Catholiques, juifs et musulmans pratiquants sont minoritaires dans la société, ce qui pousse à l’entraide communautaire. Notamment sur le marché de l’emploi. Focus sur un mode de networking peu connu du grand public.
Emploi. Réseaux religieux, faut-il y croire ?
La France est l’un des pays où le nombre de personnes ne s’identifiant à aucune religion est l’un des plus élevés du globe : 70 % selon une étude internationale menée par l’institut Gallup. Devenus minoritaires, les croyants de toutes confessions ont tendance à s’entraider sur le plan spirituel mais aussi matériel. C’est notamment le cas en matière de recherche d’emploi.
Réseaux cathos
"Les catholiques pratiquants ont tardivement compris une chose : leur base se rétracte, estime Laurent, trentenaire, catholique pratiquant et cadre dans l’industrie pharmaceutique. Il en résulte un sentiment d’appartenance assez fort et une volonté de s’entraider au quotidien, notamment sur le marché de l’emploi." Avec une nuance de taille qu’il tient à préciser : "Dans la communauté, la notion de mérite est très haute. Les valeurs communes peuvent rassembler mais le népotisme ou le simple fait d’être coreligionnaire ne fonctionne pas." Depuis quelques années des structures d’aide à la recherche d’emploi se développent. Laurent cite notamment "Ecclésia RH ou le Rasso, association des anciens scouts d’Europe devenue quasiment un jobboard où l’on peut faire passer des annonces". Au-delà des réseaux structurés, certaines grandes entreprises possèdent encore un ADN chrétien développé. Citons la marketplace ManoMano fondée par d’anciens scouts, Air Liquide, Michelin, Danone ou encore les entreprises appartenant aux familles Mulliez et Bolloré. "Elles sont encore teintées de catholicisme et le fait d’avoir été scout ou d’être investi dans une paroisse est souvent un plus", observe Laurent qui estime que, dans le secteur public, le ministère de la Défense est dans le même cas de figure.
"Les paroisses de centres-villes sont dynamiques et regroupent de nombreux cadres dirigeants"
Entraide musulmane et juive
La communauté musulmane se démarque, elle aussi, par une certaine entraide. Si Facebook regorge de sites permettant d’accéder à des postes peu qualifiés, les cadres se sont aussi structurés. Le socle est constitué par le site cadres-muslims.com qui revendique 100 000 membres et propose "une entraide professionnelle" et des "événements de networking". Dans certains domaines, notamment l’informatique et la data science, de nombreux cadres formés dans les pays du Maghreb (notamment le Maroc) réalisent de belles carrières. Et peuvent de façon informelle conseiller des compatriotes ou des coreligionnaires sur les compétences les plus "bankables" ou les secteurs offrant le plus de perspectives. Du côté de la communauté juive, ce type de réseaux en ligne n’est pas forcément développé. "Il existe des groupes d’entraide sur Facebook mais, à ma connaissance, ils sont plutôt utilisés pour des recherches de stages, d’alternance ou à la rigueur de premier emploi", observe Émile Ackermann jeune rabbin qui officie dans une synagogue de Bastille. Selon lui, le réseautage informel se pratique surtout en physique par exemple à la fin d’un office religieux.
Sortie d’office
À la sortie d’une synagogue, on ne parle pas uniquement de religion. Les questions professionnelles sont elles aussi abordées. Une aubaine pour les cadres en recherche d’emploi puisque les rares études sur la communauté juive de l’Hexagone tendent à montrer que les personnes se définissant comme juives sont surreprésentées dans les cadres dirigeants. Dans l’ouvrage L’an prochain à Jérusalem ? publié en 2016, le sondeur Jérôme Fourquet et le géographe Sylvain Manternach esquissent un portrait-robot de la communauté. Elle serait composée à 27 % de cadres, professions libérales, commerçants et chefs d’entreprise, soit le double de la moyenne nationale. Une situation que reconnaît volontiers Émile Ackermann qui ne fait pas mystère du profil fréquentant son lieu de culte : "Oui, le public est plutôt CSP+." Chez les catholiques, la fréquentation de la messe dominicale est également un atout : "Être investi dans une paroisse est clairement un plus lorsque l’on est un cadre. Cela permet d’accéder au fameux réseau caché de l’emploi", observe Laurent. Selon lui, certaines paroisses sont particulièrement propices au networking : "Les meilleures sont dans les centres-villes des grandes métropoles qui sont encore très dynamiques et présentent l’avantage de rassembler un grand nombre de cadres dirigeants." Il songe notamment à une paroisse parisienne où de nombreux cadres dirigeants de groupes du CAC 40 sont habitués à chanter dans la même chorale. "Et forcément, à la sortie de l’office, on parle boulot. C’est le bon moyen de faire connaître sa disponibilité, ses besoins."
"Débarquer dans une communauté de croyants uniquement avec une arrière-pensée professionnelle, ça ne marche pas"
Rejet des tartuffes
Mais attention, commencer à « s’incruster » dans un cercle religieux dans le seul but de faire passer son CV n’est pas la meilleure des solutions. "Dans notre communauté, nous sommes avant tout axés sur le spirituel. Évidemment, nous nous entraidons, mais débarquer avec une arrière-pensée de networking, ça ne fonctionne pas et ça se voit tout de suite", tient à avertir Émile Ackermann. Même son de cloche du côté des catholiques. "Assister à quelques messes le dimanche ne suffit pas. Il faut s’investir dans la paroisse, générer de la confiance, montrer de la fiabilité, donner de son temps et être altruiste", constate Laurent.
Un réseautage comme les autres
Dans une société qui se méfie globalement du communautarisme, ces types de réseaux peuvent avoir mauvaise presse et souffrir de clichés. Mais finalement, leur fonctionnement est le même que les associations d’anciens élèves. Les deux permettent de mettre en relation des employeurs et des demandeurs d’emploi qui partagent les mêmes valeurs, ce qui rend le management et le quotidien plus simples. "Que ce soit via des anciens d’une école ou une pratique religieuse commune, le principe reste le même : il s’agit de faire passer son CV à la bonne personne, si possible en se targuant de relations communes, ce qui constitue une garantie. La candidature peut se retrouver en haut de la pile. Mais, in fine, c’est toujours la compétence qui prime", affirme Laurent. La pratique religieuse serait donc une soft skill comme les autres.
Lucas Jakubowicz