Par Frank Wismer, avocat associé, et Jean de Calbiac, docteur en droit. Fromont Briens
Régulation de la rémunération des dirigeants?:le rôle méconnu des actionnaires
Le gouvernement envisage de déposer à l’automne un projet de loi relatif à l’encadrement des pratiques de rémunération et à la modernisation de la gouvernance des entreprises. Pourtant, les sociétés cotées et leurs actionnaires disposent déjà d’un arsenal juridique méconnu mais très fourni leur permettant de contrôler et, dans certaines hypothèses, de remettre en cause les rémunérations excessives ou injustifiées de leurs dirigeants.
Le décret n°2012-915 du 26 juillet 2012 relatif au contrôle de l’État sur les rémunérations des dirigeants d’entreprises publiques dont le principal objet est le plafonnement de la rémunération annuelle brute de ces derniers à 450 000 euros constitue la dernière incursion des pouvoirs publics dans le domaine de la rémunération et des avantages sociaux des dirigeants. En une décennie, ce ne sont pas moins d’une dizaine de lois qui ont encadré les conditions de détermination de la rémunération des dirigeants. Dans ces conditions, est-il opportun de légiférer à nouveau ou ne conviendrait-il pas, notamment dans les sociétés cotées, de laisser le temps aux actionnaires de s’approprier les actuels instruments de contrôle et de contestation des rémunérations des dirigeants ?
Contrôle des rémunérations
Au cours de cette dernière décennie, les interventions du législateur ont permis aux actionnaires de sociétés cotées d’exercer un réel contrôle sur la rémunération des dirigeants d’entreprise.
Transparence. La condition préalable à tout contrôle est de permettre aux actionnaires de connaître le montant et la structure de la rémunération de leurs dirigeants. Or, pendant longtemps, ceux-ci n’ont disposé que d’informations très parcellaires lorsqu’ils n’appartenaient pas au conseil d’administration.
La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 (NRE) a imposé que le rapport de gestion rende « compte de la rémunération totale et des avantages de toute nature versés durant l’exercice de chaque mandataire social ». Le rapport doit notamment faire apparaître, pour chaque mandataire social, de façon distincte, les éléments de rémunération, fixes, variables, exceptionnels ainsi que les éléments de rémunération « post mandat social » (régimes de retraite, indemnités de départ). Les actionnaires sont également informés par des rapports spécifiques sur les attributions de stock-options ou d’actions gratuites.
Vote sur les rémunérations complémentaires. En raison du risque de dilution du patrimoine des actionnaires, la mise en place d’un plan de stock-options ou d’actions gratuites nécessite l’autorisation préalable de l’assemblée générale.
En outre, la loi n°2007-1223 du 21 août 2007 (Tepa) a soumis les engagements « correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d’être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions » (essentiellement les indemnités de départ et certains régimes de retraite) à une procédure dite renforcée des conventions réglementées. Celle-ci implique, outre des conditions de performance et une publicité spécifique, un vote nominatif des actionnaires sur ces éléments de rémunération lors de leur mise en place ainsi qu’à chaque renouvellement du mandat.
En d’autres termes, les actionnaires disposent désormais d’un pouvoir décisionnaire sur une grande partie des rémunérations complémentaires des dirigeants qui représentent, rappelons-le, une part non négligeable de leur rémunération globale. Mais, de nombreuses questions subsistent et n’ont, à ce jour, pas encore été résolues.
À titre d’exemple, la procédure renforcée des conventions réglementées ne s’applique pas au financement d’un régime de retraite à cotisations définies lorsqu’il bénéficie de l’exclusion d’assiette régie à l’alinéa 6 de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale. Or, cette exclusion est admise dans des limites fixées à l’article D.242-1 du même code. Si le régime comporte un financement excédant ces limites, doit-on considérer que ce dépassement non exonéré est soumis à la procédure renforcée ? Plus largement, quelle attitude adopter lorsque le bénéfice de l’exonération est remis en cause à la suite d’un contrôle Urssaf ? De ce point de vue, le dispositif issu de la loi Tepa n’est probablement pas encore « assimilé » et la première préoccupation des pouvoirs publics devrait être d’en assurer l’application effective plutôt que d’envisager une nouvelle réforme.
