Les apports en industrie dans les sociétés par actions simplifiées
Jusqu'alors banni des sociétés par actions, l'apport en industrie est désormais autorisé dans la SAS. Depuis le 1er janvier 2009, il est en effet possible de créer des SAS au capital social symbolique, l'essentiel des apports étant constitué par le travail des associés sous forme d’apports en industrie.
Les dispositions législatives étant assez succinctes, d’importantes incertitudes subsistent.
La loi du 4 août 2008 dite « loi de modernisation de l'économie » a introduit un alinéa 4 à l’article L.227-1 du Code de commerce, disposant que « la société par actions simplifiée peut émettre des actions inaliénables résultant d'apports en industrie tels que définis à l’article 1843-2 du Code civil. Les statuts déterminent les modalités de souscription et de répartition de ces actions. Il fixe également le délai au terme duquel, après leur émission, ces actions font l'objet d'une évaluation dans les conditions prévues à l'article L225-8 ».
Selon l’article 1843-2 du Code civil, « les apports en industrie ne concourent pas à la formation du capital social mais donnent lieu à l'attribution de parts ouvrant droit au partage des bénéfices et de l'actif net, à charge de contribuer aux pertes ».
L’apport en industrie
L’apport en industrie correspond à l’engagement de consacrer tout ou partie de son savoir-faire, ses compétences, son temps, son crédit, voire sa notoriété à une société. Cet apport peut être instantané ou s’échelonner dans le temps. L’apport en industrie constitue une reconnaissance du facteur humain au niveau d’une structure sociale. Connu des sociétés civiles professionnelles, il permet notamment la mise en commun de compétences, droits ou notoriétés. Admis dans les SARL depuis 2001, l’autorisation de l’apport en industrie dans les SAS répond aux attentes des artisans et des entreprises de conseil qui souhaitaient pouvoir exercer leur activité professionnelle dans le cadre de cette structure souple qu’est la SAS.
Un apport en industrie peut être réalisé au moment de la constitution de la société ou en cours de vie sociale. Le dispositif est ouvert à toutes les SAS, même constituées avant 2009.
L’apport en industrie peut être réalisé par toute personne, physique comme morale.
La contrepartie de l’apport en industrie
Comme tout apporteur, l’associé en industrie reçoit des actions en contrepartie de son apport. Ce peut être des actions ordinaires mais rien n’interdit d’émettre des actions de préférence, étant rappelé que dans les deux cas les actions concernées ne concourent pas à la formation du capital.
Les statuts de la SAS déterminent les modalités de souscription et de répartition de ces actions. Les associés apprécient donc librement la valorisation à accorder à un apport en industrie. Le commissaire aux apports n’intervient pas au moment de l’apport en industrie (à l’inverse de l’apport en nature) mais procédera à une évaluation des apports au terme d'un délai fixé par les statuts. L’article L.227-1 du Code de commerce prévoit l'évaluation des actions alors qu'en réalité il devrait s'agir de l'évaluation des apports. Dans le silence des textes, les statuts devront prévoir un mécanisme en cas de variation ou de différence entre l'évaluation de l'apport et la valeur des actions remises en contrepartie.
L’idée de limiter la durée de vie des actions en industrie a été supprimée lors des travaux parlementaires de sorte qu'il est possible de créer des actions en industrie d'une durée indéterminée. Que les actions soient de durée limitée ou non, les statuts pourront utilement prévoir les modalités de retrait ou d’exclusion de l'associé apporteur.
Les obligations de l’apporteur
La première obligation est bien entendu de réaliser l’apport. Par ailleurs, l’apporteur, comme tout associé, doit participer aux pertes (art. 1843-2 C. civ.). Dans les SAS, cette obligation est peu conséquente, la responsabilité des associés se trouvant par principe limitée à leurs apports. Pour l’apporteur en industrie, la contribution aux pertes se manifestera par la perte de la rémunération qu’il devait recevoir à raison de son activité.
