Sélectionné pour concourir au Prix du livre d'économie 2024, Les gentilles filles ne réussissent pas (Éditions Eyrolles) est un ouvrage militant, qui se fonde sur un travail d’enquête et de recherche permettant de comprendre les biais qui nourrissent les inégalités entre les hommes et les femmes. Pour son auteure, Morgane Dion, également cofondatrice et CEO de la plateforme d'éducation financière Plan Cash, l’une des réponses à ces discriminations tient en un mot : l’argent.
Morgane Dion (Plan Cash) : "Les femmes négocient tout autant leur salaire que les hommes"
Décideurs. Pourquoi les gentilles filles ne réussissent-elles pas ?
Morgane Dion. Le titre du livre a en partie été choisi pour marquer les esprits. Mais la réalité aujourd’hui, c’est que, dans le monde professionnel et dans d’autres domaines de la vie, si les femmes attendent patiemment leur part du gâteau, elles finissent avec les miettes. Je montre dans cet ouvrage les obstacles qui font que l’on gagne moins d’argent. Je rappelle que cet état de fait ne relève pas de notre faute mais que le problème est systémique et structurel. Dans les années 2000, il y avait le mythe de Sheryl Sandberg qui validait l’idée d’une certaine méritocratie. En réalité, les femmes qui ont réussi comme l’ancienne COO de Facebook sont blanches, jolies, ont fait des études, etc. Ce n’est pas parce qu’une femme réussit de temps en temps que la méritocratie fonctionne pour la majorité d’entre elles. On continue à jouer à un jeu qui n’a pas été pensé pour nous.
Vous écrivez que rechercher sur Google "femme" et "argent" est édifiant. En quoi ?
Quand on cherche ces mots sur Google, on tombe sur de nombreuses idées reçues telles que comment attirer les femmes avec de l’argent, pourquoi elles aiment l’argent… Elles sont forcément des croqueuses de diamants. C’est aussi vrai dans les médias dédiés aux femmes où on les culpabilise sur leurs dépenses, alors que dans ceux qui ciblent les hommes, il est question de leur posture d’investisseurs. La femme serait dépensière alors qu’on trouve la même part d’achats compulsifs parmi les hommes et les femmes (5 % à 6 %). Sans parler des séries de la pop culture qui donnent l’impression que dépenser de l’argent est sexy. Sans rôle modèles financiers solides, il est beaucoup plus difficile d’accepter la responsabilité de gérer l’argent. Les représentations qui nous entourent s’insinuent dans les esprits, notamment ceux des employeurs.
Vous récusez l’idée que les femmes ne négocieraient pas bien leurs salaires. Que disent les faits ?
Les études sorties récemment montrent que les femmes négocient tout autant leurs salaires, si ce n’est parfois plus que les hommes. Tenir le discours inverse est dangereux car cela revient à dire que si les femmes ne gagnent pas bien leur vie, c’est en partie de leur faute. Les études mettent aussi en avant le fait que les employeurs, hommes comme femmes, sont moins enclins à travailler avec une femme qui négocie son salaire. Les femmes qui le font sont 30 % plus susceptibles de recevoir des commentaires selon lesquels elles sont autoritaires, trop agressives ou intimidantes. Problème : selon une étude publiée dans le European Journal of Work and Organizational Psychology, les femmes agréables et gentilles sont moins bien rémunérées que les autres… Par ailleurs, les femmes travaillent davantage dans des secteurs ou métiers où la négociation salariale est plus encadrée et donc moins facile. Je pense à la santé et à l’éducation. C’est vrai également dans les métiers précaires où on leur oppose qu’il y a quinze autres candidates prêtes à prendre leur poste.
Pourtant, vous écrivez qu’être une femme coûte plus cher…
Oui. Outre le coût de la maternité ou du travail domestique, des injonctions esthétiques pèsent sur les femmes : aller chez le coiffeur, se maquiller, se faire les ongles, etc. Plus encore, les femmes sont victimes de la taxe rose. Une réalité que le gouvernement refuse d’admettre. Pourtant, une étude menée par le gouvernement de l’État de New York a révélé que les produits pour femmes étaient 7 % plus chers que ceux pour hommes. Ainsi, les Américaines déboursent 1 351 dollars de plus par an que les Américains. En France, le compte Pépites sexistes dénonce aussi ces gonflements de prix.
