Héritier désigné de l’immeuble, Jean-Pierre Marois a fait le pari de ressusciter les Bains-Douches. Un coup de poker pour cet autodidacte.
Jean-Pierre Marois : En d’autres thermes…
Ce qui frappe d’emblée, c’est le calme. Un silence feutré, des pas étouffés par une moquette moelleuse, copie conforme à celle de la salle de bains de Gainsbourg, des chuchotements cérémonieux qui s’entremêlent, des femmes de chambre qui veillent au grain en catimini, un bip magnétique, une lourde porte digne d’un coffre-fort et le soleil au zénith qui apparaît, baignant de sa lumière la suite 504, tarifée 2 900?euros la nuit.
«?Voulez-vous une de ces mignardises ? Goûtez-en une, elles sont divines?», invite Jean-Pierre Marois, le propriétaire des lieux qui ne boude pas son plaisir. Il est chez lui. Après quatre ans de travaux, douze millions d’euros investis, l’homme d’affaires, épaulé par un pool bancaire et une quinzaine de contributeurs de renom, savoure cette renaissance. Ses murs, il les a redressés. Pas à coups de pioche ni de dollars. Il les a pensés en repartant de la base : la création. Ce(ux) qu’il a sauvé(s) du naufrage ? D’abord, un immeuble haussmannien vieux de 130 ans bâti par l’architecte parisien Eugène Ewald à qui l’on doit aussi l’église Saint-François-de-Sales dans le XVIIe arrondissement. C’est là, entre les deux caryatides en bronze, que la famille Guerbois fonda en 1885 des thermes privés assidûment fréquentés par les forts des Halles et le gratin des intellectuels parisiens comme Proust, Zola et toute la clique des impressionnistes, de Pissaro à Degas. C’est là aussi, à l’aune des eighties, qu’un mythe du clubbing parisien prend sa source. Designé en 1978 par un certain Starck et piloté par le duo Fabrice Coat et Jacques Renault, les Bains-Douches attirent dans leurs rets nocturnes la fine fleur des jet-setters du monde des arts et du spectacle. Jean-Pierre Marois peut aujourd’hui se féliciter. Il a évité une mort certaine à ce vaniteux panthéon où gît l’esprit festif de ses compagnons de bringues : Warhol, Basquiat et autres Saint Laurent. Est-ce la vraie raison de la résurrection de l’immeuble des Bains tombés en décrépitude avec le passage à l’an 2000 ? Quand on interroge un de ses lieutenants, celui-ci lâche : «?Jean-Pierre raconte avant tout son histoire. C’est du story-telling.?» Qu’en dit l’intéressé ? «?C’est une narration, presque une fiction?», reconnaît celui qui a finalement honoré la maxime paternelle en s’acquittant de «?ce devoir majeur de maintenir l’héritage de la nature?».
Animal social
La nature de Marois, c’est celle d’un animal social avide de la compagnie des hommes dont il se nourrit pour mieux cerner son époque. Deux décennies durant, il s’est évertué à comprendre la mécanique humaine. Tantôt photographe de mode et portraitiste, il saisit avec son Pentax l’âme d’Anthony Quinn, Sean Penn, Costa-Gavras et Martin Scorsese, son idole. Tantôt producteur, il raconte des histoires. Avec sa boîte Central Films, il produit les œuvres de Ferrara, Iñárritu et Jarmusch après avoir essuyé en 2001 les plâtres de la critique américaine en présentant son premier long-métrage Live Virgin. «?C’est vrai, il y a eu des hauts et des bas, admet-il, mais les gens heureux n’ont pas d’histoire à raconter !?» Des histoires, Jean-Pierre Marois en a pléthore. «?C’est un esprit libre?», convient le producteur Yves Darondeau, son ami de quinze ans. «?C’est un créateur d’alchimie?», poursuit Pedro Novo, le directeur régional Paris de BPIFrance qui a soutenu le projet de réhabilitation du 7 rue du Bourg-l’Abbé. «?S’imbiber, s’imprégner, s’enraciner?» sont les fers de lance énumérés par l’homme installé en face de nous. Sa plus grosse phobie ? Le temps qui passe. Pour connaître son âge, il faut lui arracher aux forceps et promettre de ne pas en faire étalage dans notre article. «?C’est mon côté Peter Pan?», reconnaît-il. Comme pour faire un pied de nez au temps, Jean-Pierre Marois s’est offert un bain de jouvence en pleine course contre la montre. Et l’homme d’affaires de citer le réalisateur Rainer Werner Fassbinder : «?Faire un film, c’est comme construire une maison.?» Lui, a créé une boutique-hôtel pour mieux rembobiner le film de sa vie.
« Personne n’y croyait !?»
