Kamala Harris, l’atout maître de Joe Biden ?
"Joe Biden sera flingué au bout de trois semaines de présidence et Kamala Harris prendra la suite". La formule, toute en nuance et en sobriété, est signée Donald Trump ; et bien qu’outrancière, elle sonne juste. Car Joe Biden, bientôt 78 ans et doté d’une santé que l’on dit fragile, pourrait bien, une fois élu, se voir dans l’incapacité d’aller au terme de son mandat. Qui d’autre, alors, que son actuelle colistière et future vice-présidente, Kamala Harris, pour lui succéder ? Si certains, dans les rangs conservateurs, s’en offusquent, beaucoup s’en félicitent, estimant que la sénatrice de Californie coche aujourd’hui toutes les cases – femme, métisse, parents issus de l’immigration et parcours exemplaire – non seulement pour devenir la première femme à accéder à la vice-présidence du pays mais aussi, pourquoi pas, la première à occuper le bureau ovale d’où elle incarnerait le visage d’une nouvelle Amérique : plus ouverte et plus moderne, plus inclusive et plurielle.
"Vérité, décence, égalité…"
Un scénario d’autant plus crédible que Kamala Harris est une habituée des premières fois, elle qui, déjà, fut la première femme noire à devenir procureure de San Francisco, la première indo-américaine à siéger au Sénat et la première noire élue de Californie…
Il faut dire que, à tout juste 56 ans, la désormais très médiatique sénatrice de la Californie a de quoi imposer le respect. Fille d’un père jamaïcain devenu professeur d’économie à Stanford et d’une mère indienne reconnue comme une spécialiste du cancer du sein, diplômée d’universités prestigieuses – Howard, Hastings… –, procureure pendant plus de huit ans, puis nommée au Sénat en 2017, elle s’impose en pur produit de la méritocratie doublé d’authentique symbole de diversité. De quoi cocher toutes les cases du rêve américain. Ajoutez à cela une personnalité rassembleuse et une détermination sans faille et on comprend que sa candidature aux primaires démocrates, annoncée le 21 janvier 2019 en hommage à Martin Luther King, célébré aux États-Unis ce jour-là, ait suscité l’enthousiasme, attirant plus de 20 000 personnes et entraînant 1,5 million de dollars de dons en seulement vingt-quatre heures. Dès sa première prise de parole, Kamala Harris annonçait la couleur en plaçant sa campagne sous la promesse de défendre "la vérité, la décence et l’égalité", dans une attaque à peine voilée au président Trump dont, depuis son arrivée au Sénat, deux ans plus tôt, elle ne cessait de combattre les décisions, augmentant encore sa popularité chez une part importante de l’électorat démocrate.
"Fearless"
Politologue et spécialiste des États-Unis, Nicole Bacharan n’est pas étonnée par ce succès de la première heure. "Elle est belle, charismatique, expérimentée… Elle crève l’écran et en plus elle aime la bagarre", résume-t-elle. Et elle ne manque pas de le faire savoir. Que ce soit sur les réseaux sociaux, où elle a fait de sa combativité une véritable marque de fabrique en s’assurant que chacune de ses apparitions soient accompagnées du terme "fearless", ("sans peur"), dans ses prises de parole ou dans son clip de campagne où, dès les premiers mots, elle lance comme un avertissement, "Je suis née à Oakland". Oakland, la banlieue dure de San Francisco, ville historique du combat pour les droits civiques, berceau des Black Panthers et haut lieu des luttes raciales… Idéal, en somme, pour accréditer un positionnement de dure à cuire. «"Avoir grandi là-bas lui donne une stature, confirme Nicole Bacharan. Presque un côté bad boy" Ce qui, dans le contexte politique actuel – volontiers brutal et désinhibé –, s’apparente plus à un avantage concurrentiel à cultiver qu’à un handicap à dissimuler. Kamala Harris l’a parfaitement compris. D’où son application à apparaître, alors, en personnalité offensive, quitte pour elle à revendiquer cette capacité à en découdre comme un héritage familial. "Mes parents prenaient une part active dans le mouvement des droits civiques, déclare-t-elle ainsi dans son clip. Toute ma vie on m’a appris qu’il était de ma responsabilité de combattre pour la justice. Et c’est ce que j’ai fait."
Effet de contraste
Combative, elle le sera aussi face à Joe Biden que, lors du premier débat télévisé entre candidats à l’investiture démocrate, le 28 juin 2019, elle attaque ouvertement, n’hésitant pas à l’accuser d’avoir travaillé par le passé avec des sénateurs favorables à la ségrégation raciale. Avec lui comme avec l’ensemble de ses adversaires, Kamala Harris ne retient pas ses coups. Mais cela ne suffira pas à relancer sa campagne qui, au bout de quelques mois, s’essouffle au point que, à la fin de l’année, elle n’est créditée que de 3 % des intentions de vote, largement distancée par Joe Biden qu’elle talonnait quelques mois plus tôt. Début décembre, elle annonce qu’elle se retire de la course et, peu après, se rallie à son ancien adversaire, offrant à Joe Biden régulièrement attaqué sur son âge et ses positions « à l’ancienne » la complémentarité idéale en termes de modernité, de diversité et d’ouverture. Celle qui lui manquait pour séduire une partie non négligeable de son électorat et accentuer l’effet de contraste avec Donald Trump. Nicole Bacharan confirme : "Le fait qu’elle soit une femme, métisse, jeune et issue de la méritocratie constitue un solide atout face à un homme blanc de 75 ans connu pour proférer des mensonges à longueur de tweets." Et qui n’aura pas hésité à déclarer : "Kamala Harris ne pourrait jamais devenir la première femme présidente, ce serait une insulte à notre pays.". Les paris sont pris.
Caroline Castets