Contestation des rémunérations irrégulières
Action ut singuli. En cas d’inertie des dirigeants (ce qui peut être le cas s’agissant de leur propre rémunération), les actionnaires disposent d’une action ut singuli leur permettant ainsi, sous certaines conditions, d’intenter une action sociale en responsabilité contre les dirigeants sociaux lorsque leurs rémunérations ne sont pas attribuées conformément aux dispositions légales.
Actions civiles. Les actionnaires peuvent veiller au respect des dispositions du Code de commerce relatives à la détermination de la rémunération des mandataires sociaux. Pour mémoire, la méconnaissance de ces règles (contenu de la délibération, compétence de l’organe, conditions de performance, publicité…) est sanctionnée par la nullité de l’avantage.
La Cour de cassation fait, au cas particulier des régimes de retraite, une application rigoureuse de ces dispositions. À titre d’exemple, elle considère que l’autorisation par le conseil d’administration d’un régime de retraite à prestations définies différentiel (le montant des prestations était calculé par référence aux douze derniers mois de salaire) ne peut intervenir qu’au moment où le conseil a connaissance du montant en valeur absolue du complément de retraite, à savoir « après la liquidation de son assiette constituée par le salaire brut fiscal ». De même, la mise en place de garanties de retraite supplémentaire dont bénéficient, en leur qualité de salariés, des mandataires sociaux doit être soumise à la procédure des conventions réglementées.
À ce titre, le juriste ne peut qu’être frappé par l’hiatus entre l’extrême formalisme de la Cour de cassation et la pratique beaucoup plus souple des entreprises. Certaines d’entre elles n’ont d’ailleurs mis en œuvre aucune procédure d’autorisation sans que cela pose le moindre problème aux dirigeants intéressés, faute pour les autres dirigeants et actionnaires d’appréhender cette problématique. Les actionnaires disposent donc d’un pouvoir, souvent méconnu, de faire constater la nullité des rémunérations attribuées au dirigeant en méconnaissance des dispositions impératives du Code de commerce.
Actions pénales. L’actionnaire peut se porter partie civile lorsque, dans certaines hypothèses extrêmes, la violation des règles relatives à la rémunération des dirigeants est constitutive d’un délit (abus de biens sociaux, abus de pouvoir…). À titre d’exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment confirmé la condamnation d’un ancien dirigeant d’une société cotée pour avoir obtenu du conseil d’administration de modifier la composition du comité des rémunérations qui avait refusé le déplafonnement de sa rémunération variable.
Le décret n°2012-915 du 26 juillet 2012 relatif au contrôle de l’État sur les rémunérations des dirigeants d’entreprises publiques dont le principal objet est le plafonnement de la rémunération annuelle brute de ces derniers à 450 000 euros constitue la dernière incursion des pouvoirs publics dans le domaine de la rémunération et des avantages sociaux des dirigeants. En une décennie, ce ne sont pas moins d’une dizaine de lois qui ont encadré les conditions de détermination de la rémunération des dirigeants. Dans ces conditions, est-il opportun de légiférer à nouveau ou ne conviendrait-il pas, notamment dans les sociétés cotées, de laisser le temps aux actionnaires de s’approprier les actuels instruments de contrôle et de contestation des rémunérations des dirigeants ?
Contrôle des rémunérations
Au cours de cette dernière décennie, les interventions du législateur ont permis aux actionnaires de sociétés cotées d’exercer un réel contrôle sur la rémunération des dirigeants d’entreprise.
Transparence. La condition préalable à tout contrôle est de permettre aux actionnaires de connaître le montant et la structure de la rémunération de leurs dirigeants. Or, pendant longtemps, ceux-ci n’ont disposé que d’informations très parcellaires lorsqu’ils n’appartenaient pas au conseil d’administration.
La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 (NRE) a imposé que le rapport de gestion rende « compte de la rémunération totale et des avantages de toute nature versés durant l’exercice de chaque mandataire social ». Le rapport doit notamment faire apparaître, pour chaque mandataire social, de façon distincte, les éléments de rémunération, fixes, variables, exceptionnels ainsi que les éléments de rémunération « post mandat social » (régimes de retraite, indemnités de départ). Les actionnaires sont également informés par des rapports spécifiques sur les attributions de stock-options ou d’actions gratuites.