La convocation du destin tombe le 1er juin de l’année 2010. Les Bains-Douches prennent l’eau. Frappé d’un arrêté de péril, l’immeuble menace de s’écrouler. Les murs tremblent. Chaque jour, des bennes de gravats sont vidées sous les yeux médusés des locataires qui progressivement quittent le navire. Le tribunal de grande instance de Paris a déjà ordonné deux fois la «?cessation immédiate des travaux?» à l’exploitant, la société Vima Les Bains gérée par Hubert Boukobza, figure de la nuit parisienne et propriétaire du fonds de commerce depuis 1984. Sans succès. Alors qu’il est en vacances à Bali, les concierges appellent le propriétaire sur son portable pour l’avertir. «?C’était une période sinistre et déprimante?», se souvient M. Marois. Commence alors la valse des vautours et des marchands de biens venus renifler la belle affaire immobilière. Le tout-Paris festif lorgne sur le 7 rue du Bourg-l’Abbé. Pourtant, pas un seul businessman sain d’esprit ne se risquerait à investir. De Laurent de Gourcuff (Castel, Le Raspoutine…) à Philippe Fatien (Le Queen) en passant par l’un des frères Costes, ils sont unanimes devant l’ampleur des travaux : c’est un gouffre financier. «?Personne n’y croyait !?», rappelle vigoureusement l’actuel propriétaire. «?C’était un pari fou?», renchérit Pedro Novo, soutien de la première heure, à l’instar de Renaud Vedel, alors bras droit du préfet de police de Paris et aujourd’hui numéro deux à Matignon. Pour sauver le patrimoine familial, il a fallu restructurer l’actif, le refinancer et lever des fonds. L’addition est salée. Le coût estimé des travaux (douze millions d’euros) a de quoi décourager.
Enfant, il tutoyait les géants d’un autre siècle
Jean-Pierre Marois est un homme discret à la confidence rare et pudique. Petit-fils et fils de médecins, petit dernier d’une fratrie de trois avec ses deux sœurs, il a longtemps porté sur ses épaules le poids des aspirations paternelles… Son père le veut médecin. «?Cette pression était pénible?», confie celui que ses proches estampillent «?entrepreneur artiste?». Très tôt positionné en observateur de son temps, Marois grandit sur la rive gauche, noyé dans un bain de culture. Loin du cliché de la famille bourgeoise catholique pratiquante, vivant dans l’ouest parisien et votant à droite, les Marois sont un subtil mélange de culture pétri d’ouverture d’esprit. En témoigne cette désopilante anecdote où le patriarche, alors étiqueté mandarin, ouvre la porte du domicile familial, un soir d’échauffourée de mai 1968. «?Une vraie scène de film !?», s’exalte encore son fils. Il est une heure du matin quand une demi-douzaine d’étudiants tambourine pour échapper aux CRS. «?Mon père en pyjama et ma mère en robe de chambre les ont accueillis pour leur éviter d’être passés à tabac. Ils ont dormi par terre dans le salon au milieu des meubles Louis XVI et certains sous le piano à queue. Cocasse !?», se remémore celui qui enfant tutoyait les géants d’un autre siècle. Il faut dire que son père, Maurice Marois, est un médecin éminent, officier de la Légion d’honneur et grand spécialiste d’histologie et d’embryologie.
Pour le rencontrer, les prix Nobel et les grands esprits se pressent dans l’appartement familial situé face au jardin du Luxembourg. Jacqueline de Romilly et surtout René Cassin comptent parmi les plus fidèles convives. Vertige devant ces grands hommes entrés au Panthéon, la patrie reconnaissante. À l’instar de Jean-Pierre Marois qui a forgé sa gouaille en battant la controverse et en s’amusant à des vétilles perché sur les genoux de celui qui est considéré comme le père de la Déclaration universelle des droits de l’homme. «?C’était formidable d’avoir du répondant?», s’enthousiasme-t-il, tout en évoquant les conversations à bâtons rompus entretenues avec son père autour de Chateaubriand et autres Proust. Littéraire et érudit, Marois a déjà le verbe facile. Avec le physicien Leon Cooper, il découvre le «?côté yankee, aux antipodes du parisien suranné?» côtoyé dans les établissements élitistes, de l’École alsacienne au collège Stanislas. Curieux, il cultive très tôt selon ses thuriféraires «?une certaine aptitude sociale?» couplée à «?une aisance naturelle?». Lui appelle cela «?le fameux esprit français?».
Pilier du mouvement festif
Dans cette famille qui flirte avec le jansénisme, on ne parle guère immobilier et surtout pas d’argent. Si le 7 rue du Bourg-l’Abbé est un nom quelquefois évoqué, il reste une curiosité. Jusqu’à ce jour d’hiver 1978, où le fils découvre dans la pile de courrier entassée sur la cheminée de la chambre paternelle, un mystérieux carton d’invitation pour l’inauguration du club des Bains-Douches. «?Évidemment, j’ai demandé à y aller !?», s’exclame-t-il. Le 21 décembre 1978, en prévision de l’affluence pour l’ouverture de la discothèque, huit cars de CRS sont postés à chaque extrémité de la rue. Près de 3 000 personnes défilent, dont le jeune Marois. «?À l’époque, clubber s’apparente presque à un acte militant, rappelle l’héritier. C’est un style de vie, une réponse à l’ennui existentiel.?»
