ESN spécialisée dans le développement de logiciels, Shodo a fait le choix peu après sa création en 2019 de rendre transparentes les rémunérations de tous ses collaborateurs, dirigeants compris. Une pratique qui lui permet de limiter le turnover. Explications avec son CEO Jonathan Salmona.
Jonathan Salmona (Shodo) : Rendre transparentes les rémunérations pour faire baisser le turnover
Décideurs. Pourquoi avoir rendu publiques toutes les rémunérations de Shodo, dirigeants inclus ?
Jonathan Salmona. Dans notre secteur, celui des ESN, le turnover en France atteint 30 %. Cela veut dire qu’en trois ans une entreprise se vide complètement de ses salariés. Ce qui pose un problème opérationnel et frustre tout le monde : les clients ne bénéficient pas du suivi nécessaire dans leur projet de développement de logiciel. Il y a également de la frustration du côté des employés. Même si les développeurs gagnent bien leur vie, ils ont souvent le sentiment de se faire tondre car la création de valeur qu’ils apportent est importante. C’est pour cela que beaucoup quittent le salariat. Chez Shodo, nous souhaitons lui redonner ses lettres de noblesse.
Comment concevez-vous la transparence ?
Il peut y avoir confusion sur ce qu’est la transparence. La transparence n’équivaut pas au consensus. Elle est là pour faire émerger plus rapidement les désaccords. De plus, il vaut mieux l’établir sur une politique de rémunération équitable. Si vous êtes transparent en dévoilant que votre meilleur salaire équivaut à 500 fois celui du plus petit, cela ne règle pas le problème des inégalités. Chez Shodo, nous avons encadré statutairement le salaire de nos dirigeants. Ce qui veut dire que nous pouvons être attaqués par nos associés. Or, 34 % de notre capital est détenu par les salariés. La plus forte rémunération ne peut excéder trois fois la plus petite rémunération moyenne ou deux fois le salaire médian.
Comment fonctionne votre système de rémunération ?
Nos collaborateurs touchent des salaires qui sont plafonnés et correspondent à des années d’expérience, mais ces fixes sont complétés par une redistribution de la marge excédentaire. Celle-ci est convertie pour un tiers en variable, un tiers en congés et un tiers en temps libre professionnel (vous allez au travail mais pour profiter de vos collègues, vous former, donner des cours ou ne rien faire). La redistribution de marge est un mécanisme un peu abscons. C’est pourquoi nous avons mis à disposition un simulateur de revenus.
"Une grille de salaire donne les mêmes droits et les mêmes devoirs, indépendamment du genre, du lien entre le dirigeant et le salarié ou de sa timidité"
Quelles sont les objections qui vous sont opposées ?
Souvent les chantres de la méritocratie estiment que la grille n’est pas juste car elle donne les mêmes avantages à tout le monde. Mais la méritocratie est quelque chose de très discutable. Elle aurait une vraie valeur si nous avions tous les mêmes chances dans l’existence, ce qui n’est pas le cas. Les femmes s’occupent plus de la maison que les hommes, en fonction de votre niveau social vous n’avez pas les mêmes chances de succès, etc. Et comment détermine-t-on ce qui différencie un meilleur salarié d’un autre ? Celui qui facture plus, celui qui est le plus appliqué, celui qui travaille le plus vite ? Enfin, le système des augmentations ne fonctionne que pour ceux qui savent les demander. Le seul moyen pour les autres de connaître leur valeur est de passer des entretiens d’embauche et donc, souvent, de s’en aller. Une grille donne les mêmes droits et les mêmes devoirs, indépendamment du genre, du lien entre le dirigeant et le salarié ou de sa timidité. Une grille est injuste mais l’injustice est une question de référentiel. Dans une politique RH, ce qui compte c’est d’assumer les imperfections de son système de rémunération. Par ailleurs, notre politique de salaire fixe est complétée par un variable indexé sur la performance économique des missions. Nous rémunérons donc non pas le mérite individuel mais la capacité à bien se vendre.
Quel est l’impact sur le turnover ?
Depuis cinq ans que nous avons mis en place ce système, nous ne perdons qu’un seul collaborateur par an. Nous sommes actuellement plus de 110. À notre création, notre grille salariale était supérieure de 16 % à ce qui se pratique dans le marché et les paliers annuels d’augmentation automatiques de 5 % environ. Tout le monde ne se reconnaît pas dans notre politique salariale, c’est certain. Mais nous n’avons pas besoin de chasseurs de têtes pour recruter. Nous diffusons du contenu sur notre marque employeur et nous n’avons qu’à gérer les candidatures entrantes.
Propos recueillis par Olivia Vignaud