Vote sur les rémunérations complémentaires. En raison du risque de dilution du patrimoine des actionnaires, la mise en place d’un plan de stock-options ou d’actions gratuites nécessite l’autorisation préalable de l’assemblée générale.
En outre, la loi n°2007-1223 du 21 août 2007 (Tepa) a soumis les engagements « correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d’être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions » (essentiellement les indemnités de départ et certains régimes de retraite) à une procédure dite renforcée des conventions réglementées. Celle-ci implique, outre des conditions de performance et une publicité spécifique, un vote nominatif des actionnaires sur ces éléments de rémunération lors de leur mise en place ainsi qu’à chaque renouvellement du mandat.
En d’autres termes, les actionnaires disposent désormais d’un pouvoir décisionnaire sur une grande partie des rémunérations complémentaires des dirigeants qui représentent, rappelons-le, une part non négligeable de leur rémunération globale. Mais, de nombreuses questions subsistent et n’ont, à ce jour, pas encore été résolues.
À titre d’exemple, la procédure renforcée des conventions réglementées ne s’applique pas au financement d’un régime de retraite à cotisations définies lorsqu’il bénéficie de l’exclusion d’assiette régie à l’alinéa 6 de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale. Or, cette exclusion est admise dans des limites fixées à l’article D.242-1 du même code. Si le régime comporte un financement excédant ces limites, doit-on considérer que ce dépassement non exonéré est soumis à la procédure renforcée ? Plus largement, quelle attitude adopter lorsque le bénéfice de l’exonération est remis en cause à la suite d’un contrôle Urssaf ? De ce point de vue, le dispositif issu de la loi Tepa n’est probablement pas encore « assimilé » et la première préoccupation des pouvoirs publics devrait être d’en assurer l’application effective plutôt que d’envisager une nouvelle réforme.
Contestation des rémunérations irrégulières
Action ut singuli. En cas d’inertie des dirigeants (ce qui peut être le cas s’agissant de leur propre rémunération), les actionnaires disposent d’une action ut singuli leur permettant ainsi, sous certaines conditions, d’intenter une action sociale en responsabilité contre les dirigeants sociaux lorsque leurs rémunérations ne sont pas attribuées conformément aux dispositions légales.
Actions civiles. Les actionnaires peuvent veiller au respect des dispositions du Code de commerce relatives à la détermination de la rémunération des mandataires sociaux. Pour mémoire, la méconnaissance de ces règles (contenu de la délibération, compétence de l’organe, conditions de performance, publicité…) est sanctionnée par la nullité de l’avantage.
La Cour de cassation fait, au cas particulier des régimes de retraite, une application rigoureuse de ces dispositions. À titre d’exemple, elle considère que l’autorisation par le conseil d’administration d’un régime de retraite à prestations définies différentiel (le montant des prestations était calculé par référence aux douze derniers mois de salaire) ne peut intervenir qu’au moment où le conseil a connaissance du montant en valeur absolue du complément de retraite, à savoir « après la liquidation de son assiette constituée par le salaire brut fiscal ». De même, la mise en place de garanties de retraite supplémentaire dont bénéficient, en leur qualité de salariés, des mandataires sociaux doit être soumise à la procédure des conventions réglementées.
À ce titre, le juriste ne peut qu’être frappé par l’hiatus entre l’extrême formalisme de la Cour de cassation et la pratique beaucoup plus souple des entreprises. Certaines d’entre elles n’ont d’ailleurs mis en œuvre aucune procédure d’autorisation sans que cela pose le moindre problème aux dirigeants intéressés, faute pour les autres dirigeants et actionnaires d’appréhender cette problématique. Les actionnaires disposent donc d’un pouvoir, souvent méconnu, de faire constater la nullité des rémunérations attribuées au dirigeant en méconnaissance des dispositions impératives du Code de commerce.
Actions pénales. L’actionnaire peut se porter partie civile lorsque, dans certaines hypothèses extrêmes, la violation des règles relatives à la rémunération des dirigeants est constitutive d’un délit (abus de biens sociaux, abus de pouvoir…). À titre d’exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment confirmé la condamnation d’un ancien dirigeant d’une société cotée pour avoir obtenu du conseil d’administration de modifier la composition du comité des rémunérations qui avait refusé le déplafonnement de sa rémunération variable.