Quand on le désigne comme un pilier du mouvement festif, Jean-Pierre Marois éclate de rire et se défend : «?Je n’ai pas toujours été un clubber !?» Et l’homme mature de confesser à demi-mot avoir désormais rejoint les rangs des couche-tôt. Il n’en a pas toujours été ainsi. À 14 ans, le garçon saisit déjà l’énergie juvénile qui anime la jeunesse anglaise frustrée et en colère : il adhère au mouvement punk, écoute les Sex Pistols en boucle, se taille une coupe hirsute et traîne ses guêtres au Palais des Glaces et au Gibus, là où les concerts underground battent leur plein. Parmi ses copains de l’époque, il y a le fils Hossein, Denis Westhoff, le rejeton de Françoise Sagan, et bien sûr Olivier Castel qu’il fréquente depuis la maternelle. Ensemble, ils font leurs armes festives chez Castel, boudent Régine préférant se rendre aux Bains et au Bus. Mais c’est à l’Élysée Matignon où Gainsbourg a ses habitudes que Marois traîne. Grâce à son oncle Pierre Marois, illustre docteur en chirurgie dentaire, il fréquente les stars des années 1980. Dans la salle d’attente du chef de service de l’hôpital américain défilent Romy Schneider, Ursula Andress, Belmondo, l’Aga Khan et le Mime Marceau. «?C’était les Bains version dentiste !?», plaisante M. Marois qui, grâce aux relations familiales, fait ses premiers pas dans l’univers du cinéma en décrochant un petit job sur le tournage du Marginal réalisé par Jacques Deray. Il n’a que 21 ans.
« Si on respire quelque chose toute sa vie, on le transpire?»
Jean-Pierre Marois est un épicurien au long cours d’une politesse extrême, dont l’aisance oratoire désarçonne. Chez lui, aucun signe extérieur de networker ultra-connecté qui aligne avec ostentation une ribambelle de smartphones en plein milieu de la table. Le sien est éteint. Plongé au fin fond de sa poche. Peu amène au «?name-dropping?», le propriétaire des Bains a pourtant un carnet d’adresses international très bien achalandé. De ceux qui vous permettent de prendre la tangente. Comme cet été 1986 où il découvre New York après avoir convaincu son père de le laisser s’inscrire à la Film School de NYU. Installé dans un appartement qui donne sur la vingt-deuxième et Broadway à l’angle du Madison square park, Marois est happé par la vie new-yorkaise. L’enfant gâté se faufile dans la nuit. Bien né, bien entouré, le jeune homme a rapidement assimilé les codes de son milieu aristocratique. Sans piston, les portes des endroits sélects s’ouvrent facilement. «?Si on respire quelque chose toute sa vie, on le transpire?», martèle celui qui dîne à La vie en rose avec Grace Jones, fréquente Keith Haring et Warhol à l’Area, au Palladium et à la Danceteria, le QG de la scène disco. «?C’était d’une grande vacuité, reconnaît-il, mais c’était très excitant de croiser Boy George, de se disputer des filles avec le chanteur de Duran Duran. Je me grisais de toutes ces rencontres.?» Dandy, il l’est, il ne peut le nier. Séduire fait partie de son ADN.
Un track record dans l’hôtellerie
Un atout indéniable quand l’enjeu est de convaincre les banquiers d’investir dans la restauration d’un immeuble frappé d’un arrêté de péril en pleine crise patrimoniale. Début 2011, Jean-Pierre Marois a en tête de transformer le 7 rue du Bourg-l’Abbé en boutique-hôtel. L’homme n’en est pas à son premier coup d’essai. D’abord, il connaît bien les hôtels. Il les a écumés en tant que photographe pour Le Figaro magazine son quart de siècle à peine entamé. C’est un nomade qui aime à séjourner au Blakes de Londres et dans les Soho House de New York même si sa préférence va naturellement au légendaire «?Chateau Marmont?» de Los Angeles.
Le fils Marois porte en lui le goût de la pierre. Son grand-père maternel est un bâtisseur débarqué de Belgique pour la reconstruction post-Première Guerre mondiale. Autre corde à son arc, l’homme d’affaires a dans l’hôtellerie un petit track record. En 2008, alors que la production du film I Come with the Rain de Tran Anh Hung se révèle être une catastrophe financière pour sa boîte, Marois décide de raccrocher. Contre toute attente, il rachète le fonds de commerce d’un hôtel deux étoiles du XIe arrondissement pour le transformer en boutique-hôtel design, bio et détox. Le premier concept du genre à Paris. Oséo et le Crédit agricole sont de la partie. Après un an de travaux à marche forcée, l’Hôtel Gabriel est plébiscité par la presse internationale. Le taux d’occupation dépasse les 80?% et les chambres auparavant tarifées cinquante euros en coûtent désormais deux cents. Trois ans plus tard, Marois revend à Thibault Vidalenc, hôtelier parisien à la tête de Brimaral. La plus-value est significative et lui permet de remettre au pot pour Les Bains aux côtés de Banque populaire Rives de Paris, BPIFrance et BNP Paribas.
