Brexit : la menace du no deal
Voilà plus de deux ans que, à Londres comme à Bruxelles, le Brexit monopolise les esprits et alimente les débats. Pourtant, à quelques mois de son entrée en vigueur, les modalités du divorce entre Royaume-Uni et Union européenne ne sont toujours pas définies et les discussions semblent dans l’impasse. Au cœur des blocages : la question irlandaise et celle d’un possible rétablissement de frontières entre Irlande du Nord et République d’Irlande. Au point que, à la perspective d’un Brexit hard, celle d’un no deal, autrement dit, d’une sortie sans accord pour le Royaume-Uni, semble aujourd’hui le scénario le plus crédible. Avec tous les risques qu’il comprend.
Près de deux ans et demi après le référendum entérinant la décision britannique de sortir de l’Union européenne, l’image a des allures de camouflet pour Theresa May : 700 000 personnes rassemblées face au Parlement britannique pour réclamer la fin du « Brexshit » et en appeler à un nouveau référendum... Depuis les manifestations contre la guerre en Irak, en 2003, on n’avait jamais vu ça. C’est dire l’exaspération que suscite le sujet au sein de la société britannique. Surtout depuis que, aux envolées lyriques des premiers temps, sur fond de liberté retrouvée et de grandeur nationale, ont récemment succédé les inquiétudes liées à l’application concrète du divorce, avec tous les désagréments que celui-ci entraînerait en termes de frontières, contrôles, difficultés d’approvisionnement et perte de compétitivité… Surtout si un accord de sortie n’est pas rapidement négocié, ce qui, à cinq mois de l’échéance, semble une option de plus en plus plausible.
L’affaire irlandaise
Ceux qui espéraient que le récent sommet européen permettrait de sortir de l’impasse en ont été pour leurs frais, la rencontre s’étant achevée, le 18 octobre dernier, sans avancée notoire. Au cœur des blocages : la question irlandaise et, plus précisément, la notion de frontière qui accompagne nécessairement le Brexit. Rétablir cette frontière entre Irlande du Nord et République d’Irlande serait susceptible de raviver les tensions liées à trente ans de guerre civile – inenvisageable, donc – mais déplacer cette frontière pour l’établir, en mer, entre le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord afin que cette dernière demeure dans l’Union douanière semble tout aussi problématique puisqu’elle impliquerait que des contrôles soient établis entre ce territoire britannique et la Grande-Bretagne… perspective qui suscite d’ores et déjà une levée de boucliers du côté du DUP, le parti unioniste démocrate d’Irlande du Nord dont dépend désormais la majorité de Theresa May au parlement.
Déni de réalité
De quoi retarder encore l’obtention d’un accord de sortie de l’UE pour le Royaume-Uni et accroître le risque de voir le Brexit se traduire par un no deal à l’impact d’autant plus désastreux qu’il aura longtemps fait l’objet d’un déni de réalité de la part du gouvernement de Theresa May. Gouvernement qui, estime Olivier de France, directeur de recherche à l’Iris et spécialiste des questions européennes, n’appréhende réellement la réalité du Brexit que depuis quelques semaines… « Dans un premier temps le parti conservateur s’est persuadé que les effets négatifs décrits comme devant être ceux du Brexit étaient des inventions destinées à alimenter les peurs. Aujourd’hui, on constate un changement de ton jusque dans la frange dure des Conservateurs, qui reconnaît enfin qu’un no deal impacterait lourdement l’économie nationale. »
"Le Brexit ne fait que des perdants. Il n y a aucun gain à attendre, ni sur le plan politique, ni sur le plan économique".
Un réveil douloureux dont Theresa May, accusée d’incompétence par les uns et de traîtrise par les autres, sort plus fragilisée que jamais. Inévitable, estime Olivier de France, pour qui le Brexit ne permettrait à aucun dirigeant politique de sortir gagnant. « Aujourd’hui tout le monde est mécontent mais ce serait sans doute pire avec un autre qu’elle aux manettes, tout simplement parce que le Brexit ne fait que des perdants. Il n’y a aucun gain à en attendre, ni sur le plan économique ni sur le plan politique. »
Ras-le-bol généralisé
Pour lui, la chute maintes fois annoncée de la Première Ministre britannique n’aura probablement pas lieu. Surtout maintenant que, rappelle-t-il, 90 % à 95 % des désaccords entre Bruxelles et Londres ont été levés et que les négociations entrent dans leur phase ultime. Une phase qui pourrait profiter de l’effet de ras-le-bol généralisé suscité par le sujet... « Cela fait deux ans que le Brexit phagocyte l’agenda britannique mais aussi européen, résume-t-il. Des deux côtés, il y a aujourd’hui une véritable lassitude qui pourrait contribuer à dénouer certaines situations de blocage, chacun étant désireux d’en finir et prêt à lâcher un peu de lest pour cela. » Exemple : sur la question irlandaise. Pour l’expert, celle-ci pourrait déboucher sur un accord si la Grande-Bretagne restait au sein de l’Union douanière « de manière temporaire ». « Désormais, faire accepter cette solution relève plus d’une question de durée et de vocabulaire, estime-t-il. C’est un enjeu moins technique que politique. » Qui, s’il aboutissait à un accord, permettrait à Theresa May de sauver la face et à tous d’éviter la débâcle d’un no deal.
Caroline Castets