Gérard Larcher, le casque bleu de la droite
8,48%. C’est le résultat officiel de LR aux européennes du 26 mai 2019. Un désastre. Jamais la droite républicaine n’avait réalisé un score aussi faible lors d’une élection à l’échelle nationale. Laurent Wauquiez a fait les frais du naufrage et a abandonné les rênes du parti la semaine suivante. Puis, le 5 juin, Valérie Pécresse a quitté Les Républicains, estimant que « la refondation de la droite ne pourra pas se faire à l’intérieur du parti ». La présidente de la région Ile-de-France a été imitée par une partie de la tendance « centriste ». Sans chef, sans ligne directrice, en proie aux luttes entre caciques, le mouvement héritier du gaullisme ressemble à un bateau ivre.
Dans le marasme, une figure rassurante et à première vue inattendue émerge : Gérard Larcher, président du Sénat. Deux jours après la débâcle, l’homme réputé discret, a rendu publique une lettre dans laquelle il appelle sa famille politique au rassemblement et à l’apaisement. Sous sa houlette, une réunion rassemblant notamment Valérie Pécresse, François Baroin, Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau, Dominique Bussereau a lieu le mardi 4 juin au Novotel Tour Eiffel. À son issue, entouré des participants, Gérard Larcher a annoncé une « grande convention nationale en octobre ». Comment expliquer la soudaine offensive d’un élu de terrain peu coutumier des combats d’appareil ?
Négociateur
« Le parti LR est dans une situation telle qu’il a besoin de se tourner vers une personnalité d’envergure nationale. Il n’en reste plus beaucoup, Gérard Larcher sait qu’il possède le profil adéquat. Sans se dérober, il a pris ses responsabilités en période de crise en utilisant sa place de second personnage de l’État », explique Émilien Houard-Vial, chercheur en sciences politiques à Sciences Po Paris et expert de la droite.
Lycéen, Gérard Larcher intègre le mouvement des jeunes gaullistes puis adhère au RPR dès sa création en 1976. En 2019, il se définit encore comme un « gaulliste social » qui se veut gardien du temple, au-dessus des querelles de chapelle. Aujourd’hui, il fait office de « sage » autour duquel on se réunit et on prend exemple. « C’est même l’un des derniers du parti puisque Jean-Pierre Raffarin et Alain Juppé ont quitté l’aventure », observe Christophe Bellon, historien du monde politique et parlementaire. Or, c’est dans la tempête que l’on se tourne vers les capitaines les plus expérimentés.
À l’heure des courants et des luttes de personnes, l’homme fort du palais du Luxembourg a donc le privilège de n’appartenir à aucun clan. « À l’inverse de Valérie Pécresse et Libres qui a pris son indépendance, de Xavier Bertrand et de sa Manufacture ou encore de Bruno Retailleau et de sa Force républicaine, il n’a pas de structure autour de lui. Surtout, son action ne s’inscrit pas dans la confrontation mais dans le rassemblement », constate l’historien. Une garantie de neutralité qui lui permet de réunir autour d’une même table deux ennemis : Laurent Wauquiez et Valérie Pécresse. En vain, puisque l’ancienne ministre du Travail claque la porte de son parti dès le lendemain de la réunion. Elle reconnaît toutefois que Gérard Larcher constitue une « figure morale ».
"Son action ne s'inscrit pas dans la confrontation mais dans le rassemblement"
Car, à l’heure des petites phrases et du passage en force, Gérard Larcher dénote. C’est un négociateur hors pair qui a appris à briller dans des postes où l’art du compromis reste la vertu cardinale : président de la commission des Affaires économiques du Sénat de 2001 à 2003 puis ministre du Travail de 2004 à 2007.
Habitué à arrondir les angles, il a toujours été au-dessus des affaires et des guerres intestines qui ont secoué la droite. Son loyalisme est à toute épreuve. Abasourdi par l’affaire Fillon, il soutient pourtant jusqu’au bout son candidat. Peu enthousiasmé par le profil de François-Xavier Bellamy, il fait pourtant campagne pour lui sans rechigner. Un état d’esprit qui lui permet de bénéficier de la confiance des poids lourds du parti et des militants. D’autant plus que, c'est promis, il ne brigue aucun poste.