Donner le ton de la création
Cette capacité à enrôler les gens, Marois en a usé une nouvelle fois pour perpétuer la destinée des Bains comme «?lieu propice et fertile à la création?», selon ses mots. «?À cheval sur trois siècles, comment et surtout pourquoi cette adresse a-t-elle rassemblé les plus grands talents, catalysé de telles énergies tout en impulsant les inspirations et les tendances de demain ??», s’interroge-t-il encore. C’est aussi la question que s’est posée à haute voix et avec une fausse candeur Jérôme de Noirmont, le galeriste de Keith Haring et Basquiat, quand il a découvert début 2013 la résidence d’artistes étalée sur les 3 000?m² de l’immeuble bringuebalant. «?Il était estomaqué !?», se souvient le propriétaire des lieux.
Au milieu des moulures et des cheminées d’antan, la «?golden class?» du street art et du graffiti affiche sa créativité sur les murs et les parquets d’une institution qui transpire la bourgeoisie. Une manière de transgresser les codes en vigueur pour mieux tourner la page d’un mythe déchu. Le producteur de cinéma inscrit à son track record un audacieux coup de poker. Pour la première fois en 130 ans d’existence, l’immeuble est vide. En attendant le permis de construire, Marois a donné quatre mois durant carte blanche à Magda Danysz, la spécialiste parisienne de l’art urbain. La galeriste a rassemblé un collectif d’une quarantaine d’artistes français et étrangers qui sur quatre générations ont fait bouger les lignes de la création. Il y a des graffeurs (Psy, Nasty…) et des street artists (Invader, L’Atlas, Ludo…) qui se mêlent aux fondateurs historiques (Jérome Mesnager, Gérard Zlotykamien…) et à d’autres plus contemporains (Joachim Sauter). Le coup de pub est formidable. L’immeuble ne désemplit pas. Auparavant vaisseau fantôme vidé de tous ses locataires, Jean-Pierre Marois donne une nouvelle fois le ton de la création en affichant un chantier artistique éphémère. «?C’est un grand enfant qui s’émerveille encore de l’aventure dans laquelle il s’est embarqué?», révèle son ami le producteur Yves Darondeau, oscarisé en 2006 pour La Marche de l’empereur.
De Schrager à Balazs
A-t-il envie de s’inscrire dans la lignée des André Balazs et autres Ian Schrager à l’initiative du Studio 54 et précurseur de la boutique-hôtel dans les années 1980 ? Si son admiration pour ce dernier est assumée, elle a ses limites pour le premier. L’homme d’affaires américain, détenteur de quatre boutiques-hôtels et de cinq établissements chapeautés par la marque Standard, a ouvert en 2010 au dernier étage de son hôtel new-yorkais un club baptisé Le Bain. Et ce n’est pas du goût de Marois qui ne cache pas son agacement : «?Cela me pose des problèmes de propriété intellectuelle aux États-Unis?», explique-t-il. Une anecdote qui en dit long sur la force de frappe de sa marque plus que jamais plébiscitée. Dior a étrenné les lieux en y rassemblant tout le gratin lors de la soirée de clôture de son fashion show, Pierre Hardy a créé une paire de baskets co-brandées pour fouler le dancefloor, la coutellerie Perceval façonne un couteau à steak et Descamps produit une ligne de peignoirs en édition limitée. Les maisons de disques ne se font pas prier pour envoyer leurs artistes sur la scène du club de 200 m2. «?Les gens ont envie de se frotter à la légende?», constate M. Marois. Résultat, le 28 juin dernier, l’homme d’affaires a ouvert au 2 rue du Bourg-l’Abbé une boutique pour présenter sa première collection d’objets. Malin.
The hospitality business
Des idées en chantier pour diversifier la marque des Bains, Marois en a plein ses tiroirs. Sa force c’est la densité de son réseau couplée à une approche holistique fidèle à la définition du roman selon Flaubert : «?L’auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout et visible nulle part.?» Le casting orchestré par le propriétaire des lieux est époustouflant. Le trio gagnant des architectes et décorateurs, Bastie-Montel-Auer, le chef-conseil Philippe Labbé, trois étoiles Michelin, Dorothée Piot, nez renommé de la parfumerie française, Jérôme Pauchant, curateur de la résidence artistique 2015 sans oublier son épouse Julie Sauvage, coordinatrice du studio femme chez Lanvin, qui a réalisé les tenues de l’équipe. Tout a été pensé dans les moindres détails. Control freak oblige. Si M. Marois donne une grande latitude à ses collaborateurs, c’est sous couvert d’un échange musclé en amont. «?C’est un spécialiste du stop & go et du go/no go?», taquine Pedro Novo qui salue son talent d’ensemblier. «?Une responsabilité qui lui va comme un gant?», affirme M. Darondeau. Et quand on interroge l’hôtelier pour savoir s’il se sait attendu au tournant, il répond : «?Je suis déjà au tournant !?» Créer de la convivialité était le subtext de sa vie, il en a fait son métier. En anglais, on appelle cela «?the hospitality business?» précise l’enfant terrible à qui il aura fallu trente ans pour raccrocher les wagons de sa destinée parfois contrariée. Mais si comme le martelait l’hôtelier Jean-Louis Costes, «?de la contrainte, naît le style?», Marois touche assurément au but.
