Gianpiero Petriglieri (Insead) : « Les émotions, l’ingrédient principal du leadership »
Décideurs. Selon vous, quelles sont les compétences clés qu’un « leader » doit avoir ?
Gianpiero Petriglieri. Premièrement, un leader doit disposer d’une bonne connaissance du domaine ou du sujet dans lequel il souhaite opérer. Si un leader n’est pas « le » spécialiste, il doit, pour être crédible, montrer un véritable intérêt pour son secteur. Deuxièmement, il doit être capable de communiquer clairement, d’influencer, de motiver et d’être à l’écoute des autres, même s’ils ne partagent pas le même avis. Troisièmement, il doit comprendre les dynamiques au sein même et à l’extérieur de son équipe et de son entreprise. Quatrièmement, il doit avoir le courage de parler et d’agir même dans des situations peu confortables, et aussi de s’accorder un temps de réflexion quand cela s’avère nécessaire. Cinquièmement, il doit être symbole d’intégrité : il doit y avoir une cohérence entre son message et son comportement. Un leader n’est pas qu’un architecte : il est le représentant d’un ensemble de valeurs, d’une manière d’être à laquelle on peut adhérer. Bien diriger n’est pas juste une question de compétences.
Décideurs. Quel leader vous a le plus marqué ?
G.P. Les managers, les professeurs et les journalistes sont plus préoccupés à étudier les « grands leaders » plutôt que de se concentrer sur les actions quotidiennes de leadership menées au sein d’une organisation, assurant ainsi son succès ou non. J’ai été impressionné par des personnalités rencontrées au cours de ma carrière qui n’avaient pas le titre de « leader ». Ils ne feront pas les couvertures des magazines, mais ils prennent chaque jour des responsabilités pour aller jusqu’au bout de leur croyance. C’est ce qui les rend remarquables.
Décideurs. Faut-il des leaders d’un côté, des managers de l’autre ?
G.P. C’est une distinction artificielle et une façon dangereuse de diviser les choses, une fausse dichotomie enseignée depuis toujours. Le leadership serait une question de vision, de culture et de changement, alors que le management serait une question de travail au quotidien. Le leadership répondrait à la question « Pourquoi ? », le management à la question « Comment ? ». En réalité, leadership et management vont de pair : il s’agit de donner au travail une direction, une efficacité et un sens.
Décideurs. Selon vous, peut-on enseigner le leadership ?
G.P. Je ne pense pas qu’il puisse être enseigné. Il peut être appris au travers d’expériences vécues. Il faut savoir prendre le temps d’en tirer des leçons. L’objectif des programmes de développement du leadership est de fournir les repères nécessaires afin que les participants puissent tirer les leçons de leurs propres expériences. Ils peuvent ainsi développer leurs compétences de leader.
Décideurs. En France, leadership et charisme sont deux notions que l’on mélange souvent.
G.P. On peut parler de charisme quand des personnes suivent une vision dans laquelle vous êtes pleinement engagé. On a tendance à penser que le charisme est inné. D’ailleurs, l’origine de ce mot vient du grec et signifie « cadeau des dieux ». Celui qui possède ce don serait prédisposé à devenir leader. Les personnes s’estiment charismatiques quand elles sont perçues comme leader par les autres, mais la source du leadership n’est pas le charisme. C’est la capacité d’articuler une vision et une image du futur qui correspondent aux attentes et désirs des autres. Quand vous y parvenez, vous êtes perçu comme un symbole d’espoir et devenez alors charismatique. Le danger ? Devenir trop confiant, ne plus être à l’écoute et cesser de poser les bonnes questions. Les leaders sont les plus vulnérables lorsqu’ils sont trop charismatiques.
Décideurs. L’intelligence émotionnelle est un concept qui reste très théorique. Quelle est sa place exacte ?
G.P. C’est un concept important lorsqu’on parle de leadership. Les émotions sont l’ingrédient principal du leadership. Elles sont très complexes et difficiles à théoriser. J’entends souvent dire de certaines personnes qu’elles ont plus appris sur leurs émotions en lisant un roman ou en regardant un film qu’en lisant un article consacré à cette thématique. Les émotions ne peuvent pas se résumer à des théories ou des instruments scientifiques. Il est important que les leaders disposent d’un cadre qui leur permet d’explorer et de travailler avec leurs émotions. Que vous l’appeliez intelligence émotionnelle ou autre, nous avons besoin de codes et d’instruments pour nous aider à mieux comprendre et travailler avec nos émotions