Les bouchers, premiers communistes de France !
Quand on trouve le bon filon, il est idiot de creuser à côté, dit le dicton. Ce n’est pas Fabien Roussel, candidat du PCF à la présidentielle, qui affirmera le contraire. Depuis quelques jours, le député du Nord a trouvé un gisement qu’il n’aurait jamais imaginé si riche. Tout commence le 9 janvier sur le plateau de France 3. Le candidat est invité de l’émission Dimanche en politique. L’occasion pour lui de défendre le droit à une gastronomie de qualité. Une phrase, a priori anodine, a vite mis le feu aux poudres : "Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française. Le meilleur moyen de la défendre, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès."
De quoi choquer le ban et l’arrière-ban de la gauche intersectionnelle française qui qualifie le candidat de "suprématiste blanc" qui "drague l’extrême droite", invisibilise les végétariens ou les personnes qui ne consomment ni porc ni alcool. Une aubaine pour le parti qui fait le buzz et a désormais sa ligne de campagne : il se préoccupe de nourrir le peuple pendant que les autres partis de gauche s’empêtrent dans des délires sociétaux hors-sol. Bingo ! Depuis, Fabien Roussel trace son sillon. Le mardi 18 janvier, il a notamment visité l’École professionnelle de boucherie de Paris.
Que cela soit volontaire ou non, il s’inscrit dans une tradition historique vieille de plusieurs siècles : pour accéder au pouvoir, il est utile d’avoir les bouchers avec soi. D’autant plus que ces professionnels de la viande sont historiquement les premiers communistes ! Si la comparaison semble de prime abord anachronique, elle n’est pas infondée.
Les bouchers médiévaux : des syndiqués en lutte contre les privilèges fiscaux
Tout commence au Moyen Âge. Les professions se regroupent en corporations et, parmi les plus puissantes, figurent les bouchers qui ont de solides arguments à faire valoir : nombreux, réputés sanguins et possesseurs d’objets contendants (couteaux, pics et autres crocs), ils défendent fermement leurs intérêts et sont "dragués" par les "hommes politiques" de l’époque qui souhaitent accéder au pouvoir.
La guerre de Cent Ans, qui est en grande partie une guerre civile, en offre une illustration parfaite. En 1382 débute un mouvement social peu connu du grand public : la révolte des Maillotins. Les raisons de la colère sont simples. Le jeune roi Charles VI pratique une oppression fiscale qui étrangle les artisans mais épargne la noblesse. Les révoltés demandent donc un peu plus de justice fiscale. À leur tête, les bouchers ! Les Maillotins échouent… mais remettent le couvert un peu plus tard.
Nous sommes en 1413. Les émeutiers, toujours menés par les bouchers et soutenus par le parti des Bourguignons, font monter la pression. Pour inciter la noblesse à payer son dû, ils emploient une méthode musclée : prise de la Bastille (déjà) le 27 avril et exécution du prévôt de Paris Pierre des Essarts. Cet épisode est connu sous le nom de révolte cabochienne. Cette fois-ci, le roi doit céder, signer l’ordonnance dite "cabochienne" et revêtir publiquement le "capuchon blanc" des révoltés inspiré de l’uniforme des bouchers. Rapidement, le vent tourne, le camp des Armagnacs (opposé aux Bourguignons) reprend le dessus grâce au soutien de la haute bourgeoisie et de la noblesse. Aux XIIIe et XIVe siècles, les bouchers, bien que semi-notables étaient en lutte contre les privilèges fiscaux et fortement syndiqués. De vrais petits communistes qui auraient mérité les louanges de Maurice Thorez, Georges Marchais et leurs successeurs.
Révolution française : un maître boucher parmi les meneurs
Lors de la Révolution française, les bouchers étaient toujours à la manœuvre. Un des grands révolutionnaires, quelque peu tombé dans l’oubli, était d’ailleurs maître boucher. Son nom ? Pierre Legendre, fondateur du Club des cordeliers avec Marat et Desmoulins. Legendre et ses garçons bouchers sont en première ligne lors de la prise de la Bastille ou de la marche sur Versailles. Détail cocasse, la profession est déjà en conflit avec les "wokes" de l’époque qui veulent "déconstruire" le calendrier, changer les prénoms et… instaurer un carême civique que n’aurait pas renié Sandrine Rousseau !
Les Halles, La Villette : les bouchers, nouveaux prolétaires
Au XIXe siècle, la profession, dérégulée, perd peu à peu son pouvoir et devient l’incarnation des "petits commerçants" dragués tantôt par la gauche tantôt par la droite. Pour faire proche du peuple, les candidats à la députation se rendent aux Halles au petit matin pour faire les yeux doux aux bouchers. Dans Le Ventre de Paris, certains passages mettant en scène Lisa Macquart, sœur de Gervaise, mariée à un charcutier, permettent de se replonger dans cette ambiance. Au-delà des Halles, les professionnels de la viande se concentrent également autour des abattoirs de La Villette.
Le quartier fourmille d’ouvriers parfois violents et mobilisables pour les coups de force. Au sortir de la Première Guerre mondiale, les communistes, qui partent à l’assaut de la banlieue rouge, recrutent des ouvriers d’abattoirs pour assurer leur service d’ordre. Des costauds qui ne sont pas des enfants de cœur, comme le chante si bien Bourvil dans sa chanson La jeune fille des abattoirs.
Mais ces solides gaillards sont aussi courtisés par la droite de la droite, comme le raconte parfaitement l’historien Éric Fournier. Dans son ouvrage La Cité du sang, les bouchers de la Villette contre Dreyfus, il écrit : "Les abattoirs de La Villette rassemblent une population de tueurs herculéens qui fascinent les antisémites en quête d’une base populaire conforme à leur vision de la France."
Incarnation de la France qui se lève tôt… et de l’art de vivre à la française
Notables quasi communistes au Moyen Âge, militants égalitaristes sous la Révolution, ouvriers ou petits commerçants contestataires à partir de la Restauration : les professionnels de la viande sont historiquement une cible de choix pour la gauche de la gauche. Peu à peu, les bouchers sont devenus des petits commerçants, incarnation parfaite de la France qui se lève tôt. Se mettre en scène à côté de carcasses est donc devenu un must pour tout candidat cherchant à mettre en avant la valeur travail. La visite à Rungis au petit matin est un passage incontournable, en témoignent les photos ci-dessous représentant François Hollande et Nicolas Sarkozy en 2012 ainsi que Marine Le Pen et Emmanuel Macron en 2017. Fabien Roussel, qui souhaite représenter "les travailleurs" a donc raison de vouloir se mettre les bouchers dans la poche.
Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen, François Hollande, Emmanuel Macron : tous posent devant des carcasses à Rungis. Tout sauf un hasard...
D’autant plus que, désormais, ils incarnent un certain art de vivre à la française et un moyen de combattre symboliquement la nouvelle gauche qui part en croisade contre les mangeurs de steaks et les amateurs de charcuterie, s’opposant par là même à la majorité des Français. En s’affichant avec les bouchers, le candidat communiste envoie un message clair : "Les cocos ne mangent plus d’enfants, mais aiment bien les steaks. Avec moi, on peut être de gauche et aimer la côte de bœuf, votez pour moi !" Une stratégie qui ne manque pas de sel.
Lucas Jakubowicz