Gérald Bouhourd est le co-fondateur de C&S Partners, cabinet de conseil en leadership au sein duquel Luc Dallery est associé. Ensemble, ils insistent sur la nécessité pour les entreprises de mettre en place un plan de succession et nous livrent quelques conseils pour éviter les pièges.

Décideurs Magazine. Selon une étude du cabinet de chasse Robert Half, 40 % des entreprises européennes n’ont pas mis en place de plan de succession. Qu’est-ce qui explique cette carence selon vous ?

Gérald Bouhourd. Ce chiffre ne m’étonne pas, mais il n’est pas pertinent. Il y a une confusion entre le processus et la performance. Comme la carte n’est pas le territoire, l’existence ou non d’un plan de succession ne garantit pas le succès de la démarche de succession. Pour nous, la question se situe sur la performance de la gestion de la succession : bien gérer les plans de succession signifie ne jamais être à court de successeurs, même en cas de succession imprévue. Par exemple, nous avons développé les Talent Patterns en 2008, initialement avec 100 points, et aujourd'hui nous en comptons 300. Cette expertise s’est affinée et cette approche permet maintenant d’agir à court terme ou d’anticiper selon les besoins. Une entreprise performante n'est jamais dépourvue de solutions, qu'elle forme ses talents en interne ou qu'elle préfère recruter à l'extérieur. Dit autrement, les entreprises performantes se focalisent sur le développement des talents, loin du mythe qui consiste à trouver et sélectionner la personne perçue comme étant l’élu.

"Les entreprises performantes se focalisent sur le développement des talents, loin du mythe qui consiste à trouver et sélectionner qui serait l’élu"

Luc Dallery. Un plan de succession est un investissement. Il faut une taille critique pour maintenir un vivier interne ou recourir à la chasse externe. Dans une entreprise de 1000 personnes, il est difficile d’avoir un vivier large de successeurs. C’est pour cela qu’il n’y a pas toujours de plan de succession formalisé. Actuellement, beaucoup de postes sont vacants, ce qui rend la succession immédiate difficile. La guerre des talents est bien réelle et très active, même si elle est souvent sous-estimée.

G.B. Luc insiste sur la notion de stakeholder management. De nombreuses entreprises disent avoir un plan de succession alors qu’en réalité, elles n’ont qu’un processus. Les entreprises performantes connaissent bien leurs talents, leurs forces, leurs faiblesses, leurs aspirations, et leurs contextes personnels. C’est plus facile d’avoir ces informations lorsqu’on procède en interne. Ceux qui préfèrent recruter à l’extérieur ont besoin d’observateurs permanents. Certaines entreprises choisissent de mettre toutes les chances de leur côté avec un processus interne et une capacité de chasse en externe, ce qui demande une vraie discipline.

L.D. La diversité des talents est un facteur clé de performance. Les entreprises doivent s’adapter aux contraintes telles que la loi Rixain, qui impose des quotas de féminisation. Cela peut limiter le vivier de talents, mais la diversité reste essentielle pour le succès. Les entreprises performantes favorisent toutes les formes de diversité, y compris nationale, culturelle et linguistique.

G.B. C’est d’autant plus essentiel qu’en France, l’entre-soi des grandes écoles peut freiner la diversité. Un plan de succession doit être adapté au contexte politique et social de l’entreprise. Par exemple, les entreprises qui réussissent sont celles qui favorisent la diversité dans leurs recrutements, ce qui permet d’étendre le champ des possibles.

"Un successeur n’est pas un simple remplaçant"

Quels sont les écueils à éviter lors de la préparation d’un plan de succession ?

G.B. Il est subtil de désigner un successeur sans le nommer officiellement, pour éviter de mettre une cible dans son dos. Nommer quelqu’un trop tôt peut lui nuire. Il est préférable de soutenir et développer le potentiel successeur sans lui donner de titre. Le leadership est un sport d’équipe, et il est important de comprendre qu’un successeur n’est pas un simple remplaçant. Souvent, les entreprises qui ont eu un CEO emblématique cherchent une copie de cette personne, ce qui est une erreur. Il faut accepter qu’il y a plusieurs manières d’être un leader et de dynamiser le comité exécutif avec un équilibre entre tradition et innovation.

