Remaniement : du casse tête au casting
C’est un slogan bien connu, "le changement dans la continuité". Il permit à Georges Pompidou en 1969, pendant la campagne présidentielle, de rassurer à la fois les fidèles du gaullisme tout en promettant un nouvel exercice du pouvoir. C’est sur ce même équilibre que compte s’appuyer Emmanuel Macron pour mener à bien le remaniement qu’il prépare depuis plusieurs semaines : ne pas décevoir sa base, son socle, et élargir son audience par de nouvelles thématiques et de nouvelles personnalités qui devront incarner son "nouveau chemin".
Mais qui dit "nouveau chemin", dit bord de la route... Il apparaît inéluctable selon le principe de la mécanique des fluides, que des sortants soient sortis : Christophe Castaner, devrait en faire partie. La crise des gilets jaunes et les débordements afférents (Arc de Triomphe saccagé, mise à sac du Fouquet’s, usage intempestif du LBD par les forces de l’ordre),ainsi que les manifs contre la réforme des retraites, l’ont considérablement fragilisé.
Castaner : un départ probable
Auteur d’un oxymore maladroit à l’égard des policiers (le fameux "soupçon avéré") en plein débat sur les violences de la corporation qu’il est censé protéger, et d'un rétropédalage subséquent, ainsi que d'un silence étonnant sur les affrontements à Dijon, ce sont autant de faux pas qui ont dû convaincre l’exécutif de laisser à l’extérieur l’actuel ministre de l’Intérieur.
Reste à savoir si ce fidèle trouvera comme il se dit parfois, une porte de sortie en direction du ministère de la Défense ou une autre, vers le parti ? Il semble établi que le très sensible poste de la Place Beauvau est à pourvoir, ce qui ne manque pas d’aiguiser les ambitions pour l’accessit à ce haut lieu du pouvoir.
Les hypothèses, Cazeneuve ou Nunez
Laurent Nunez, l’actuel Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur dissimule de moins en moins son appétence pour la fonction. Le "deuxième flic de France", ancien directeur de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI), nommé en 2017 par un Emmanuel Macron tout juste élu, a récemment publiquement corrigé quelques-unes des déclarations de son ministre de tutelle, affirmant encore un peu plus, son émancipation et sa popularité auprès des policiers. Un atout indéniable pour une potentielle nomination à Beauvau, tant la colère policière sourde et qu’une rentrée sociale disons agitée n’est pas à négliger. D’aucuns jugent néanmoins qu’il manque à ce haut fonctionnaire une dimension politique pour une fonction qui n’en manque pas.
D’où cette possibilité, cette hypothèse folle mais censée, qui surgit ci-et-là : l’hypothèse Cazeneuve. Ancien Premier ministre, ancien ministre de l’Intérieur, socialiste, ayant affronté avec hauteur les horreurs des attentats ayant frappé le territoire, il serait une prise de choix, une prise de guerre qui marquerait les esprits. Pourtant Bernard Cazeneuve, dit-on, regarderait la présidentielle de 2022 avec plus intérêt qu’un retour Place Beauvau, "il veut montrer qu’il faudra compter sur lui" assurait à la rentrée un proche cité par Le Parisien. Mais réel candidat 2022 ou pas, est-il pertinent de confier un tel poste à un proche de François Hollande qui lui non plus ne cache pas ses velléités d’un retour sur le devant de la scène ?
Darmanin trop proche de Sarkozy ?
De quoi donner du grain à moudre à ceux qui voient en Gérald Darmanin le candidat parfait à la succession éventuelle de Christophe Castaner. Le maire de Tourcoing espérait déjà prendre la suite de Gérard Collomb, démissionnaire en octobre 2018 mais avait dû ronger son frein, la promotion lui ayant été refusée, disait-on, pour cause de proximité trop grande avec Nicolas Sarkozy. L’ancien Président de la République n’hésite pas en effet à le qualifier comme étant son poulain et les deux assument vivre une relation "quasi filiale" comme le relate le journaliste Ludovic Vigogne, dans son ouvrage Tout restera en famille. De quoi refréner Emmanuel Macron ? Et si la réponse était plutôt à chercher du côté de ce vieil adage politique consistant à ne pas confier la Place Beauvau à un ambitieux ? Peut-être aussi, parce que le Président voit plutôt Gérald Darmanin à la tête du grand ministère social envisagé ?
