Lakshmi Mittal, l’empereur mondial de l’acier
Grâce à la fusion avec Arcelor, le milliardaire indien a réussi à créer le leader mondial de l’acier. A lui seul, le groupe fabrique 10 % de la production mondiale. À cause de la crise, les usines ne tournent qu’à 70 % de leur capacité. Mais, ArcelorMittal peut compter sur les talents de son P-dg pour redresser la barre.
Après une année 2009 particulièrement difficile pour le groupe, 2010 s’annonce également délicate : usines en sous productions, dette à restructurer et reprise économique incertaine. Pour y faire face, le géant du secteur sidérurgique n’hésite pas à couper tout ce qui n’est plus utile. Il devrait supprimer 10 000 emplois en 2010.
Déjà, à l’automne 2008, lorsque la crise économique avait brutalement frappé les secteurs clients, comme l'automobile et la construction, ArcelorMittal avait lancé un vaste plan mondial de départs volontaires. Sur les neuf premiers mois de l’année, 29 000 postes ont été supprimés, ramenant l’effectif total à 287 000 salariés.
Le coût total des frais généraux et administratifs ne devra pas dépasser 3,5 % du chiffre d'affaires. Pour que cet objectif soit atteint 500 millions de dollars d'économies supplémentaires devront être réalisés. Une broutille par rapport aux 2,2 milliards déjà réalisés sur les neuf premiers mois de 2009.
Un manager hors pair.
Il faut dire que Lakshmi Mittal, P-dg et actionnaire principal du groupe, est le spécialiste des plans de sauvetage. C’est d’ailleurs comme ça qu’il est devenu le numéro un du secteur. En 1976, son père lui confie la direction de l’usine qu’il ouvre en Indonésie pour contourner une législation indienne qui bloque les investissements privés dans le secteur sidérurgique. Sa première décision sera de mettre en place des technologies de pointe. Pour cela, il passe un contrat de licence avec de grands groupes européens. Il obtient ainsi la technologie DRI (Direct reduced iron) qui lui permet d’améliorer la productivité par soufflage d’oxygène à l’intérieur du four.
Ce succès le fait connaître sur l’île. C’est ainsi qu’en 1989, on lui confie le redressement de l’usine de Trinidad. L’aciérie est alors en pleine déroute. Elle perd plus de 100 000 dollars par jour. Lakshmi Mittal négocie un contrat de gestion assorti d’une option pour racheter l’établissement lorsque les résultats le permettront. Un an plus tard, les bénéfices sont exceptionnels.
Interrogé des années plus tard sur le succès de cette opération, il se contentera de répondre : « C’est très simple, j’ai remplacé les managers européens par des Indiens ». Cette mesure a permis d’économiser 1 million de dollars sur la seule masse salariale. Il réalise également des coupes claires tout en embauchant massivement des salariés noirs non qualifiés afin de leur payer des salaires inférieurs. Ispat, la société de son père fraichement renommée, peut alors racheter l’établissement.
Une croissance externe agressive.
En 1992, il fait de même avec les usines de Sicartsa situées au Mexique. Cette fois-ci, l’enjeu est de taille. Lakshmi Mittal met sur la table 220 millions de dollars. Il lui faudra seulement deux ans pour remettre l’entreprise à flot. Début 1992, l’usine ne produit que 528 000 tonnes d’acier. A la fin de l’année, ce chiffre monte à 929 000. En 1998, la production atteint 3 millions de tonnes. Cette opération fait déjà de lui le nouveau roi de l’acier.
Lakshmi Mittal devient alors le spécialiste de la reprise d’usines proches de la faillite. Il applique des mesures sans compromis. Suppression des allocations, combat des syndicats et licenciement sont les mots clés de ses stratégies. Selon lui, les qualités essentielles pour faire un bon manager sont la rapidité d’exécution, le goût du risque, la confiance en ses collaborateurs et l’ambition. « Quand les personnes savent dans quelle direction vont leurs leaders, elles sont plus faciles à motiver » explique-t-il.
Pour s’assurer la réussite de ses projets, Lakshmi Mittal s’implique personnellement et n’hésite pas à faire les déplacements. Une légende veut qu’il ait fait 10 fois le tour de la terre à bord de son jet privé. En moins de dix ans, le groupe s’installe au Kazakhstan, en Irlande, en Roumanie, en Afrique du Sud, aux Etats-Unis, en Algérie où encore dans les Balkans. Sur les cinq dernières années, il a réalisé 20 acquisitions.
En 2004, celle de l’Américain Internationa Steel Group fait du groupe indien le premier producteur mondial d’acier. Contrôlé à 97 % par la famille Mittal, le groupe Mittal Steel avait distribué en 2004 plus de 260 millions de dollars de dividendes. Un record pour une entreprise familiale.
Des méthodes parfois douteuses.
Pour parvenir à ses résultats, Lakshmi Mittal joue parfois avec les règles. En février 2002, il est impliqué dans une affaire de pots de vins. L’entrepreneur indien aurait versé des dons d’une valeur totale de 125 000 livres au parti travailliste anglais en échange d’une intervention de Tony Blair auprès du Premier ministre roumain pour faciliter l’implantation de l’entreprise.