Émilie Vidaud
«?Voulez-vous une de ces mignardises ? Goûtez-en une, elles sont divines?», invite Jean-Pierre Marois, le propriétaire des lieux qui ne boude pas son plaisir. Il est chez lui. Après quatre ans de travaux, douze millions d’euros investis, l’homme d’affaires, épaulé par un pool bancaire et une quinzaine de contributeurs de renom, savoure cette renaissance. Ses murs, il les a redressés. Pas à coups de pioche ni de dollars. Il les a pensés en repartant de la base : la création. Ce(ux) qu’il a sauvé(s) du naufrage ? D’abord, un immeuble haussmannien vieux de 130 ans bâti par l’architecte parisien Eugène Ewald à qui l’on doit aussi l’église Saint-François-de-Sales dans le XVIIe arrondissement. C’est là, entre les deux caryatides en bronze, que la famille Guerbois fonda en 1885 des thermes privés assidûment fréquentés par les forts des Halles et le gratin des intellectuels parisiens comme Proust, Zola et toute la clique des impressionnistes, de Pissaro à Degas. C’est là aussi, à l’aune des eighties, qu’un mythe du clubbing parisien prend sa source. Designé en 1978 par un certain Starck et piloté par le duo Fabrice Coat et Jacques Renault, les Bains-Douches attirent dans leurs rets nocturnes la fine fleur des jet-setters du monde des arts et du spectacle. Jean-Pierre Marois peut aujourd’hui se féliciter. Il a évité une mort certaine à ce vaniteux panthéon où gît l’esprit festif de ses compagnons de bringues : Warhol, Basquiat et autres Saint Laurent. Est-ce la vraie raison de la résurrection de l’immeuble des Bains tombés en décrépitude avec le passage à l’an 2000 ? Quand on interroge un de ses lieutenants, celui-ci lâche : «?Jean-Pierre raconte avant tout son histoire. C’est du story-telling.?» Qu’en dit l’intéressé ? «?C’est une narration, presque une fiction?», reconnaît celui qui a finalement honoré la maxime paternelle en s’acquittant de «?ce devoir majeur de maintenir l’héritage de la nature?».
Animal social
La nature de Marois, c’est celle d’un animal social avide de la compagnie des hommes dont il se nourrit pour mieux cerner son époque. Deux décennies durant, il s’est évertué à comprendre la mécanique humaine. Tantôt photographe de mode et portraitiste, il saisit avec son Pentax l’âme d’Anthony Quinn, Sean Penn, Costa-Gavras et Martin Scorsese, son idole. Tantôt producteur, il raconte des histoires. Avec sa boîte Central Films, il produit les œuvres de Ferrara, Iñárritu et Jarmusch après avoir essuyé en 2001 les plâtres de la critique américaine en présentant son premier long-métrage Live Virgin. «?C’est vrai, il y a eu des hauts et des bas, admet-il, mais les gens heureux n’ont pas d’histoire à raconter !?» Des histoires, Jean-Pierre Marois en a pléthore. «?C’est un esprit libre?», convient le producteur Yves Darondeau, son ami de quinze ans. «?C’est un créateur d’alchimie?», poursuit Pedro Novo, le directeur régional Paris de BPIFrance qui a soutenu le projet de réhabilitation du 7 rue du Bourg-l’Abbé. «?S’imbiber, s’imprégner, s’enraciner?» sont les fers de lance énumérés par l’homme installé en face de nous. Sa plus grosse phobie ? Le temps qui passe. Pour connaître son âge, il faut lui arracher aux forceps et promettre de ne pas en faire étalage dans notre article. «?C’est mon côté Peter Pan?», reconnaît-il. Comme pour faire un pied de nez au temps, Jean-Pierre Marois s’est offert un bain de jouvence en pleine course contre la montre. Et l’homme d’affaires de citer le réalisateur Rainer Werner Fassbinder : «?Faire un film, c’est comme construire une maison.?» Lui, a créé une boutique-hôtel pour mieux rembobiner le film de sa vie.
« Personne n’y croyait !?»
