Marques : Sonnons le réveil des « belles endormies »
A chacun sa madeleine… Le yaourt « Chambourcy » si doux au palais, le petit verre de « Préfontaines », à consommer - bien entendu - avec modération, mais aussi le cadeau « Bonux » imprégné des senteurs de lessive… Des goûts, des objets, des pratiques, bien souvent associés à des souvenirs que l’on croyait enfouis. Et, signatures de toutes ces émotions, des marques qui véhiculent un capital essentiel : l’affectif, l’empathie. Mais des marques qui ne sont aujourd’hui plus actives sur leur marché.
Ces sleeping beauties comme disent les anglo-saxons, ont une histoire, souvent glorieuse. Elles ont tissé avec le public des liens si forts, si singuliers, qu’elles laissent une trace profonde dans les esprits. Elles se sont inscrites dans une mémoire collective. Elles conservent à ce titre un potentiel de création de valeur, bien qu’elles se soient assoupies.
Endormies à jamais ? Pas nécessairement. On se souvient ainsi de l’irrésistible « bébé Cadum », que l’on croyait disparu avec l’eau du bain. Pourtant, dans les années 2000, deux jeunes entrepreneurs français acquièrent la marque et la relancent, en diversifiant notamment son offre : du savon au gel douche et au déodorant, de l’univers de l’enfant à celui de l’adulte. En 2012, cette « belle endormie » est vendue à L’Oréal pour plus de 200 millions d’euros, soit une plus-value propre à réveiller les plus somnolents…
Plus récemment, des marques comme Courrèges, Orient-Express, DS ou Alpine se sont également réveillées, avec une aura intacte. Après avoir été délaissés sous l’ère Mondelez, Carambar, Krema, Suchard Poulain, Michoko et la Pie qui Chante à nouveau tracent leur route depuis qu’elles ont été reprises par le fonds Eurazeo.
Des marques comme Courrèges, Orient-Express, DS ou Alpine se sont réveillées avec une aura intacte.
Ne nous y trompons pas : la France regorge d’entreprises au savoir-faire indéniable, à la notoriété quasi-intacte, au capital émotionnel élevé mais dont la croissance, devenue balbutiante, révèle leur incapacité à se projeter dans les réalités du temps présent et à se donner un avenir « adapté » aux envies des nouveaux consommateurs. Comment dépasser une image devenue surannée pour lui redonner vie, c’est-à-dire à la fois une audience, un projet et un horizon ?
L’enjeu est à la fois stratégique, économique et culturel, voire « identitaire ». Car il convient, par une démarche marketing appropriée, de redonner à la marque les moyens de son déploiement au cœur d’un environnement contemporain.
Une chose est sûre, le sursaut part toujours d’une envie : entreprendre.
C’est à dire investir dans un projet ambitieux, avoir le goût de la création, de l’idée nouvelle qui stimule jusqu’à l’obsession puis la transformer en un projet d’entreprise pour mieux s’atteler à son développement.
A titre plus personnel, quand, en 2007, j’ai décidé de racheter l’agence Lonsdale, celle-ci traversait alors une phase compliquée. Pourtant, elle possédait un ADN fort, et une réputation créative sur laquelle construire, avec des réalisations emblématiques : la Vizirette, l’identité de la Vache qui rit, le design de la 1ère bouteille PET d’Evian, l’identité de Nicolas… C’est en capitalisant sur cette histoire forte que Lonsdale pu renaître de ses cendres et retrouver, 10 ans après, son leadership sur le marché des agences de branding. En dix ans, son chiffre d’affaires est passé de 1,5 à 32 millions d’euros. Se souvenir, ici, des propos du philosophe Alain : « Se réveiller, c’est se mettre à la recherche du monde »…
C’est, finalement, ce que nous avons fait. Et aujourd’hui, cela renforce notre crédibilité lorsque nous accompagnons nombre de nos clients sur la même voie.
Les problématiques d’un repositionnement sont multiples même si, à chaque fois, se pose la question-socle de l’histoire de la marque, pour définir sa singularité quand on la croise avec les usages d’aujourd’hui et l’apport de la technologie. Dans le cas de ces belles endormies, c’est souvent l’histoire même de la marque qui crée sa valeur. Encore faut-il trouver les bons leviers pour la mettre au goût du jour et la faire entrer en résonance avec l’époque, et ce, sans effacer son ADN.
Dans tous les cas, nous avons le devoir de bousculer les idées reçues, d’explorer de nouveaux champs, ce qui ne traduit pas une rupture, mais prolonge plutôt un récit en le réconciliant avec l’esprit d’innovation et de modernité. Les projets ainsi développés se révèlent même, parfois, de puissants outils de transformation, contribuant à l’émergence de nouveaux territoires de conquêtes commerciales pour nos clients. Un mouvement permanent. Un antidote décisif contre l’endormissement…
Chronique de Frédéric Messian (Lonsdale design)