Enfin, l’associé qui s'est obligé à apporter son industrie à la société lui doit compte de tous les gains qu'il a réalisés par l'activité faisant l'objet de son apport (art. 1843-3 C. civ.). Il en résulte en principe pour l’apporteur un engagement d’exclusivité et de non-concurrence au titre de l’industrie apportée. Néanmoins, cette disposition n’est pas d’ordre public et les parties pourront l’aménager.
Les droits de l’apporteur en industrie
Contrepartie de l’obligation de contribuer aux pertes, l’associé en industrie a droit au partage des bénéfices et du boni de liquidation. En l’absence d’indication statutaire, la part lui revenant est égale à celle de l’associé qui a … le moins apporté (art. 1844-1 C. civ.). Les statuts définiront donc utilement les droits financiers de l’apporteur en industrie : un dividende préciputaire fonction par exemple d’un pourcentage du chiffre d’affaires, etc.
L’associé en industrie a également le droit de participer aux assemblées (art. 1844 C. civ.). À défaut d’indication contraire, ce droit participatif est similaire à celui d’une action résultant d’un apport en numéraire. Il est cependant tout à fait possible d’accorder un droit spécifique à l’apporteur en industrie, surtout s’il joue un rôle primordial dans la société.
L’apporteur en industrie a-t-il d’autres droits ? droit aux informations ? droit de participer aux augmentations de capital ? Les textes sont muets sur ces questions : les statuts de la SAS devront donc définir précisément les avantages tirés des actions en industrie.
Caractéristiques des actions en industrie
Les actions en industrie sont inaliénables. Ce caractère est le pendant de l’intuitus personae de l’apport en industrie. Les actions en industrie s’éteignent donc par le décès de l’apporteur et ne sont pas transmissibles aux héritiers.
Ce caractère incessible signifie concrètement que dans une opération de capital investissement dans laquelle les managers ont vocation à apporter leur industrie, ces derniers ne peuvent participer sous forme de plus-value à la sortie des investisseurs (sauf à organiser le retrait préalable du manager-apporteur en industrie). Le recours à ce type d’apports pour les managers (qui ne disposent en général pas des mêmes moyens financiers que les investisseurs) paraît donc assez limité dans ce type d’opération.
Nous l’avons vu, les actions en industrie ne concourent pas à la formation du capital. Dès lors, les actions en industrie n’ouvrent pas droit au bénéfice du régime fiscal « mère fille ».
Quelques difficultés fiscales et sociales
Un des problèmes liés à l’apport en industrie est la distinction du statut d’associé apporteur en industrie avec celui de salarié. Dans le principe, la mise à disposition d’un savoir-faire ou de compétences peut revêtir la forme d’un contrat de travail ou d’un apport en industrie. Or la jurisprudence a déjà indiqué que « le contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination de leur convention, mais des conditions dans lesquelles la prestation de travail est fournie »1. L’apport est marqué par l’affectio societatis, excluant le lien de subordination (i.e. fait d’effectuer une tâche en réponse aux directives d’une autre personne) qui caractérise juridiquement le contrat de travail. La distinction n’est pas aisée en pratique, alors que les conséquences sont importantes : quel régime d’affiliation sociale ? salaire minimum ? etc.
De même, l’administration fiscale n’a pas encore pris position sur le traitement des produits des actions en industrie. L’extension du régime applicable aux SARL conduirait à considérer que les rémunérations versées aux apporteurs en industrie ès qualités au titre de l'activité déployée dans la société, sous la forme d'une rémunération périodique (mensuelle ou trimestrielle) sont imposables dans la catégorie des traitements et salaires ; à l’inverse, la quote-part des bénéfices distribués relève de la catégorie des revenus mobiliers2. En outre, les indemnités en cas de retrait (ou d’exclusion) d’un apporteur en industrie relèveraient des traitements et salaires3.
En conclusion, l’admission des apports en industrie dans les SAS constitue une véritable reconnaissance du facteur humain et personnel dans les sociétés de capitaux. Cependant, hormis les cas spécifiques tels que l’apport d’une notoriété ou d’un savoir-faire, le recours à ce dispositif pour les personnes physiques ne semble pas pouvoir rivaliser avec le statut d’auto-entrepreneur ou de salarié.