analyses statistiques de fichiers RH, que ce soit pour les candidatures ou les carrières de salariés, à la demande d’environ quarante employeurs. Selon l’AFMD, les entreprises concentrent aujourd’hui leurs diagnostics sur deux critère : "C’est l’origine ethno-raciale réelle ou supposée qui a le plus souvent intéressé les employeurs, en étant l’objet de 63 des 75 diagnostics. Elle est suivie par le critère du sexe, qui a été pris en compte dans 49 diagnostics." Certaines entreprises se focalisent aussi sur l’âge, le handicap ainsi que le lieu de résidence. Actuellement, les organisations accordent un intérêt plus faible aux diagnostics statistiques axés sur l’orientation sexuellet la situation familiale de leurs effectifs.

Comment s’opèrent les discriminations ethno-raciales et envers les femmes ?

La discrimination ne se fait pas systématiquement sur les mêmes critères et peut prendre différentes formes. En ce qui concerne l’origine ethno-raciale, la discrimination se fait dès les candidatures : du fait de la couleur de peau ou d’un nom de famille à consonnance étrangère, les personnes concernées rencontrent ainsi des difficultés accrues à trouver un emploi. Les femmes, elles, font face à des freins moins directs, impactant leur carrière sur le long terme, avec peu de chances d’évolution de poste.

 Au sein de quantités d’entreprises, elles se heurtent à de nombreux stéréotypes et préjugés fondés sur des croyances sociales immuables. Encore aujourd’hui dans l’Union européenne, 38,5% des hommes et des femmes pensent que "quand une mère a un emploi, les enfants en souffrent » et 34,9% estiment que « le travail d’un homme, c’est de gagner de l’argent, celui de la femme de s’occuper de la maison et de la famille", d’après le rapport sur l’état du sexisme en France publié par le Haut Conseil à Égalité (HCE) en 2023. Au-delà des convictions de certains, les entreprises françaises sont, elles aussi, peu égalitaires. Les grandes firmes demeurent dirigées par des hommes : en 2023, au sein du CAC 40, ce sont seulement 4% de femmes qui occupaient un poste de direction, et aucune n’était PDG. Une étude annuelle qui laisse conclure que l’évolution de rang des femmes reste pénible et périlleuse.

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L’analyse de fichiers de candidature et de gestion des carrières : des outils efficaces et encore méconnus

Par manque de sensibilisation ou de connaissances, les entreprises ne considèrent pas toujours avoir à disposition des outils pour mesurer, diagnostiquer et évaluer l’égalité de traitement au sein de leurs équipes. Des moyens de lutte plutôt efficaces subsistent contre ces discriminations, notamment les audits de processus RH et les testings d’accès à l’emploi.

Pour mesurer les inégalités et discriminations, les entreprises françaises peuvent aussi faire appel à l’analyse statistique d’un fichier de candidatures. Ce processus consiste à préciser la composition des candidatures reçues pour ensuite évaluer la diversité et l’attractivité de l’entreprise. À la différence du testing d’accès, l’analyse statistique évalue les chances qu’un profil soit recruté en fonction de son origine, son sexe, son âge, son handicap ou son lieu de résidence.

Enfin, le modèle le moins utilisé est l’analyse statistique d’un fichier de gestion de carrières. Il procède de la même manière que l’outil précédent et se fonde sur les données issues des fichiers RH de gestion des carrières chez un employeur, pour pouvoir analyser les évolutions salariales et de grades selon des critères de discrimination que souhaite analyser l’entreprise. Un outil efficace pour mesurer l’égalité des chances et expliquer les plafonds de verre et planchers collants, tout en faisant prendre conscience aux entreprises de leurs biais dans la gestion de leurs talents.

Le testing : comment ça fonctionne et combien ça coûte ?

Le testing statistique est exclusivement disponible pour des métiers à forts volumes de recrutement, alors que l’analyse statistique de fichiers de candidatures et carrières convient à tout type d’activité. En fonction du diagnostic demandé, celui-ci peut être plus ou moins coûteux : pour le testing, les entreprises doivent compter entre 8 000 à 35 000 euros pour une durée de six à dix-huit mois. En ce qui concerne l’analyse statistique de fichiers candidatures, le processus dure de un à trois mois avec un coût de 6 000 à 12 000 euros. Enfin, l’analyse statistique des fichiers carrière dure environ entre trois à six mois, pouvant représenter de 8 000 à 15 000 euros.

Pourquoi faire un diagnostic interne ?

Au-delà de pointer du doigt les discriminations, le diagnostic interne favorise sur le long terme la construction d’une politique de diversité et d’inclusion. "Renouvelés dans le temps, les diagnostics deviennent des outils de pilotage RH et permettent de disposer d’indicateurs pour mesurer les progrès obtenus", détaille Marie Larsonneau. Pour les entreprises engagées, évaluer l’efficacité des actions mises en place aide à confirmer, ou non, la réussite des pratiques de recrutement et de gestion de carrière. Une fois les objectifs fixés, les entreprises sont plus facilement et mieux guidées. L’amélioration des pratiques en continu de l’entreprise est, elle aussi, à prendre en compte. Une évaluation constante assure l’efficacité des actions mises en place : "Un employeur ayant sollicité l’analyse d’un fichier de gestion de carrière au regard du critère du sexe avait détecté que les femmes étaient à 15% moins susceptibles d’être promues que les hommes, à caractéristiques similaires. Ce constat a permis la mise en place de mesures de rattrapage pour favoriser la promotion des femmes à certains postes et corriger des écarts de salaires", rapporte Marie Larsonneau.

L’impact des testings pour sensibiliser en interne

Grâce aux diagnostics, les entreprises sont en mesure de mieux sensibiliser et former les RH, leurs managers et leurs équipes : "Pour beaucoup d’organisations, communiquer sur l’existence de campagnes de testing est déjà une manière de sensibiliser les équipes aux enjeux de non-discrimination. Certaines entreprises vont plus loin et utilisent les diagnostics à des fins pédagogiques en liant leurs résultats à leurs programmes de formation", analyse Marie Larsonneau. Les responsables diversité, équité et inclusion s’appuient donc sur des résultats concrets pour ajuster leurs modules de formation : "Elles et ils en font également un élément de management et s’en servent pour mobiliser les managers sur ces questions." En général, les résultats peuvent avoir un but pédagogique, en liant résultat et programme de formation.

Des progrès visibles constatés a posteriori

Les entreprises qui testent sur la durée l’un de ces diagnostics constatent des progrès visibles grâce à la mise en place d’initiatives pour réduire les inégalités, comme avec la création d’équipes "diversité", "égalité professionnelle" ou "égalité des chances". Le testing est actuellement l’outil de mesure le plus efficace.

Une fois les diagnostics réalisés, ce sont les organisations elles-mêmes qui doivent déployer des actions pour lutter contre les discriminations, à commencer, selon l’AFMD, par une communication interne des enseignements tirés de ces statistiques. Ce système fait ses preuves et conquiert plusieurs grosses organisations comme le groupe Casino, l’un des premiers commanditaires du testing, dans le cadre du projet européen Equal. Avec pour intention de développer de nouveaux moyens de lutte contre les discriminations dans le marché du travail, d’autres grosses entreprises comme LVMH sollicitent depuis 2005 des démarches de testing.

Après un testing commandité en 2020 par le gouvernement français, sept entreprises sur dix étaient épinglées par l’État pour présomption de discrimination à l’embauche.

Lisa Combe

 

Crédit image : vectorjuice sur Freepik

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