Mathieu Lefèvre et Caroline Yadan, députés Renaissance du Val-de-Marne et de Paris, ont rédigé une proposition de loi "visant à renforcer la réponse pénale contre les infractions à caractère raciste ou antisémite". Modifications législatives, calendrier d’adoption, soutiens espérés : voici ce qu’il faut retenir.

Décideurs. Vous soulignez que, pour les propos racistes et antisémites, la sanction pénale n’est ni garantie, ni systématique. Quelles sont les failles ?

Mathieu Lefèvre. Il y en a plusieurs. Pour le moment, une injure non publique à caractère raciste, sexiste et homophobe constitue une contravention donnant lieu à une amende pouvant atteindre 1 500 euros. Mais si l’injure est publique, elle peut conduire à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Or, la différence entre les deux est ténue. Des racistes ou des antisémites notoires peuvent naviguer habilement et s’en sortent en versant un peu d’argent, ce qui est insuffisant.

Outre l'injure, un exemple est assez frappant, celui d’Alain Soral que nous citons dans l’exposé des motifs de notre proposition. En 2019, il a été une nouvelle fois condamné par le tribunal correctionnel de Paris pour contestation de crime contre l’humanité, un mandat d’arrêt a été émis à son encontre. Mais le parquet a estimé qu’en se basant sur le droit actuel, il était dépourvu de motif.

Pourquoi ?

Si un mandat d’arrêt peut être délivré à la suite d’un délit de droit commun, Alain Soral a été condamné sur le fondement de la loi de 1881 relative à la liberté de la presse. Du fait de ces "trous dans la raquette", des idéologues négationnistes, antisémites, suprématistes comme Alain Soral, Dieudonné, Hervé Ryssen ou Boris Le Lay, qui par ailleurs vit au Japon, sont rarement présents aux audiences et peuvent échapper aux condamnations. C’est aberrant, ils méritent que l’on émette un mandat d’arrêt à leur encontre ! Pour le moment, la République ne punit pas assez les prêcheurs de haine.

Que proposez-vous concrètement ?

La proposition de loi est assez courte et contient deux articles. Le premier donnerait la possibilité à un tribunal d’émettre un mandat de dépôt ou un mandat d’arrêt pour permettre l’exécution immédiate d’une peine d’emprisonnement en cas de condamnation pour contestation de crimes contre l’humanité, apologie de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre.

Le second article transforme en délits les contraventions actuellement prévues en matière de provocation non publique à la discrimination et d’injure ainsi que de discrimination et d’injure et de diffamation non publique à caractère raciste et antisémite. Caroline Yadan et moi-même proposons également une circonstance aggravante lorsque l’infraction est commise par un dépositaire de l’autorité publique ou un chargé de mission de service public.

"Notre proposition de loi reprend une promesse d'Elisabeth Borne"

Ces deux articles reprennent des recommandations d’associations telles que la Licra ou l’UEJF. Ils sont également en phase avec les propositions d’Élisabeth Borne lors de la présentation du plan de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations en janvier 2023 (à cette occasion, elle avait déclaré "nous permettrons l’émission de mandats d’arrêt contre les personnes qui dévoient la liberté d’expression à des fins racistes ou antisémites" ndlr)

Quelles sont les prochaines étapes de cette proposition de loi ?

Celle-ci est d’ores-et-déjà déposée auprès des services de l’Assemblée nationale. Elle sera inscrite à l’ordre du jour en début d’année 2024 et nous espérons un vote dans les mois qui suivent.

Avez-vous des appuis dans d’autres partis ?

Nous espérons que le sujet sera transpartisan et qu’il fera consensus parmi tous les partis républicains. Précisons que, au vu de leurs propos et de leur attitude, je ne considère pas les députés RN et LFI comme faisant parti de l’arc républicain et je n’attends rien d’eux.

Est-ce que vous espérez que cela réduira l’antisémitisme et le racisme ?

C’est difficile à prédire, mais l’impunité est purement intolérable. Les plus déterminés ou fanatiques continueront probablement à nuire. Cependant, même si une seule personne était punie grâce à la proposition de loi, nous aurions, je crois, fait œuvre utile. En 2023, les complaisances avec  l’antisémitisme et le racisme doivent faire l’objet d’une condamnation unanime. C’est pourquoi j’ose espérer que toutes les forces de progrès soutiendront le renforcement de notre arsenal juridique pour y contrevenir.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

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