Paris est le siège de la nouvelle juridiction dédiée aux litiges commerciaux internationaux. Fruit d’une concertation entre la Chancellerie et les professionnels du droit engagés autour de l’association Paris place de droit, elle est maintenant quasiment prête à travailler.

« Il n’y a pas encore d’audience mais cela est imminent ! » La satisfaction de Jacques Bouyssou est manifeste. L’avocat engagé dans la défense des avocats à l’étranger – il a fondé l’observatoire international des avocats – l’est aussi dans la promotion du droit civil et de Paris comme place de business. Entouré de confrères et de directeurs juridiques, il a remué ciel et terre pour que les pouvoirs publics acceptent la création d’une juridiction commerciale internationale au sein du tribunal de commerce de Paris et de la chambre internationale compétente pour connaître de ses appels. « Nous soutenions l’idée d’une juridiction commerciale internationale depuis longtemps et souhaitions offrir une tribune à Guy Canivet pour présenter les conclusions de son rapport. La Garde des Sceaux a accepté de venir clôturer cette conférence qui a marqué la première étape vers le lancement de la juridiction », se réjouit l’avocat.

« Le Qatar se montre très intéressé »

Concrètement, les exemples de litiges qui pourront être traités par cette nouvelle juridiction sont nombreux. De manière générale, tout type de contentieux commercial ayant une dimension multi-juridictionnelle. « Les avocats du Qatar se montre très intéressé, explique Jacques Bouyssou. Mais aussi les pays d’Amérique latine, de tradition civiliste. Les entreprises souhaitent souvent échapper à leurs propres juridictions et privilégient l’arbitrage. L’alternative, ce sera notre chambre internationale. »

Paris a-t-elle créé ici une juridiction concurrente à la cour d’arbitrage située au sein de la chambre de commerce internationale ? Ce n’est pas sous cet angle que l’initiative est présentée dans la mesure où, si Paris est la première place de droit au monde, c’est notamment grâce à l’arbitrage. Berceau du droit civil, la France cultive le lien juridique avec plus de la moitié des pays qui appartient à la famille civiliste. « Paris a un rôle intellectuel particulier tout en étant une métropole économique, insiste le cofondateur. Elle occupe la première place dans le domaine de l’arbitrage. Il n’y a d’ailleurs aucun autre barreau dans le monde qui compte autant d’avocats inscrits dans d’autres barreaux. »

Néanmoins, plusieurs arguments plaident en faveur du recours à la juridiction commerciale internationale. Tout d’abord, il s’agit d’une justice rendue par des pairs, les juges étant issus de la vie des affaires. « C’est ce qu’attendent les dirigeants d’entreprise, un jugement sûr, rapide, juste et bien fondé juridiquement », explique l'associé du cabinet Alerion, qui poursuit en citant le coût dérisoire de ce mode de règlement, un argument de poids pour des litiges aux enjeux inférieurs à 10 millions d’euros.

Feu Villers-Cotterêts

Le succès devrait rapidement être au rendez-vous, la justice commerciale de première instance ayant déjà une réputation d’excellence. Et ce d’autant plus que les juges consulaires désignés pour siéger dans cette nouvelle juridiction font déjà partie de l’effectif du tribunal de commerce. Aucun recrutement supplémentaire n’est prévu. En réalité, il existe depuis 1995 au son sein une chambre internationale. Elle est déjà anglophone. Preuve de cette ouverture hors de nos frontières : le profil international de l’actuel président du tribunal de commerce de Paris. Ancien membre du FMI, Jean Messinesi était dernièrement à Washington pour défendre l’attrait des juridictions commerciales françaises.

La nouveauté réside ailleurs explique Jacques Bouyssou : « Désormais, il est possible d’entendre des parties et de produire des pièces en langue anglaise. Les décisions seront automatiquement traduites en anglais. » Un premier écart par rapport à l’obligation d’utiliser le français pour rendre la justice imposée depuis 1539 par l’ordonnance de Villers-Cotterêts.

Par ailleurs, dans le protocole portant création de la nouvelle juridiction, figure un engagement à promouvoir des articles du code de procédure civile qui permettent d’entendre les parties au procès (articles 184 à 198), les témoins (article 199) et les experts (articles 245 et 283 notamment). Dès lors, aucune modification législative n’est nécessaire pour l’adoption de la juridiction commerciale internationale : « Nous répondons ainsi à l’une des critiques formulées à l’encontre de la procédure civile, l’absence de cross examination. Puisque l’audience se déroule sous l’autorité du président, nous évitons les écueils de la procédure américaine. Il s’agit ici d’une innovation simple (les textes existaient) mais décisive rendant notre place de droit encore plus attractive. »

Mission de sensibilisation

Le timing est parfait, le Brexit ayant créé une opportunité historique de développement de Paris. Les contentieux qui auraient pu être résolus à Londres ne risqueront pas de perdre l’avantage d’une reconnaissance européenne. C’est la raison pour laquelle les cofondateurs (l’association Paris place de droit, le tribunal de commerce de Paris, la chambre de commerce et d’industrie, la chambre de commerce internationale, l’université Paris 1, l’AFJE et le Cercle Montesquieu) comptent à présent sensibiliser les entreprises, les avocats français et de manière générale tous les acteurs du procès à l’utilisation de ces règles. Une grande manifestation sera bientôt organisée notamment avec le soutien du barreau de Paris. « Marie-Aymée Peyron est convaincue de l’importance de la juridiction pour la communauté juridique », explique l’avocat qui constate enfin le résultat d’un travail de longue haleine. En effet, Paris place de droit existe depuis 1995. « J’ai voulu poursuivre l’action de Dominique Borde, se souvient-il. Et aujourd’hui, nous nous efforçons de vanter les mérites de la place de Paris en France et dans le monde. » Un exercice d’autant plus aisé que le tribunal de commerce reste, lui – contrairement aux juridictions civiles et pénales – sur l’île de la Cité.

 

Pascale D’Amore

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