Affaire des parfums : la durée excessive de la procédure sanctionnée
L’affaire dite «Parfums » ou le contentieux relatif aux prix de revente imposés par treize fabricants de parfums à trois chaînes de distribution aura fait couler beaucoup d’encre pour aboutir à l’annulation de la décision du Conseil de la concurrence pour durée excessive de la procédure. Ce dénouement peut surprendre tant il s’agit de la première décision d’annulation fondée sur ce motif uniquement.
La Cour d’appel, statuant sur renvoi, a en effet estimé le 10 novembre dernier que « l’atteinte irrémédiable, effective et concrète aux droits de la défense, par le dépassement d’un délai raisonnable entre la date des comportements reprochés et le jour où les entreprises ont su qu’elles auraient à en répondre, est démontrée ; qu’elle conduira à l’annulation […] de l’instruction et de la décision critiquée ». Cette décision annule ainsi celle du Conseil de la concurrence, rendue le 13 mars 2006, qui avait reconnu la participation des grandes marques de parfum à une entente sur les prix.
Une première: l’annulation d’une décision du Conseil de la concurrence au seul motif de la durée excessive de la procédure.
La durée excessive de la procédure. Après une première plainte non aboutie déposée par le ministère de l’Économie en 1993, le Conseil de la concurrence s’est saisi d’office en octobre 1998 de la situation de la concurrence dans le secteur de la parfumerie de luxe. La notification des griefs est intervenue le 5 avril 2005 après une enquête menée par la DGCCRF au second semestre de 1999. Or, s’il est vrai que ces procédures se révèlent habituellement longues, la durée de la phase d’instruction se révèle, au cas d’espèce, excessive. |
La Cour mentionne à ce titre qu’une durée de 6 années avant la notification des griefs constitue une « durée inhabituelle » de nature à compromettre irrémédiablement les droits de la défense.
La décision de la Cour est d’autant plus surprenante que les juges avaient coutume d’écarter l’argument de la durée de la procédure en affirmant que la sanction de la durée excessive de la procédure était la réparation du dommage en résultant et non l’annulation de la procédure. Elle s’était d’ailleurs prononcée en ce sens dans son arrêt du 26 juin 2007.
Le fait que les juges n’apportent aucun élément objectif pour apprécier la durée raisonnable de la procédure démontre que la solution de la Cour n’est pas tant justifiée par la durée excessive de la procédure en elle-même que par les conséquences qu’elle a engendrées sur les droits de la défense.
Les conséquences néfastes de la durée excessive de la procédure sur les droits des parties.
La Cour d’appel rappelle ainsi que même si l’article 6 de la CESDH relatif au droit à un procès équitable régit la recherche de preuves, l’enquête n’est pas soumise au principe du contradictoire applicable à la procédure seulement à compter de la notification des griefs. Toutefois, en appréciant la phase d’enquête par « les effets », à savoir au regard des conséquences qu’elle a produites sur la suite de la procédure, les juges ont pu fonder leur décision sur la CESDH pour condamner le déroulement de l’enquête : « L’examen de l’éventuelle entrave à l’exercice des droits de la défense ne doit pas être limité à la phase même dans laquelle ces droits produisent leur plein effet, à savoir la seconde phase de la procédure administrative ; que l’appréciation de la source de l’éventuel affaiblissement des droits de la défense doit s’étendre à l’ensemble de cette procédure en se référant à la durée totale de celle-ci, enquête comprise ».
La durée excessive de l’enquête a ainsi eu des conséquences négatives sur la recherche des éléments de preuves. En effet, plus le temps séparant une mesure d’enquête de la communication des griefs est long et plus il s’avère difficile, voire impossible, d’obtenir les preuves nécessaires à la défense des entreprises. C’est le cas notamment des témoins à décharge présents au sein de l’entreprise à l’époque des faits ou encore des preuves comme les courriels et les comptes rendus qui, avec le temps, sont susceptibles de dépérir.
Ainsi, les motifs de l’annulation résident principalement dans le fait que les entreprises n’aient pas été en mesure de réunir les preuves nécessaires pour répondre efficacement aux griefs qui leur ont été notifiés. Statuant ainsi, la Cour d’appel de Paris a rejeté tous les griefs considérant que la durée excessive de la procédure caractérisait une violation des droits de la défense rendant inopérants les éléments de preuve recueillis durant l’enquête.
Pour autant, la solution retenue par les juges constitue probablement une décision d’opportunité.
Une décision justifiée par les circonstances de l’espèce.
La durée excessive de la procédure a certes constitué un élément déterminant pour annuler la décision du Conseil, mais un certain nombre d’éléments relatifs au déroulement même de l’instruction relevés par la Cour viennent relativiser la portée de cette décision.
L’absence de transparence de l’enquête.
La durée excessive de la procédure est incontestablement un élément majeur de la décision des juges du fond, mais il n’en constitue pas l’unique fondement. En effet, la Cour d’appel relève surtout que les entreprises ont été dans l’ignorance des éléments qui leur étaient opposés, les empêchant ainsi de préparer efficacement leur défense. Il semble être ainsi reproché au Conseil de la concurrence le caractère secret de l’enquête.
En effet, d’une part, les entreprises n’ont pas été informées de la décision de saisine d’office du Conseil, mais au surplus les relevés de prix diligentés par les services de la DGCCRF courant 1999 ne leur ont pas permis de comprendre le véritable objet de l’enquête. Cette ignorance aggravée par la durée de la procédure d’instruction, six ans, a mis les entreprises en cause dans l’impossibilité de prendre les précautions nécessaires à la préservation des éléments utiles à leur défense.
Une décision sanctionnant le déroulement de l’instruction.
À la durée excessive de l’instruction, s’ajoute l’opposition existante entre la liberté que s’est octroyée le Conseil durant l’enquête et la célérité particulière avec laquelle s’est conduite la phase contradictoire qui a suivi. À compter de la notification des griefs, seuls huit mois ont été nécessaires au Conseil de la concurrence pour rendre sa décision. Il ne fait ainsi aucun doute qu’un délai aussi court est de nature à mettre en péril la recherche de preuves susceptibles d’exonérer les entreprises.
C’est aussi la pertinence des preuves recueillies par le Conseil qui a été remise en cause. Le Conseil a en effet fondé sa décision sur des prix relevés à l’époque des faits auprès de certains distributeurs uniquement, preuves qu’il était impossible pour les marques de parfum d’écarter six années après le début de l’enquête. Il aurait fallu, pour cela, qu’elles aient été en mesure d’opérer également des relevés de prix comparatifs dès 1999.
Ces éléments révèlent que la solution dégagée par la Cour d’appel revêt davantage l’apparence d’un cas d’espèce que celle d’un arrêt de principe. L’arrêt de la Cour d’appel ayant fait l’objet d’un pourvoi, c’est à la Cour de cassation que reviendra la tâche d’apprécier si le motif tiré de la durée excessive de la procédure mérite une attention plus importante qu’aucune Cour ne se résolvait à lui accorder jusqu’alors.