La convocation du destin tombe le 1er juin de l’année 2010. Les Bains-Douches prennent l’eau. Frappé d’un arrêté de péril, l’immeuble menace de s’écrouler. Les murs tremblent. Chaque jour, des bennes de gravats sont vidées sous les yeux médusés des locataires qui progressivement quittent le navire. Le tribunal de grande instance de Paris a déjà ordonné deux fois la «?cessation immédiate des travaux?» à l’exploitant, la société Vima Les Bains gérée par Hubert Boukobza, figure de la nuit parisienne et propriétaire du fonds de commerce depuis 1984. Sans succès. Alors qu’il est en vacances à Bali, les concierges appellent le propriétaire sur son portable pour l’avertir. «?C’était une période sinistre et déprimante?», se souvient M. Marois. Commence alors la valse des vautours et des marchands de biens venus renifler la belle affaire immobilière. Le tout-Paris festif lorgne sur le 7 rue du Bourg-l’Abbé. Pourtant, pas un seul businessman sain d’esprit ne se risquerait à investir. De Laurent de Gourcuff (Castel, Le Raspoutine…) à Philippe Fatien (Le Queen) en passant par l’un des frères Costes, ils sont unanimes devant l’ampleur des travaux : c’est un gouffre financier. «?Personne n’y croyait !?», rappelle vigoureusement l’actuel propriétaire. «?C’était un pari fou?», renchérit Pedro Novo, soutien de la première heure, à l’instar de Renaud Vedel, alors bras droit du préfet de police de Paris et aujourd’hui numéro deux à Matignon. Pour sauver le patrimoine familial, il a fallu restructurer l’actif, le refinancer et lever des fonds. L’addition est salée. Le coût estimé des travaux (douze millions d’euros) a de quoi décourager.
Enfant, il tutoyait les géants d’un autre siècle
Jean-Pierre Marois est un homme discret à la confidence rare et pudique. Petit-fils et fils de médecins, petit dernier d’une fratrie de trois avec ses deux sœurs, il a longtemps porté sur ses épaules le poids des aspirations paternelles… Son père le veut médecin. «?Cette pression était pénible?», confie celui que ses proches estampillent «?entrepreneur artiste?». Très tôt positionné en observateur de son temps, Marois grandit sur la rive gauche, noyé dans un bain de culture. Loin du cliché de la famille bourgeoise catholique pratiquante, vivant dans l’ouest parisien et votant à droite, les Marois sont un subtil mélange de culture pétri d’ouverture d’esprit. En témoigne cette désopilante anecdote où le patriarche, alors étiqueté mandarin, ouvre la porte du domicile familial, un soir d’échauffourée de mai 1968. «?Une vraie scène de film !?», s’exalte encore son fils. Il est une heure du matin quand une demi-douzaine d’étudiants tambourine pour échapper aux CRS. «?Mon père en pyjama et ma mère en robe de chambre les ont accueillis pour leur éviter d’être passés à tabac. Ils ont dormi par terre dans le salon au milieu des meubles Louis XVI et certains sous le piano à queue. Cocasse !?», se remémore celui qui enfant tutoyait les géants d’un autre siècle. Il faut dire que son père, Maurice Marois, est un médecin éminent, officier de la Légion d’honneur et grand spécialiste d’histologie et d’embryologie.
Pour le rencontrer, les prix Nobel et les grands esprits se pressent dans l’appartement familial situé face au jardin du Luxembourg. Jacqueline de Romilly et surtout René Cassin comptent parmi les plus fidèles convives. Vertige devant ces grands hommes entrés au Panthéon, la patrie reconnaissante. À l’instar de Jean-Pierre Marois qui a forgé sa gouaille en battant la controverse et en s’amusant à des vétilles perché sur les genoux de celui qui est considéré comme le père de la Déclaration universelle des droits de l’homme. «?C’était formidable d’avoir du répondant?», s’enthousiasme-t-il, tout en évoquant les conversations à bâtons rompus entretenues avec son père autour de Chateaubriand et autres Proust. Littéraire et érudit, Marois a déjà le verbe facile. Avec le physicien Leon Cooper, il découvre le «?côté yankee, aux antipodes du parisien suranné?» côtoyé dans les établissements élitistes, de l’École alsacienne au collège Stanislas. Curieux, il cultive très tôt selon ses thuriféraires «?une certaine aptitude sociale?» couplée à «?une aisance naturelle?». Lui appelle cela «?le fameux esprit français?».
Pilier du mouvement festif
Dans cette famille qui flirte avec le jansénisme, on ne parle guère immobilier et surtout pas d’argent. Si le 7 rue du Bourg-l’Abbé est un nom quelquefois évoqué, il reste une curiosité. Jusqu’à ce jour d’hiver 1978, où le fils découvre dans la pile de courrier entassée sur la cheminée de la chambre paternelle, un mystérieux carton d’invitation pour l’inauguration du club des Bains-Douches. «?Évidemment, j’ai demandé à y aller !?», s’exclame-t-il. Le 21 décembre 1978, en prévision de l’affluence pour l’ouverture de la discothèque, huit cars de CRS sont postés à chaque extrémité de la rue. Près de 3 000 personnes défilent, dont le jeune Marois. «?À l’époque, clubber s’apparente presque à un acte militant, rappelle l’héritier. C’est un style de vie, une réponse à l’ennui existentiel.?»