Stopper l’hémorragie
Le profil de Gérard Larcher possède un autre avantage stratégique : fidéliser les élus locaux. La Bérézina des élections européennes a démoralisé une grande partie des maires LR qui, dans leurs communes, sont bien souvent devancés par la liste macroniste. Pour les municipales, leur appartenance au parti de droite est devenue un handicap. La tentation de se débarrasser d’une étiquette devenue encombrante est forte.
"Les élus locaux constituent la dernière ressource de LR qui n'a pas été touchée par le dégagisme"
L’aile droite de la majorité a donc logiquement commencé sa stratégie de séduction avec un leitmotiv simple : « Quittez LR ou vous ne serez pas élus ». Près d’une centaine d’élus locaux de droite ou du centre tels que les maires de Quimper, Tours, Angers, Valenciennes, Amiens, Saint-Cloud ou l’Haÿ-les-Roses ont déjà pris le large. Même Florence Berthout, présidente du groupe LR à la mairie de Paris annonce le 10 juin qu’elle soutient l'action d'Emmanuel Macron.
Une hémorragie qui, si elle se poursuit, pourrait s’avérer désastreuse pour la droite. « Les élus locaux constituent la dernière ressource de LR qui n’a pas été touchée par le dégagisme », souligne Émilien Houard-Vial. Selon lui, « les maires sont vitaux pour garder le Sénat et pour les finances du parti ». Sans compter que c’est dans les exécutifs municipaux que se trouvent bien souvent les responsables nationaux de demain. Il faut à tout prix ressouder les troupes, éviter les désertions dans la mesure du possible et tout mettre en œuvre pour ne pas perdre les derniers bijoux de famille. Pour cela, Gérard Larcher a une belle carte à jouer.
Il est « l’un des leurs » et sûrement l’un des plus expérimentés. Gérard Larcher a été biberonné à la « France des territoires » chère aux élus locaux puisque son père était maire de Saint-Michel-des-Andaines dans l’Orne. Lui-même se fait élire à Rambouillet, commune de 25 000 habitants dans les Yvelines, en 1983 à l’âge de 34 ans. Ce vétérinaire de formation restera à la tête de la ville jusqu’en 2004. Puis retrouvera son siège de 2009 à 2014. Sénateur depuis 1986, il préside la Chambre représentant les collectivités locales de 2008 à 2011 puis a retrouvé sa place en 2014 lorsque la droite redevient majoritaire. Il est également un chasseur assumé, tout en étant réputé pour son coup de fourchette. Ce qui lui permet de briller lors des banquets républicains où se nouent alliances et complicités. De quoi se démarquer par rapport aux marcheurs, globalement en manque d’implantation locale.
Grâce à son parcours et son expérience, le président du Sénat jouit d’une popularité très forte parmi les élus locaux. « Dès l’élection d’Emmanuel Macron, il s’est positionné habilement dans la défense des corps intermédiaires et des maires », note Christophe Bellon qui fait également remarquer que Gérard Larcher « a défendu les élus avec succès lors des premières discussions du projet de réforme constitutionnelle en 2018 qui vise notamment à diminuer le nombre de parlementaires. Il tient tête au président, mais de manière constructive. » Ce qui pourrait peut-être inciter les maires à se grouper derrière lui et à garder l’étiquette LR. Car si la droite perd le Sénat, la réforme constitutionnelle qui effraie tant les élus locaux pourrait passer. « En somme, la stratégie de Larcher est simple. Il dit aux maires et aux sénateurs, si vous nous quittez, nous perdrons le Sénat et je partirai. Dans ce cas, vous serez privés de votre dernier rempart », analyse le spécialiste de l’histoire parlementaire qui estime que le dévouement de l’ancien maire de Rambouillet a pour but principal sa réélection à la présidence du Sénat. Et si, pour cela, il monte une opération commando pour sauver ce qu’il reste du parti, le « soldat Larcher » est prêt à enfiler l’uniforme. Même si la mission semble, sur le papier, désespérée.
Lucas Jakubowicz