Les femmes déboursent plus pour leur quotidien mais gardent aussi plus d’argent liquide et épargnent moins. Pourquoi ?
23 % des femmes sont engagées dans une démarche d’investissement contre 37 % des hommes. La cause première : les écarts de salaires. Les femmes laissent davantage dormir leur argent sur des comptes épargne qui rapportent moins que l’inflation. Leurs deniers perdent ainsi de la valeur et ne servent pas pour des projets de vie. Ce qui impacte leur patrimoine. Les femmes dépensent 81 % de leurs revenus dans les produits de première nécessité, contre 58 % pour les hommes. C’est la théorie du pot de yahourt. Elles s’occupent des petites dépenses du quotidien tandis que les hommes achètent les voitures, les meubles voire les maisons. Ce qui fait qu’en cas de séparation ils disposent des factures et peuvent repartir avec leur investissement alors que les femmes sont incapables de prouver ce qu’elles ont apporté financièrement.
"Ce n’est pas parce qu’une femme réussit de temps en temps que la méritocratie fonctionne"
Quelles solutions pour davantage d’égalité financière ?
La maternité est le principal levier des inégalités salariales. La première réponse consiste à mettre en place un congé paternité égal pour les hommes à celui des femmes. Mais ce n’est pas fait car cela a un coût. Même si un jour ce congé était en place, on se heurterait à un problème de culture. Il faut que les hommes le prennent. Pareil pour les congés parentaux, dont seulement 4 % sont pris par des hommes. Dans les milieux un peu favorisés, intellectuels, parisiens, les mentalités commencent à évoluer et on pourrait voir plus de cadres hommes s’en emparer mais il faut se rappeler que la France est rurale. Mes parents sont maraîchers. Dans ce type de métier, il n’est pas bien vu pour un homme de prendre un congé parental. Sans compter que, si les hommes ne le prennent pas, c’est aussi parce qu’ils gagnent mieux leur vie que les femmes et donc qu’un congé parental, mal valorisé, pris par la femme impacte moins les finances du foyer. Ensuite, il faut régler le problème de la ségrégation professionnelle. Les emplois comme le commerce, la santé ou l’éducation sont essentiels et pourtant peu de leur valeur est attribuée (à travail égal avec certains métiers le salaire n’est pas égal, ndlr). Il faut un changement de perception de ces métiers, largement occupés par des femmes, initié par le gouvernement. Des critères très précis peuvent être utilisés. L’ONU les a répertoriés.
Dans votre livre vous citez des exercices, jeux, conseils pour limiter les inégalités au quotidien. Auriez-vous un exemple ?
Les femmes sont victimes de microagressions comme le fait d’être interrompues plus souvent que les hommes en réunion par exemple. Ce qui fonctionne vraiment dans ce contexte, c’est l’humour et la diplomatie. Être frontale peut faire du bien mais desservir sur le long terme. Sous l’administration Obama s’est développée à la Maison-Blanche la Shine theory (théorie du rayonnement, de l’amplification). Les femmes se valorisaient les unes les autres en permanence en réunion. Si l’une d’entre elles était interrompue, les autres femmes demandaient à ce qu’elle puisse finir son propos, etc. La sororité est quelque chose de très puissant. Dans les entreprises, ce ne sont pas toujours les meilleurs éléments qui sont promus mais ceux qui disent ce qu’ils font, qui savent valoriser leur travail et qui arrivent à faire en sorte que ce soit répété. Les hommes le font de manière souvent inconsciente. Les femmes doivent le faire de manière consciente.
Vous démontrez dans votre livre que le problème est systémique. Pourtant vous dites que c’est aux femmes de mener le combat pour plus d’égalité. Pourquoi ?
Les femmes sont en concurrence entre elles car elles savent, dans une entreprise par exemple, qu’il n’y en aura qu’une ou deux qui pourra accéder à un haut poste. On se bat pour des miettes car on nous a fait croire que le gâteau n’était pas assez grand. C’est pour cela que les quotas de femmes à de hauts postes ne ruissellent pas vers le bas de l’échelle. C’est injuste, nous sommes victimes mais c’est à nous de faire le travail. Le droit de vote, les droits financiers ou à l’éducation ont été arrachés par des femmes. On peut soit se conformer, soit militer pour faire changer les règles du jeu.
Propos recueillis par Olivia Vignaud