Parce que si la proximité avec Nicolas Sarkozy est un handicap pour accéder au ministère de l’Intérieur, alors comment expliquer que Frédéric Péchenard, ancien directeur général de la Police Nationale, très proche de l’ancien président, apparaisse comme l’un des favoris à la succession de Christophe Castaner ? Encarté auprès des Républicains, sa nomination serait à double tranchant. Un coup de barre à droite alors que la gestion des forces de l’ordre prête le flanc aux critiques, mais également un signal envoyé aux électeurs que le virage social que le Président de la République veut emprunter ne sera pas fait au détriment des questions de sécurité.
Nicole Notat : un coup politique majeur ?
Mais c’est ce fameux grand ministère social qui préoccupe avant tout le chef de l’État. Celui-ci réunirait les actuels ministères du Travail, des affaires sociales et de la politique de la ville, un mastodonte à rééquilibrer une action gouvernementale parfois perçue comme penchant à droite. Muriel Pénicaud, actuelle ministre du Travail, semble sur la sellette. Si l’on en croit certains députés de la majorité interrogés par l’AFP, elle "n’imprime pas", serait "usée", bref, son sort serait scellé. Pourtant, les réformes structurelles et techniques n'ont pas manqué, concourant à la baisse inédite du chômage... L’hypothèse d'un grand ministère social est accrédité par des sources à l'Élysée. Mais sera-t-il coiffé par l'option Darmanin, ce ministre de droite qui affirme sa fibre sociale depuis 3 ans ?
Mais il se pourrait bien que l’exécutif dégaine une botte secrète pour ce grand ministère en la personne de Nicole Notat. Il n’a certes échappé à personne que l’ex-patronne de la CFDT a récemment accepté la prise en charge des négociations du, ô combien symbolique et politique Ségur de la Santé. Un dernier test pour celle qui a initiée la réforme sur la Raison d'être des entreprises ? Indices: le "pilotage" du Ségur relève des compétences du grand ministère social pressenti, et la promotion de cette figure du syndicalisme progressiste, devenu avec succès cheffe d'entreprise d'une agence de notation sociale et environnementale, serait un coup politique majeur pour le chef de l’État.
Professionnelle du consensus, ménageant aussi bien les volets économiques, environnementaux, que sociaux, elle peut par le seul biais d'une nomination à un grand ministère, voire au-delà, incarner un rééquilibrage de la politique gouvernementale. Lucide, Le Figaro rappelle qu’"elle n’a jamais succombé à la tentation politique". Jusqu’à quand ?
Remaniement : le poids de l’Assemblée
Parce que la politique finit toujours par vous rattraper, Emmanuel Macron, sait, lui, qu’il faut toujours ménager ses arrières. Ainsi en est-il du cas Franck Riester.Touché par la maladie, l’actuel ministre a ensuite déçu le turbulent secteur culturel par son silence depuis le déconfinement. Pire sa grande loi sur l’Audiovisuel vient d’être enterrée, sans perte ni fracas.
Si sa sortie se voyait confirmée, les bonnes volontés pour reprendre la fonction ne manqueraient pas. L’une d’entre elles d’ailleurs ne s’en cache pas ou à peine, en l’occurrence la députée LREM Aurore Bergé. Peut on prendre au sérieux l’éventualité d’un retour de Jack Lang? Un peu vieux monde, mais pourquoi pas cette icône de gauche et de culture ? Plus probable sans doute, les noms de l’actuel directeur de Sciences-Po Frédéric Mion ou ceux déjà évoqués en 2017 par le JDD tel Marc Schwartz, ancien directeur de cabinet de Françoise Nyssen ou encore celui de la députée et productrice Frédérique Dumas.
