P.Maurice (Ifri) : "La France a réussi à faire de la crise un accélérateur de ses ambitions en Europe"
Décideurs. Le 19 mai, la déclaration commune d’Emmanuel Macron et Angela Merkel mettait fin à des mois de tensions entre les deux dirigeants ; à quoi étaient-elles imputables ?
Paul Maurice. Avec cet accord, il est vrai que le couple franco-allemand revient de loin puisque le tandem était à l’arrêt depuis 2017. À l’époque, les Allemands voient en Emmanuel Macron un président très européen, très porté sur les réformes ; ça leur plaît. Mais la dynamique va être un peu cassée lorsqu’en septembre de la même année Angela Merkel est réélue avec un score très faible, ce qui l’affaiblit au sein de son parti et la place dans l’incapacité de constituer un gouvernement. Si bien que, lorsqu’Emmanuel Macron prononce le discours de la Sorbonne dans lequel il délivre un message très en faveur de l’Europe, celui-ci ne rencontre pas outre- Rhin l’écho espéré.
En réalité, pour Angela Merkel, le timing est mauvais. Elle est en difficulté et ne peut s’engager dans ce projet. Par la suite, la situation va s’aggraver... Effectivement. Rapidement Emmanuel Macron apparaît un peu trop volontariste, déterminé à bousculer l’Allemagne pour faire avancer le projet européen alors que, de son côté, celle-ci cherche à prolonger le statu quo. En 2019, à l’approche des élections européennes, l’opposition devient flagrante. Alors qu’Emmanuel Macron plaide pour la mutualisation des dettes, Annegret Kramp-Karrenbauer alors dauphine potentielle de la chancelière lui oppose une fin de non-recevoir. Le désaccord semble consommé.
Diriez-vous que la crise sanitaire a contribué au rapprochement ?
Cela ne fait aucun doute même si, au début de la pandémie, on est sur des positions très antagonistes : la France défendant le principe d’une solidarité financière via la création de corona-bonds et, de son côté, l’Allemagne refusant l’utilisation du mécanisme européen de stabilité. Et puis entre fin mars et mi-mai, un rapprochement progressif va s’opérer. Début avril, Bruno Le Maire et Olaf Scholz, le ministre allemand des Finances – formulent une déclaration commune en vue de la réunion de l’Eurogroupe, un consensus commence à émerger dans lequel Emmanuel Macron et Angela Merkel tempèrent tous deux leurs positions, jusqu’à ce que l’Allemagne accepte enfin le principe de la mutualisation des dettes.
Ce revirement est donc le fruit de mois d’efforts diplomatiques?
Il y a eu de gros efforts diplomatiques de la part du président français, c’est certain, mais la gravité de la crise a fait le reste. En se ralliant à ses positions, Angela Merkel a d’abord agi par pragmatisme : elle savait qu’elle ne pouvait plus s’opposer à la solidarité financière entre États membres sans risquer la dislocation de l’UE, laquelle impacterait considérablement l’économie allemande, très dépendante des exportations.
Pour autant, faut-il voir dans ce dénouement une victoire d’Emmanuel Macron?
Cela ne fait aucun doute. Pour lui, cette victoire est d’autant plus marquante qu’elle permet d’avancer vers le fédéralisme européen qu’il a toujours souhaité. De fait, la proposition franco-allemande ne se limite pas à la question budgétaire mais évoque aussi la question sanitaire, la transition écologique et numérique et la souveraineté européenne. Autant de sujets qui ont toujours été des priorités plutôt françaises et qui, aujourd’hui, peuvent être portés par plus de fédéralisme européen. Résultat : la France a réussi à faire de la crise sanitaire un accélérateur de ses ambitions pour l’Europe, mais le président de la République a eu l’intelligence de le faire en se plaçant, d’emblée, sur le plan européen et non national, dans le cadre du couple franco-allemand. Si bien que, si la crise se révèle être le déclencheur d’une plus grande intégration européenne, c’est ce qui restera du couple Macron-Merkel.
Propos recueillis par Caroline Castets