L.D. Le premier écueil est de négliger le contexte dans lequel s’opère le plan de succession, particulièrement pour un poste de CEO. À ce niveau, une succession est aussi un jeu d’influences et il ne faut pas sous-estimer l’acceptation du successeur par l’équipe, d’autant s’ils sont d’ex-pairs, le board, l’ensemble des parties prenantes, et même parfois la personne remplacée. Le contexte collectif est crucial, le successeur doit être perçu comme légitime et l’organisation de la succession doit tenir compte du climat social dans lequel elle s’inscrit.  Il faut également être vigilant dans la sélection de la personne qui orchestre le plan de succession, un mauvais choix peut occasionner des luttes politiques préjudiciables au bon déroulement d’une succession interne, qui se soldera alors par une chasse externe.

La communication concernant le plan de succession peut être stratégique. Quels sont vos conseils en la matière ?

L.D. La communication doit se concentrer sur ce que la personne va apporter à l’entreprise, et non seulement sur son parcours et ses accomplissements passés. Il est important de légitimer le choix du successeur en le reliant aux projets et à la stratégie de l’entreprise, et cela vaut également pour les parties prenantes externes. La communication interne doit être bien orchestrée pour donner du sens à cette nomination et éviter les fuites qui posent toujours d’innombrables difficultés.

G.B. Il est crucial de limiter la communication sur les successeurs potentiels au cercle concerné. Une fuite d’information peut nuire à la personne désignée. Les conseils d’administration ont souvent des clans en leur sein, les membres de ces réseaux internes peuvent être à l’origine de ces fuites en cas de désaccord avec la stratégie. Par exemple, dans des entreprises cotées, des fuites sur le plan de succession peuvent provenir de membres du board ou de ces réseaux internes, causant des tensions et des conflits.

Quelles sont les similitudes et les spécificités des successions en entreprise par rapport à d’autres formes de structures sociales ?

G.B. Dans une précédente interview, je soulignais les parallèles entre les sportifs de haut niveau et les dirigeants d’entreprise. Je vais poursuivre avec le monde du sport puisque la comparaison la plus pertinente selon moi est celle que l’on peut faire avec les clubs de sports comme le football. À l’image des entreprises, ces équipes professionnelles doivent développer des talents en interne grâce à des centres de formation mais aussi en externe grâce à une équipe de chasse. Les bons joueurs, comme les bons dirigeants, sont ceux qui sont capables de contribuer à la dynamique collective de l’équipe sans bouleverser son identité et sa performance.

L.D. Dans l’Empire romain, du moins en théorie, la succession reposait sur la méritocratie et la vision à long terme. Il en est de même pour les entreprises qui doivent choisir leurs successeurs en fonction de leur capacité à orchestrer la succession et à assurer la pérennité de l’organisation. Un bon plan de succession fait écho à celui de l'Empire romain, qui aspirait à ce que les meilleurs soient choisis pour leur vision et leurs compétences, contrairement à des successions purement héréditaires qui peuvent parfois nuire à la continuité et à l’efficacité. Bien que le régime se soit le plus souvent transformé en dynasties, le pouvoir avait à cœur de maintenir l’ambition de critères méritocratiques, quitte à adopter un successeur extérieur à la famille ! Et en temps de crise, les jeux étaient renversés par l’arrivée de successeurs se faisant fort de raviver la prééminence d’une grandeur et d’un intérêt collectifs. Une méritocratie que l’on retrouvait aussi à l’apogée de l’Empire ottoman aux XVIe et XVIIe siècles avec de grandes carrières possibles. Même la succession pour le titre d’empereur dépendait de la capacité des princes à s’imposer pour prendre le pouvoir sur leurs frères et les autres prétendants afin de devenir sultan.

Propos recueillis par Cem Algul


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