Il ne faudrait pas pour autant considérer la possible éviction de Franck Riester comme un simple aléa de la rue de Valois. C’est que l’homme pèse dans la majorité. Son groupe à l'Assemblée nationale, Agir Ensemble, émanation de la droite constructive ayant rejoint Emmanuel Macron en 2017, ne pèse certes que 17 élus. Mais en étant à l’origine, en mai dernier, de ce dixième groupe politique , l’actuel Ministre de la Culture est désormais central pour construire une majorité absolue et il demeure nécessaire de le ménager.
Ce même paramètre parlementaire peut aussi conduire Emmanuel Macron à parlementer pour faire monter au gouvernement un ou plusieurs leaders d'autres groupes minoritaires, certes, mais compatibles à la majorité.
Paula Forteza, la députée LREM des Français de l’étranger, qui a construit le 9eme groupe parlementaire avec Cédric Villani ? C’est une possibilité que de voir cette spécialiste de l’intelligence artificielle prendre du galon, d’autant que son ralliement serait moins voyant que celui de Villani, toujours synonyme de vilénie aux yeux de la macronie. Autre possibilité : une arrivée au gouvernement de l'infatigable Mathieu Orphelin, ex député de la majorité, et co-président avec Paula Forteza du groupe Écologie, démocratie, solidarités, proche de Nicolas Hulot. Cela signifierait à la fois un retour au bercail et marquerait un positionnement écologiste fort. Il ne faudrait pas pour autant mécontenter les autres rassemblements macron-compatibles à l’Assemblée ou en région. Si l'arrivée de centristes comme Jean-Christophe Lagarde ou Hervé Morin semble improbable, l’entrée au gouvernement du chef de Territoires en mouvement, Jean-Christophe Fromantin, le maire de Neuilly sur Seine, constituerait une jolie prise pour le Président.
Quid de la société civile ?
Politique, le Président de la République, n’en délaisse pas moins sa volonté de poursuivre son ouverture vers la société civile. L’appliquera-t-il au très sensible ministère de la Justice ? La première certitude c’est l’avenir de la Garde des Sceaux : Nicole Belloubet ne sera pas reconduite, payant ses relations exécrables avec les magistrats et les avocats. L’occasion de la remplacer par un professionnel du monde judiciaire ? Antoine Garapon ? L’Obs en 2017 évoquait entre les lignes la possibilité de le voir nommé Garde des Sceaux. Proche du président, ce "passionné de Ricoeur" magistrat et essayiste coche plusieurs cases. Et pourquoi pas Jean-Pierre Mignard ? Marcheur pendant la présidentielle, ce pénaliste renommé, proche de François Hollande serait un recrutement intelligent à la fois société civile et politique. Mais son engagement constant contre les violences policières et ses récentes critiques contre le gouvernement ne plaide pas en sa faveur. Reste la carte LREM pour le président.Yaël Braun-Pivet, actuelle présidente de la commission des Lois à l’assemblée, avocate, militante associative notamment concernant la question des prisons semble tenir la barre pour ce poste qui sous la Vème République, en dépit des velléités de l’ouvrir à la société civile, a, au final, toujours échu à un élu.
Emmanuel Macron suivra-t-il les conseils que distille encore une fois le plus que présent Nicolas Sarkozy ? Évoqué par l’éditorialiste Bruno Jeudi, la possibilité d’une arrivée de la navigatrice Maud Fontenoy (certes encartée LR et vice-présidente de la région PACA) semble ténue vue les réactions des mouvements écologistes face à la nomination d’une personnalité considérée, à tort ou à raison, comme un symbole du greenwashing. Et, en soumettant le nom du PDG du groupe Accor, Sébastien Bazin comme possible entrant au gouvernement, l’ancien Président a-t-il convaincu l’actuel hôte de l’Élysée ? Faire entrer un grand patron dans un gouvernement ? Il y a eu des précédents plutôt bons, récemment, Thierry Breton et Francis Mer.
Il faudra pour Emmanuel Macron hiérarchiser les priorités. Primera sans doute l’ambition de bien marquer les contours de son nouveau chemin puisque sans incarnation sociale, l’édifice, aussi intelligent soit-il, n’apparaîtra que bancal. Le macronisme, doit être social et liberal, au risque de s’écrouler, tel un château de cartes. Si les deux composantes sont présentes, et qu'une composante verte s'y ajoute, le Château sera fort.
Sébastien Petitot