Arnaud Leroi, directeur M&A pour la zone Emea chez Bain & Company, rappelle l'intérêt de la thèse d'investissement (partie 2/2).
Retrouvez la première partie en cliquant sur le lien suivant.

Dans quelle mesure participez-vous à l’élaboration de la thèse d’investissement ?

L’élaboration de la thèse d’investissement fait partie de nos missions principales. Les dirigeants font appel à nous parce qu’ils souhaitent bénéficier d’un regard froid sur la thèse d’investissement. En ce sens, notre métier de consultant consiste à développer un regard objectif sur l’attractivité de la cible et son intérêt pour l’acquéreur en « triangulant » toutes les informations liées aux clients, concurrents et fournisseurs notamment. Le champ d’exercice des activités d’une entreprise est tellement large que de nombreuses données qui remontent vers le comité exécutif peuvent être erronées ou biaisées.

Concernant le type d’opérations que nous accompagnons, il faut distinguer deux types de transactions. D’une part les deals d’échelle, conclus entre entreprises similaires, concurrentes et pour lesquelles nous validons les synergies et l’approche en matière d’intégration. D’autre part, les deals de périmètre, consistant dans l’élargissement du segment cœur métier ou géographique de l’acquéreur et pour lesquels nous tâchons de valider la qualité des actifs en premier lieu.
Parfois, au terme de notre travail, nous pouvons être amenés à déconseiller notre client de réaliser telle ou telle opération.

La règle des 4C a-t-elle évolué aujourd’hui ? Comment tester en pratique la rugosité de la thèse d’investissement ?

La règle des 4C (coût, clients, capacités, concurrence) est aujourd’hui une règle des 5C. En effet, la notion de « contexte » a été ajoutée et son importance est le mieux résumé par une illustration. Six ou sept ans en arrière, tout le monde voulait monter son entreprise de photovoltaïques. Sauf que ce business était subventionné et qu’il était probable qu’un jour ou l’autre le régulateur allait se réveiller et fermer le robinet. J’avais conseillé plusieurs de mes clients dans ce sens, et malheureusement le contexte a changé et les subventions du secteur ont été fortement réduites.

Pour la rugosité de la thèse d’investissement, nous l’éprouvons en allant questionner les clients, les distributeurs, les fournisseurs et plus largement, toutes les parties prenantes aux activités des entreprises en contact avec la cible d’acquisition ou de fusion. Ces données permettent d’affiner et valider les leviers de création de valeur. Dans la majeure partie des acquisitions que j’ai accompagnées depuis une quinzaine d’années, les dirigeants nous demandaient en particulier de valider la réalité et la faisabilité opérationnelles des leviers de création de valeur.

Quelles sont les pratiques les plus courantes en « cosmétologie financière » ? Comment se parer contre ces artifices en un temps limité ?

« Dieu reconnaît toujours les siens ». À un certain moment, tout se sait et les cadavres sortent du placard. L’évolution des règles comptables et notamment l’adoption des normes IFRS ont largement contribué à la raréfaction des mauvaises pratiques. En revanche, l’ingénierie financière, la partie licite, n’a cessé de progresser. Elle est censée adapter les modalités d’acquisition aux contraintes de l’acquéreur. Si on prend l’exemple de Veolia, la société, très endettée, souhaite cependant poursuivre son développement. Comment procéder ? L’une des solutions est de privilégier des montages financiers déconsolidants, par le biais d’un investissement inférieur à 50 % dans une joint-venture par exemple, assorti d’un call pour monter au capital si nécessaire.

D’une façon générale, les ingénieurs de la finance vont travailler dans le sens du total shareholder return (TSR), avec l’ambition première de rapporter aux actionnaires plus que leur mise initiale en adaptant le montage financier de l’opération aux contraintes de bilan de l’acquéreur et à la perception que les marchés financiers pourront avoir de l’opération.

Le temps, meilleur allié ou meilleur ennemi en M&A ?

Il convient de différencier ici l’hypothèse de l’acquisition de celle de la cession.

Dans le cas d’une acquisition, il ne faut pas aller trop vite. Encore une fois, la fièvre du deal est porteuse de mauvais enseignements. Telle est l’erreur du dirigeant qui, focalisé sur une cible qu’il convoite, réagit abruptement à une OPA lancée par un concurrent sur cette société en déclenchant une contre-OPA sans même effectuer les diligences nécessaires. Le mal est alors fait.

En revanche, lors d’une cession, il ne faut pas perdre trop de temps. Le dirigeant ne doit pas se reposer sur d’éventuelles améliorations de la rentabilité de l’actif défaillant pour repousser sa décision de vendre ou parier sur de meilleures conditions de marché pour le faire. Il ne doit pas y avoir en la matière d’autre opportunisme que celui de céder un actif, non core par exemple, le plus rapidement possible, et au juste prix bien sûr.

Quelle importance accordez-vous au débat dilution/relution post-acquisition ?

J’y accorde une importance primordiale. Si dans les deux ou trois ans suivant la transaction il n’y a pas de création de valeur pour les actionnaires, le deal est en principe à éviter. Certains parlent pourtant de stratégie industrielle qui va finir par payer. Mais, par hypothèse, une stratégie dilutive à moyen terme n’est bonne ni pour l’entreprise ni pour ses actionnaires.

Une fois que cela est dit, il faut tout de même noter l’existence de certaines opérations défensives qui ne sont pas relutives en tant que telles, mais qui évitent une dilution plus importante de la capitalisation boursière dans le cas où elles n’auraient pas été conclues. À titre d’exemple, lorsque Facebook rachète Whatsapp pour dix-neuf milliards de dollars, il s’agit d’un mouvement défensif. L’opération peut paraître dilutive au premier abord mais elle revient en fait à neutraliser à moyen terme la pression potentielle d’un nouveau concurrent qui pourrait avoir un impact encore plus fort sur l’évolution de la capitalisation boursière de l’entreprise. C’est d’autant plus pertinent si l’opération est réalisée « en actions » à un moment où le marché sous-estime ce risque.


Propos recueillis par Firmin Sylla.

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