Successeur de Richard Ferrand à la tête du groupe LREM, le député de Paris doit remobiliser une majorité qui demande plus d’écoute de la part de l’exécutif. Une tâche difficile pour ce novice en politique, reconnu pour sa bienveillance et pour son dévouement au Président.

Janvier 2017. Dans une volonté de rassemblement François Fillon, alors candidat à l’élection présidentielle, cède son fief parisien à Nathalie Kosciusko-Morizet. Un cadeau en or puisque la seconde circonscription de la capitale fait office de bastion de la droite. Pourtant, rien ne s’est passé comme prévu. L’ancienne candidate à la primaire de la droite et du centre s’est inclinée contre un « marcheur » nouveau venu sur la scène électorale. Son nom ? Gilles Le Gendre. Un homme plus connu pour ses articles dans la presse économique que pour son parcours politique.

De journaliste à entrepreneur

Après une enfance et une adolescence à Neuilly-sur-Seine, ce fils de cadre supérieur intègre Sciences Po et suit ensuite la voie de ses deux frères Olivier et Bertrand. Il devient journaliste. Spécialisé dans l’économie, il occupe notamment les fonctions de rédacteur en chef du Nouvel Économiste, de directeur de la rédaction de Challenges et de directeur général du groupe Expansion. En 2002, il quitte le monde des médias pour devenir directeur de la communication de la Fnac.

Puis en 2006, il se lance dans l’entrepreneuriat en créant Explora & Cie qu’il dirigera avec son épouse Raphaële Rabatel jusqu’à son élection. Ce cabinet de conseil « spécialisé dans la valorisation opérationnelle du capital humain, stratégique et de marque d’entreprise », se révèle très vite prospère. Si elle se targue de ne pas citer ses clients, la société déclare sur son site internet avoir réalisé plus de 150 missions auprès de 70 entreprises de toutes tailles.

La « révélation » Macron

Une vie bien remplie qui aurait pu se poursuivre paisiblement jusqu’à la retraite. Mais en avril 2016, dès la création du mouvement En Marche, Gilles Le Gendre est conquis par la personnalité d'Emmanuel Macron. Pourtant, il ne rejoint pas de suite la cohorte des marcheurs. Sa crainte ? Que le jeune ambitieux ne prépare le terrain pour François Hollande. Cette appréhension initiale dissipée, il franchit le Rubicon et s’engage en faveur du candidat trentenaire.

Un investissement total dont se remémore Edouard Civel doctorant de 27 ans et marcheur de la première heure dans le 5e arrondissement de Paris : « Gilles était particulièrement zélé. Il a mis sa cave à disposition des militants qui y stockaient affiches, tracts et pots de colle ». Ce qui ne va pas sans faire grincer quelques dents du côté des résidents de l’immeuble habitués à une certaine tranquillité… Mais Gilles Le Gendre, ne se contente pas de l’intendance. Il n’est pas le dernier à mettre la main à la pâte : « Il se montrait toujours partant pour des soirées de collage d’affiches. Rien ne le distinguait des autres et il ne faisait rien non plus pour se mettre en avant », précise Edouard Civel qui se rappelle d’un soir où, juché en équilibre sur la grille de la Sorbonne, l’ancien journaliste s’attelait à recouvrir des slogans hostiles à Emmanuel Macron par des affiches du candidat.

Les marcheurs stockaient affiches, tracts et pots de colle dans sa cave.

Rapidement, les têtes pensantes d’En Marche voient en Gilles Le Gendre plus qu’un simple militant. Sa connaissance de la vie politique et son expérience du management lui permettent d’être nommé référent de la seconde circonscription en septembre 2016. Un rôle qu’il remplit avec enthousiasme endossant le rôle de mentor. « Il ne se positionnait pas dans une perspective de conquête du pouvoir et nous laissait d’ailleurs énormément d’autonomie. En revanche, il était un formidable passeur de connaissance. En matière de structuration des idées et de langage corporel, il nous a beaucoup appris. C’est une personne facilement joignable, qui voit le meilleur dans chaque personne ». Très proche des 200 militants de la circonscription dont il connaît tous les prénoms, il s’impose naturellement comme le chef de file des marcheurs de la rive gauche de Paris. Au cours de cette campagne électorale, il n’hésite à passer des soirées entières à refaire le monde dans les pizzerias de la rue Mouffetard.

