Xi Jinping, le loup guerrier
Sur les photos officielles et dans ses apparitions médiatiques, il a l’embonpoint qui rassure, la poignée de main chaleureuse et le sourire facile. Ne pas se fier, toutefois, à son allure débonnaire. En fin communicant et en roué politique, Xi Jinping est aussi habile à maîtriser son image de leader charismatique qu’à manipuler l’opinion. Si ce n’est que, depuis quelques semaines, l’exercice, mis à l’épreuve de la crise sanitaire, montre ses limites.
Le discours officiel de Pékin a beau être parfaitement rodé et les éléments de langage autour du champ sémantique de l’exemplarité en tous points maîtrisés, ils ne suffisent plus à faire taire les voix de plus en plus nombreuses et de plus en plus audibles qui, dans l’opinion publique comme au sein des chancelleries occidentales, s’élèvent pour lui demander des comptes. Pour le président de la République populaire de Chine, l’affaire est sérieuse. Impensable, en effet, de laisser l’instabilité, pire ennemi du régime, menacer l’ordre établi et entamer l’image du parti. Cette même image que, depuis son arrivée au pouvoir, il y a près de huit ans, il s’emploie par tous les moyens à maîtriser et à promouvoir. Quitte à verrouiller l’information, à museler la contestation et à multiplier les arrangements avec la vérité.
Capacité à apporter des solutions innovantes
Pourtant début 2013, lorsque quelques mois après avoir pris la tête du parti Xi Jinping prend celle de l’État et de l’armée, les observateurs du monde entier veulent voir dans son accession au pouvoir la promesse d’une ouverture imminente. Spécialiste de la Chine au centre Asie de l’Ifri, Marc Julienne rappelle qu’à l’époque celui qui depuis cinq ans déjà occupe la fonction de vice-président de la République populaire de Chine coche toutes les cases du renouveau. "Il était considéré comme le juriste dans le sens politique du terme, il parlait souvent d’État de droit et arrivait au pouvoir déterminé à lutter contre la corruption qui gangrenait le régime, explique-t-il. Enfin, il était fils de Prince rouge comme on les appelle en Chine : son père, ancien camarade de Mao, avait été purgé pendant la révolution culturelle, lui-même avait été envoyé à la campagne dans une province très difficile, on l’imaginait bien placé pour connaître les limites du système et ses dérives…".
"Pour écarter le risque d'instabilité sociale, il doit veiller à conserver un certain niveau de popularité"
Pourtant, sa présidence va se caractériser par une concentration toujours plus forte des pouvoirs assortie d’une véritable mainmise du parti sur l’ensemble de la société. "Ces dernières années, on l’a vu prendre la tête de commissions pour contrôler la politique, l'économie, la sécurité, la culture et multiplier les purges pour écarter certains fonctionnaires du parti au profit de ceux qui lui étaient proches, reprend Marc Julienne. Aujourd’hui, il contrôle la majorité des sphères du pays." Et, histoire de verrouiller ce pouvoir fraîchement acquis, Xi Jinping fait réformer la constitution de la république il y a deux ans afin d’en supprimer la limite à deux mandats jusqu’alors fixée pour le président de la République... De quoi lui assurer un exercice du pouvoir illimité et le faire apparaître comme le président chinois le plus autoritaire et le plus puissant depuis Mao.
Audace et capacité à prendre des décisions impopulaires
Autre caractéristique de sa présidence, le fait qu’elle marque une rupture radicale avec l’approche pacifique de ses prédécesseurs pour incarner l’affirmation de la puissance chinoise. Non seulement sur la scène internationale, via une nouvelle forme de diplomatie agressive dite des Wolf Warriors – des loups guerriers – "dans laquelle chaque diplomate devient un soldat assigné à la défense des intérêts et de l’image de la nation", résume Marc Julienne, mais aussi sur le plan domestique où cette fierté nouvelle se traduit désormais par une résurgence nationaliste.
Exit la diplomatie du "low profile" pratiquée des années durant par une Chine qui ne voulait pas inquiéter par sa montée en puissance. Avec Xi Jinping, l’heure est à l’exaltation d’une puissance qui s’assume et s’impose. Et sur la scène internationale, à une diplomatie du torse bombé, volontiers agressive dans sa façon de promouvoir le récit national.
"L'heure est désormais à l'exaltation d'une puissance qui s'assume"
Une tendance qui se vérifie particulièrement depuis que, face aux critiques et aux questionnements, les diplomates chinois n’hésitent plus à enrichir la thèse initiale d’une gestion de crise sans faille de la part de la Chine d’un volet mise en cause de l’Occident. Parfait exemple : Lu Shaye, l’ambassadeur chinois en France qui, à force de propos à la gloire de la "victoire" de la Chine sur le virus et à charge contre "la mauvaise gestion occidentale responsable de la propagation de la pandémie", se voyait il y a peu convoqué par le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian pour un recadrage en règle. Pour Marc Julienne, cet acharnement de la Chine à convaincre de son exemplarité dans la gestion de la pandémie n’a rien d’anecdotique. Il s’inscrit, au contraire, dans une stratégie de maintien de l’ordre centrale à la politique de Xi Jinping.
Réponse économique vs réponse sanitaire
Leader autoritaire doté des pleins pouvoirs celui-ci est également un communicant stratège, aussi habile à museler l’opinion qu’à la flatter lorsqu’il s’agit de restaurer l’adhésion et d’éviter tout ce qui, de près ou de loin, peut s’apparenter à de l’instabilité… Spécialiste de la Chine et des systèmes de santé au CNRS, Carine Milcent confirme. "Xi Jinping est très doué pour manipuler l’opinion sans en avoir l’air, explique-t-elle. Il sait capter les inquiétudes et les mécontentements, se repositionner de manière à les apaiser et à préserver sa popularité…" Une stratégie dont l’efficacité se vérifiera notamment à l’occasion de la vague de contestation qui suivra la disparition de Li Wenliang, le médecin réprimé par les autorités chinoises pour avoir tenté de donner l’alerte sur la dangerosité du coronavirus et qui, quelques semaines plus tard, succombait lui-même à la maladie.
Devant le choc lié à l’annonce de son décès, Xi Jinping organise une réécriture immédiate des événements : il désavoue les forces de l’ordre responsables de son arrestation, fait tomber quelques têtes, réhabilite le médecin qu’il érige en "héros national" et émerge indemne de la séquence qui aurait pu lui coûter cher en termes de popularité.
Leadership et capacité à inspirer
Un risque qu’il ne peut se permettre de prendre, explique Carine Milcent. "Entre la campagne de lutte acharnée qu’il a menée contre la corruption et le fait qu’il se soit arrogé les pleins pouvoirs, Xi Jinping n’a pas que des alliés au sein du parti, explique-t-elle. Pour écarter le risque d’instabilité sociale il doit veiller à conserver un certain niveau de popularité. Créer une fierté nationale autour de sa personne." D’où son acharnement à défendre sa gestion de la crise contre les accusations de l’Occident et la nécessité pour lui de contrôler l’information et d’aménager la vérité. Un domaine dans lequel, estime Carine Milcent, il excelle. "Il sait jouer sur les ressorts de l’émotion nationale, donner au peuple l’impression que ses attentes sont prises en compte avant de refermer les espaces de liberté qu’il avait donné l’impression de lui concéder, résume-t-elle. La communication est pour lui un instrument de pouvoir essentiel qu’il manie avec autorité mais aussi avec subtilité." En fin stratège et en parfait chef de meute.
Caroline Castets