Quand on le désigne comme un pilier du mouvement festif, Jean-Pierre Marois éclate de rire et se défend : «?Je n’ai pas toujours été un clubber !?» Et l’homme mature de confesser à demi-mot avoir désormais rejoint les rangs des couche-tôt. Il n’en a pas toujours été ainsi. À 14 ans, le garçon saisit déjà l’énergie juvénile qui anime la jeunesse anglaise frustrée et en colère : il adhère au mouvement punk, écoute les Sex Pistols en boucle, se taille une coupe hirsute et traîne ses guêtres au Palais des Glaces et au Gibus, là où les concerts underground battent leur plein. Parmi ses copains de l’époque, il y a le fils Hossein, Denis Westhoff, le rejeton de Françoise Sagan, et bien sûr Olivier Castel qu’il fréquente depuis la maternelle. Ensemble, ils font leurs armes festives chez Castel, boudent Régine préférant se rendre aux Bains et au Bus. Mais c’est à l’Élysée Matignon où Gainsbourg a ses habitudes que Marois traîne. Grâce à son oncle Pierre Marois, illustre docteur en chirurgie dentaire, il fréquente les stars des années 1980. Dans la salle d’attente du chef de service de l’hôpital américain défilent Romy Schneider, Ursula Andress, Belmondo, l’Aga Khan et le Mime Marceau. «?C’était les Bains version dentiste !?», plaisante M. Marois qui, grâce aux relations familiales, fait ses premiers pas dans l’univers du cinéma en décrochant un petit job sur le tournage du Marginal réalisé par Jacques Deray. Il n’a que 21 ans.
« Si on respire quelque chose toute sa vie, on le transpire?»
Jean-Pierre Marois est un épicurien au long cours d’une politesse extrême, dont l’aisance oratoire désarçonne. Chez lui, aucun signe extérieur de networker ultra-connecté qui aligne avec ostentation une ribambelle de smartphones en plein milieu de la table. Le sien est éteint. Plongé au fin fond de sa poche. Peu amène au «?name-dropping?», le propriétaire des Bains a pourtant un carnet d’adresses international très bien achalandé. De ceux qui vous permettent de prendre la tangente. Comme cet été 1986 où il découvre New York après avoir convaincu son père de le laisser s’inscrire à la Film School de NYU. Installé dans un appartement qui donne sur la vingt-deuxième et Broadway à l’angle du Madison square park, Marois est happé par la vie new-yorkaise. L’enfant gâté se faufile dans la nuit. Bien né, bien entouré, le jeune homme a rapidement assimilé les codes de son milieu aristocratique. Sans piston, les portes des endroits sélects s’ouvrent facilement. «?Si on respire quelque chose toute sa vie, on le transpire?», martèle celui qui dîne à La vie en rose avec Grace Jones, fréquente Keith Haring et Warhol à l’Area, au Palladium et à la Danceteria, le QG de la scène disco. «?C’était d’une grande vacuité, reconnaît-il, mais c’était très excitant de croiser Boy George, de se disputer des filles avec le chanteur de Duran Duran. Je me grisais de toutes ces rencontres.?» Dandy, il l’est, il ne peut le nier. Séduire fait partie de son ADN.
Un track record dans l’hôtellerie
Un atout indéniable quand l’enjeu est de convaincre les banquiers d’investir dans la restauration d’un immeuble frappé d’un arrêté de péril en pleine crise patrimoniale. Début 2011, Jean-Pierre Marois a en tête de transformer le 7 rue du Bourg-l’Abbé en boutique-hôtel. L’homme n’en est pas à son premier coup d’essai. D’abord, il connaît bien les hôtels. Il les a écumés en tant que photographe pour Le Figaro magazine son quart de siècle à peine entamé. C’est un nomade qui aime à séjourner au Blakes de Londres et dans les Soho House de New York même si sa préférence va naturellement au légendaire «?Chateau Marmont?» de Los Angeles.
Le fils Marois porte en lui le goût de la pierre. Son grand-père maternel est un bâtisseur débarqué de Belgique pour la reconstruction post-Première Guerre mondiale. Autre corde à son arc, l’homme d’affaires a dans l’hôtellerie un petit track record. En 2008, alors que la production du film I Come with the Rain de Tran Anh Hung se révèle être une catastrophe financière pour sa boîte, Marois décide de raccrocher. Contre toute attente, il rachète le fonds de commerce d’un hôtel deux étoiles du XIe arrondissement pour le transformer en boutique-hôtel design, bio et détox. Le premier concept du genre à Paris. Oséo et le Crédit agricole sont de la partie. Après un an de travaux à marche forcée, l’Hôtel Gabriel est plébiscité par la presse internationale. Le taux d’occupation dépasse les 80?% et les chambres auparavant tarifées cinquante euros en coûtent désormais deux cents. Trois ans plus tard, Marois revend à Thibault Vidalenc, hôtelier parisien à la tête de Brimaral. La plus-value est significative et lui permet de remettre au pot pour Les Bains aux côtés de Banque populaire Rives de Paris, BPIFrance et BNP Paribas.