Une enquête diligentée par l'organisme en charge de la Bourse européenne des échanges de droits d'émission a montré que le milliardaire indien, 8è fortune du monde avec 19,3 milliards de dollars, allait pouvoir gagner un milliard de livres sterlings grâce aux droits d'émission de C02 détenus par ArcelorMittal.
Pour ses usines sidérurgiques européennes, le groupe a obtenu un droit d'émission total de 90 millions de tonnes de CO2 par an sur la période 2008-2012. Or, avec la crise, la production d’ArcelorMittal s’est effondrée. En 2008, il n’avait émis que 68 millions de tonnes. Pour cette année, les émissions devraient se limiter à 43 millions de tonnes. De plus, Arcelor Mittal a réduit, grâce au développement de nouvelles technologies, ses émissions de C02 de 20 % depuis 1990. Une aubaine donc pour ArcelorMittal qui pourra revendre sur le marché son excès de droits d'émission.
Mais là où l’affaire devient douteuse est que la Commission de Bruxelles se prépare à faire passer le prix des droits d'émission de 12,70 à 30 livres sterlings l'unité. Le milliardaire indien, aidé par le syndicat professionnel des industries sidérurgiques européennes, Eurofer, aurait exercé un intense travail de lobbying auprès des fonctionnaires bruxellois. L'enquête met notamment en avant deux lettres de Lakshmi Mittal, datées de 2006 et 2007, où ce dernier demande à rencontrer instamment le commissaire à l'Industrie, Günter Verheugen.
L’OPA sur Arcelor : son chef d’œuvre.
Malgré ces rumeurs, Lakshmi Mittal demeure une gloire nationale en Inde. Et cela, même s’il a quitté son pays natal pour s’installer à Londres. Il y a d’ailleurs acheté une demeure dans le quartier des milliardaires de Londres pour 128 millions de dollars.
En Europe, son image est un peu plus ternie. Son OPA hostile sur Arcelor lui a avait valu de vives critiques. Thierry Breton, alors ministre de l’Economie et des Finances avait déclaré vouloir « apprendre à Mittal la grammaire des affaires à la française ». Malgré une opposition farouche de certains dirigeants et du gouvernement français, Lakshmi Mittal a néanmoins réussi à remporter l’adhésion des actionnaires. Son passé de sauveur d’usine a su faire la différence.
Il lui aura fallu un an et demi et une valorisation de 25,4 milliards d’euros, contre 18,6 initialement prévu, afin que l’OPA, lancée le 27 janvier 2006, aboutisse. Le 6 novembre Lakshmi Mittal était nommé P-dg d’ArcelorMittal et détenait 50,6 % du nouvel ensemble. Cette fusion inversée en fait le leader incontesté du secteur sidérurgique.
En 2008, le groupe réalisait un chiffre d’affaires de 25 milliards de dollars et produit 103,3 millions de tonnes, soit près de 10 % de la production mondiale. Ses principaux concurrents, Nippon Steel, JFE et Posco, sont loin derrière lui.
Se restructurer pour mieux rebondir.
Mais la crise économique pèse durement sur le géant de l’acier. Comme à son habitude, Lakshmi Mittal a prévu un plan de réduction drastique. Son objectif est d’atteindre 2,2 milliards de dollars afin de limiter le poids de la dette. Et il semble le respecter. Au troisième trimestre 2009, la dette s’élevait à 21,6 soit une diminution de 10,9 milliards au cours des douze derniers mois.
ArcelorMittal a réalisé le lancement d’une émission obligataire d’un montant d’1 milliard à 30 ans le 1er octobre 2009. Par ailleurs, le groupe a réussi à baisser la rotation du fonds de roulement, passant de 98 jours au deuxième trimestre 2009 à 83 jours au troisième trimestre 2009. L’Ebidta s’élevait à 1,6 milliard de dollars, en progression de 30 % par rapport au deuxième trimestre 2009.
La paix sociale, à quel prix ?
Autre signe positif, pour 2010, le dividende par action est maintenu à 0,75 dollars. Lors de la présentation des résultats, Lakshmi Mittal s’est voulu positif : « conformément aux prévisions, nous avons constaté les premiers signes de reprise au troisième trimestre. En réaction à cette augmentation de la demande, nous avons remis en marche plusieurs de nos sites de production et nous prévoyons une utilisation des capacités d’acier brut voisine de 70 % au quatrième trimestre ». Le groupe a également annoncé le redémarrage d’une sélection de projets d’expansion sur plusieurs marchés émergents.
En Europe, la politique sociale du groupe pose problème. Le 12 novembre 2009, Arcelor Mittal a été condamné par le conseil des prud’hommes de Martigues pour discrimination à l’encontre de 11 représentants du personnel de la CGT. Le groupe a dû verser à l’un des salariés une indemnité supérieure à 100 000 euros.
En novembre, ArcelorMittal, qui emploie 115 000 employés à travers l’Europe, est parvenu à un accord avec la fédération européenne des sidérurgistes afin de relancer l’investissement et d’assurer l’emploi. L’Euro fort et les salaires élevés pénalisent la rentabilité du secteur. Pour le moment, Lakshmi Mittal ne semble pas prêt à abandonner le Vieux continent au profit de pays émergents.