Category management?: entre bienveillance et méfiance
Les accords de gestion par catégorie sont aujourd’hui explicitement autorisés dans le cadre des accords de distribution entrant dans le champ du nouveau règlement d’exemption distribution. Pour autant, le risque d’objet et d’effet anticoncurrentiel eût mérité que la Commission s’y attarde davantage. La pratique est en tout cas largement critiquée par les autorités nationales de concurrence.
Depuis quelques années, l’intervention de certains fournisseurs auprès des grands distributeurs se manifeste au travers d’accords de gestion par catégorie (ou encore category management agreements) par lesquels un fournisseur, dit «?capitaine de catégorie?» est appelé à assurer, en principe à titre gratuit, la commercialisation d’une catégorie de produits (ses propres produits mais aussi ceux de ses concurrents) au sein d’une enseigne de distribution. Si la pratique a été consacrée par la Commission européenne dans le cadre de ses lignes directrices pour l’application du nouveau règlement distribution(1), en tant qu’elle permet à certains fournisseurs de «?prendre la main?» sur le rayon en cause, elle soulève certaines interrogations quant à sa compatibilité avec les règles du droit de la concurrence.
La bienveillance de la Commission européenne vis-à-vis des accords de gestion par catégorie
Les accords de gestion par catégorie permettent à une GMS (grande et moyenne surface) de désigner, parmi les fournisseurs d’une catégorie de produits, un capitaine de catégorie qui la conseille, pour sa propre marque mais aussi pour les marques concurrentes, sur notamment le choix, le placement et la promotion des différents produits d’une même catégorie vendus en magasin. Dans cette mesure, ces accords ont été, bien qu’on ait pu la sentir quelque peu réservée en 2002 à l’occasion de l’examen de l’opération de concentration Masterfoods/Royal Canin(2), appréciés favorablement par la Commission européenne. Ainsi, dans sa décision de concentration Procter & Gamble/Gillette(3), la Commission soulignait sans réserve le caractère proconcurrentiel de ces accords dès lors qu’« ils permettent aux distributeurs de stocker les produits les plus demandés et aux consommateurs de trouver les produits les plus demandés en quantité suffisante?».
Aussi, dans ses nouvelles lignes directrices pour l’application du droit des ententes aux accords verticaux, la Commission européenne a-t-elle prévu que devaient bénéficier de l’exemption les accords de gestion par catégorie lorsque les parts de marché du fournisseur et du distributeur ne dépassent pas le seuil de 30?%.
Quelques esprits chagrins ont toutefois déploré que la Commission n’ait pas fait preuve du même aveuglement pour ce qui concerne les accords entre entreprises dont la part de marché excède 30?%, en reconnaissant que cette pratique pouvait «?parfois fausser la concurrence entre fournisseurs et, en fin de compte, conduire à une exclusion anticoncurrentielle d’autres fournisseurs?».
Un tel aveuglement ne semble d’ailleurs pas être du goût des autorités nationales de concurrence.
La méfiance des autorités nationales de concurrence quant aux effets potentiels des accords de gestion par catégorie
Si la Commission européenne a «?validé?» en quelque sorte l’existence des contrats de category management dans ses nouvelles lignes directrices, les autorités nationales sont en revanche nettement plus réservées sur cette question.
En effet, d’une part, les autorités américaines et anglaises ont déjà eu à s’interroger et à se prononcer sur ce type de relations entre fournisseur et distributeur, et, d’autre part, l’Autorité de la concurrence française s’est autosaisie, le 19 mars 2010, des risques potentiels pour la concurrence de ce type d’accords.
Dès 2000, des études ont été menées aux États-Unis et au Royaume-Uni, à la fois pour mesurer la fréquence du recours aux accords de category management et pour essayer d’apprécier leur impact sur le niveau de la concurrence. Ces études ont été effectuées, par la FTC aux États-Unis, auprès des sept plus grands distributeurs en 2001 et 2003, et, au Royaume-Uni par l’OFT, dans le secteur de l’épicerie en 2000.
Globalement, les études américaines relèvent qu’une grande majorité des distributeurs ont recours à ces accords et que l’on constate une tendance à l’augmentation des prix dans les magasins faisant appel à un capitaine de catégorie. Les études britanniques menées dans le secteur alimentaire ont identifié quatre types de comportements potentiellement anticoncurrentiels :
- Le capitaine de catégorie peut utiliser de façon abusive sa fonction à son bénéfice et au détriment de ses concurrents ;
- les échanges d’information par l’intermédiaire du capitaine de catégorie peuvent entraîner une forme de collusion entre fournisseurs ;
- les échanges d’information peuvent faire du capitaine de catégorie la clé de voûte d’une entente entre distributeurs ;
- les échanges d’information peuvent conduire à des ententes croisées entre fournisseurs et distributeurs.
Les autorités de concurrence américaines ont d’ailleurs eu l’occasion de mettre en lumière l’utilisation abusive de la fonction de capitaine de catégorie à deux reprises. En 2002, l’entreprise United States Tobacco a été condamnée à une amende d’un milliard de dollars pour des comportements d’exclusion, en revanche, en 2004, dans une affaire «?Gruma Coporation?», les producteurs lésés n’ont pu obtenir la condamnation du category management.
En 2008 encore, le Competition Council (Royaume-Uni) a critiqué les accords de category management à l’occasion d’études réalisées sur plusieurs produits alimentaires, sans toutefois parvenir à conclure à l’existence avérée, dans les faits, de pratiques anticoncurrentielles.
À son tour, l’Autorité de la concurrence s’est saisie du risque potentiel que comportent les accords de category management. Son avis est attendu pour le second semestre de cette année. L’Autorité a ainsi d’ores et déjà souligné l’ambiguïté de l’efficience économique de tels accords.
D’un côté, elle relève, à l’instar de la Commission européenne, que la gestion par catégorie peut bénéficier indirectement au consommateur, en améliorant l’adaptation de l’offre à la demande et en suppléant le défaut d’implication du distributeur dans la promotion des produits. D’un autre côté, l’Autorité s’inquiète du risque de réduction de l’intensité de la concurrence, à l’amont comme à l’aval.
L’Autorité identifie les risques déjà mis en avant par les différentes autorités nationales. En tirera-t-elle les mêmes conclusions ?
Juillet 2010
1 Règlement n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées
2 Décision M.2544 du 15 février 2002
3 Décision M.3732 du 15 juillet 2005