Donner le ton de la création
Cette capacité à enrôler les gens, Marois en a usé une nouvelle fois pour perpétuer la destinée des Bains comme «?lieu propice et fertile à la création?», selon ses mots. «?À cheval sur trois siècles, comment et surtout pourquoi cette adresse a-t-elle rassemblé les plus grands talents, catalysé de telles énergies tout en impulsant les inspirations et les tendances de demain ??», s’interroge-t-il encore. C’est aussi la question que s’est posée à haute voix et avec une fausse candeur Jérôme de Noirmont, le galeriste de Keith Haring et Basquiat, quand il a découvert début 2013 la résidence d’artistes étalée sur les 3 000?m² de l’immeuble bringuebalant. «?Il était estomaqué !?», se souvient le propriétaire des lieux.
Au milieu des moulures et des cheminées d’antan, la «?golden class?» du street art et du graffiti affiche sa créativité sur les murs et les parquets d’une institution qui transpire la bourgeoisie. Une manière de transgresser les codes en vigueur pour mieux tourner la page d’un mythe déchu. Le producteur de cinéma inscrit à son track record un audacieux coup de poker. Pour la première fois en 130 ans d’existence, l’immeuble est vide. En attendant le permis de construire, Marois a donné quatre mois durant carte blanche à Magda Danysz, la spécialiste parisienne de l’art urbain. La galeriste a rassemblé un collectif d’une quarantaine d’artistes français et étrangers qui sur quatre générations ont fait bouger les lignes de la création. Il y a des graffeurs (Psy, Nasty…) et des street artists (Invader, L’Atlas, Ludo…) qui se mêlent aux fondateurs historiques (Jérome Mesnager, Gérard Zlotykamien…) et à d’autres plus contemporains (Joachim Sauter). Le coup de pub est formidable. L’immeuble ne désemplit pas. Auparavant vaisseau fantôme vidé de tous ses locataires, Jean-Pierre Marois donne une nouvelle fois le ton de la création en affichant un chantier artistique éphémère. «?C’est un grand enfant qui s’émerveille encore de l’aventure dans laquelle il s’est embarqué?», révèle son ami le producteur Yves Darondeau, oscarisé en 2006 pour La Marche de l’empereur.
De Schrager à Balazs
A-t-il envie de s’inscrire dans la lignée des André Balazs et autres Ian Schrager à l’initiative du Studio 54 et précurseur de la boutique-hôtel dans les années 1980 ? Si son admiration pour ce dernier est assumée, elle a ses limites pour le premier. L’homme d’affaires américain, détenteur de quatre boutiques-hôtels et de cinq établissements chapeautés par la marque Standard, a ouvert en 2010 au dernier étage de son hôtel new-yorkais un club baptisé Le Bain. Et ce n’est pas du goût de Marois qui ne cache pas son agacement : «?Cela me pose des problèmes de propriété intellectuelle aux États-Unis?», explique-t-il. Une anecdote qui en dit long sur la force de frappe de sa marque plus que jamais plébiscitée. Dior a étrenné les lieux en y rassemblant tout le gratin lors de la soirée de clôture de son fashion show, Pierre Hardy a créé une paire de baskets co-brandées pour fouler le dancefloor, la coutellerie Perceval façonne un couteau à steak et Descamps produit une ligne de peignoirs en édition limitée. Les maisons de disques ne se font pas prier pour envoyer leurs artistes sur la scène du club de 200 m2. «?Les gens ont envie de se frotter à la légende?», constate M. Marois. Résultat, le 28 juin dernier, l’homme d’affaires a ouvert au 2 rue du Bourg-l’Abbé une boutique pour présenter sa première collection d’objets. Malin.
The hospitality business
Des idées en chantier pour diversifier la marque des Bains, Marois en a plein ses tiroirs. Sa force c’est la densité de son réseau couplée à une approche holistique fidèle à la définition du roman selon Flaubert : «?L’auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout et visible nulle part.?» Le casting orchestré par le propriétaire des lieux est époustouflant. Le trio gagnant des architectes et décorateurs, Bastie-Montel-Auer, le chef-conseil Philippe Labbé, trois étoiles Michelin, Dorothée Piot, nez renommé de la parfumerie française, Jérôme Pauchant, curateur de la résidence artistique 2015 sans oublier son épouse Julie Sauvage, coordinatrice du studio femme chez Lanvin, qui a réalisé les tenues de l’équipe. Tout a été pensé dans les moindres détails. Control freak oblige. Si M. Marois donne une grande latitude à ses collaborateurs, c’est sous couvert d’un échange musclé en amont. «?C’est un spécialiste du stop & go et du go/no go?», taquine Pedro Novo qui salue son talent d’ensemblier. «?Une responsabilité qui lui va comme un gant?», affirme M. Darondeau. Et quand on interroge l’hôtelier pour savoir s’il se sait attendu au tournant, il répond : «?Je suis déjà au tournant !?» Créer de la convivialité était le subtext de sa vie, il en a fait son métier. En anglais, on appelle cela «?the hospitality business?» précise l’enfant terrible à qui il aura fallu trente ans pour raccrocher les wagons de sa destinée parfois contrariée. Mais si comme le martelait l’hôtelier Jean-Louis Costes, «?de la contrainte, naît le style?», Marois touche assurément au but.
Émilie Vidaud