C’est donc tout logiquement qu’il se retrouve investi candidat La République En Marche dans la seconde circonscription de Paris pour les élections législatives de 2017. Un choix judicieux pour Bruno Cautrès, enseignant à Sciences Po et chercheur au Cevipof : « C’est le morphotype du marcheur idéal : ayant fait ses preuves dans la société civile, compétent, bienveillant et totalement dans la ligne ». Au niveau politique, celui qui se définit comme « économiquement plutôt de droite libérale, pour tout le reste à gauche », incarne parfaitement le « en même temps » incarné par l’ancien ministre de l’Économie.

Son style de dandy tiré à quatre épingles a fait merveille dans une circonscription acquise à la droite.

Avec sa petite armée de militants dévoués qu’il nomme affectueusement sa tribu, il s’attaque à ce bastion de la droite qui regroupe le 5e arrondissement ainsi qu’une partie du 6e et du 7e.Son style de dandy tiré à quatre épingles fait merveille. Profitant de la vague macroniste ainsi que d’une droite divisée entre Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-Pierre Lecoq et Henri Guaino, il vire en tête dès le premier tour avec 41,81% des voix contre 18,13% pour NKM. Avant de s’imposer avec 54,53% des suffrages au suivant.

Un manager bienveillant

Dès son arrivée à l’Assemblée nationale, il s’inscrit à la commission des finances où son passé de journaliste économique et son expérience d’entrepreneur le propulsent au premier plan. Il s’attache également à nouer des liens avec tous les députés de son groupe qu’il apprend à connaître personnellement et à aider en cas de besoin. « Je le côtoie depuis un an et demi, je pense qu’il est tout à fait en mesure de gérer un groupe de 300 personnes et de favoriser l’intelligence collective », témoigne Xavier Roseren, député LREM de Haute-Savoie.

Peu à peu, il s’impose comme une voix qui compte parmi les députés. Il va même jusqu’à présider une réunion de groupe en l’absence de Richard Ferrand, titulaire du poste. En dehors de l’hémicycle, il est également présent dans les médias où il fait partie des rares députés de la majorité prêts à ferrailler contre l’opposition. De quoi en faire le favori pour succéder au député du Finistère élu à la tête de l’Assemblée nationale le 12 septembre. Autre avantage non négligeable pour Bruno Cautrès : « À l’inverse de certains présidents de groupe comme Jean-François Copé, il n’utilisera jamais sa fonction comme tremplin. »

Pourtant, le mardi 18 septembre, lors du premier tour de l’élection, le député de Paris n’écrase pas les huit autres prétendants. Avec 74 voix, il est devancé de peu par Roland Lescure, député des Français d’Amérique du Nord. Un report de voix favorable lui permet néanmoins de l’emporter au second tour.

Mais pas le temps de savourer, le plus dur commence. Car tout n’est pas rose dans le groupe qui dénonce un manque de dialogue interne et déplore de n’être pas suffisamment écouté par l’exécutif. Dès son élection à la tête du groupe, le nouveau président de groupe a promis davantage de collégialité. Pour cela, il lui faudra quitter ses habits de « macroniste de combat ». Un défi de taille pour celui qui a la réputation de soutenir Emmanuel Macron vaille que vaille.

La voix de son maître ?

 « D’une certaine manière il a eu une "révélation Macron" au sens religieux du terme. Il est totalement dévoué au Président », estime Bruno Cautrès. « C’est un homme affable, courtois, poli. Mais il se métamorphose dès que l’on critique le gouvernement. D’une certaine manière lorsqu’Emmanuel Macron est attaqué, il se sent lui-même blessé », poursuit l’universitaire. Cette fidélité sans faille pourrait le desservir dans son poste de président de groupe qui consiste notamment à faire remonter les préoccupations de la base et à savoir imposer la voix des élus face à l’exécutif.

"Si l'on attaque Macron, il se sent lui même blessé".

Saura-t-il écouter tous les sons de cloche et casser l’image d’une majorité composée de députés godillots ? Oui, estime Xavier Roseren qui attend de le voir diriger un groupe avec une hiérarchie qui ne soit plus centrée sur une personne. « Je suis certain qu’il va insuffler une nouvelle stratégie de groupe et montrer que l’Assemblée nationale n’est pas que le prolongement de l’exécutif ».

Lucas Jakubowicz

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