Remettant en cause l’indépendance et la prolifération des régulateurs, le rapport « Un État dans l’État » de Jacques Mézard avait fait beaucoup de bruit lors de sa publication en octobre 2015. Depuis, une loi a été adoptée le 21 janvier dernier avec pour objectif de réduire le nombre des autorités administratives indépendantes et de leur donner un cadre général. Entretien avec un parlementaire engagé qui ne craint pas les foudres des régulateurs.

Décideurs. Seules certaines idées de votre rapport ont été retenues dans la loi de janvier dernier. Êtes-vous déçu??

Jacques Mézard. Vous ne vous rendez pas compte du travail qui a été réalisé. Sans nous, de nombreuses autres autorités de régulation auraient été créées, et ce pour la simple raison que cela permet au gouvernement de se débarrasser de la tâche. Lors de la commission d’enquête, nous nous sommes rendu compte que certaines autorités n’avaient jamais exercé, une d’entre elles est même restée introuvable?! D’autres se sont carrément autoproclamées?! La confusion était totale.

 

Votre principal objectif était-il d’améliorer la régulation ou le fonctionnement des autorités administratives indépendantes??

Notre souci était non pas de dire qu’elles sont incompétentes ou qu’elles ne font pas du bon travail. Mais si nous avons appelé notre rapport «?L’État dans l’État?», c’est pour indiquer que les autorités administratives indépendantes sont entre les mains des grands corps de l’État. Or, il est tout de même utile d’avoir une certaine diversification des personnes qui édictent des règles, en contrôlent l’application et sanctionnent en cas de contravention?! Les critiques portent souvent sur les parlementaires, qui cumulent les mandats. Pourquoi ne parle-t-on jamais de ces régulateurs qui agissent dans l’ombre?? Ces gens siègent dans les collèges de plusieurs autorités, basculent de l’une à l’autre, partent dans le privé puis y reviennent, et ce, en toute impunité.

 

Votre priorité était donc leur contrôle…

Exactement. Et puisqu’elles sont indépendantes, elles ne peuvent pas recevoir d’ordre du gouvernement. C’est donc au Parlement de les contrôler. Il fallait encadrer leur création, pour en réduire le nombre. C’est ce que nous avons fait en retirant la qualification d’autorité administrative indépendante à une quinzaine d’entre elles, qui sont devenues de simples organismes.

Pourquoi ne parle-t-on jamais de ces régulateurs qui agissent dans l’ombre??

Sur quels critères??

Nous avons procédé au cas par cas. Toutes celles qui ne faisaient pas autorité, qui n’étaient ni administratives ni indépendantes, ne méritent pas un tel statut.

 

Pourtant, les régulateurs acquièrent souvent leur indépendance en faisant évoluer leur organisation par rapport à leur loi de création, en séparant par exemple leurs services d’enquête et de sanction. N’avez-vous pas été trop sévère??

Je ne crois pas. L’indépendance est statutaire et comportementale. Nous voulions surtout établir un cadre général de règles de déontologie.

 

Vous avez auditionné l’ensemble des régulateurs. Vous ont-ils paru soudés ou ont-ils chacun défendu leur pré carré??

Dans l’idée qu’ils sont indépendants et qu’ils refusent d’être contrôlés, leur discours est cohérent. Certains ont fait un lobbying très appuyé parce qu’ils ont du mal à accepter d’être entendus par une commission parlementaire. Le but n’était pas de leur faire la peau, même si certains l’ont vécu comme tel. D’autres au contraire se sont plaints à juste titre de la diminution de moyens et de l’augmentation de leur charge. Il a fallu leur faire comprendre à tous que nous avions besoin d’opérer un gel budgétaire pour faire un point sur leur évolution. Nous sommes dans une période de réduction indispensable du déficit de l’État. Les restrictions budgétaires qui s’appliquent aux collectivités locales doivent aussi s’appliquer aux régulateurs. Or, certains d’entre eux se croient au-dessus de tout le reste, cela est inacceptable.

Certains régulateurs se croient au-dessus de tout le reste, cela est inacceptable.

Le fait que les décisions de certains régulateurs puissent être frappées d’appel devant la cour d’appel de Paris ou le Conseil d’État ne constitue-t-il pas un contrôle suffisant à vos yeux??

Il ne faut pas être naïf, ils sont tous de connivence. De nombreux magistrats de la Cour de cassation siègent dans les collèges des régulateurs, c’est souvent même prévu dans leurs statuts. Quant au Conseil d’État, c’est le plus grand pourvoyeur de régulateurs. Il faut bien se rendre compte de la porosité entre les grands corps de l’État, les entreprises régulées et les autorités administratives indépendantes. Je n’ai pourtant pas commencé ces travaux avec un a priori, mais force est de constater que l’organisation des autorités administratives indépendantes est inhérente au fonctionnement de la Ve République. Ce qui est difficile à admettre c’est que le régulateur considère qu’il n’a de compte à rendre à personne. Or, l’indépendance ne veut pas dire l’irresponsabilité.

 

Avez-vous examiné les effets de l’autorégulation que l’on retrouve aux États-Unis ou dans certains secteurs comme la publicité??

Je suis loin d’être contre cette idée, mais dans notre travail nous n’avons pas été jusque-là. Il faut dire que la régulation n’intéresse pas grand monde, alors qu’elle guide notre économie et l’exercice de nos droits fondamentaux, et que les régulateurs ne nous ont pas facilité la tâche. Je pense que notre culture française n’est pas prête à accepter l’idée d’une autorégulation.

 

Vous êtes un Européen convaincu. Pensez-vous que l’Europe pourra vous apporter son concours dans votre démarche
de transparence??

Pour cela, il faudrait commencer par rétablir la confiance de nos concitoyens dans l’Europe. Nous ne pouvons pas leur donner le sentiment qu’on confie encore davantage de compétences aux institutions européennes tant que cette confiance ne sera pas rétablie.

 

La Chancellerie n’a pas participé à vos travaux. Pourquoi??

Nous avons entendu les plus hauts magistrats de France. Mais le ministère de la Justice ne s’est pas senti concerné. Il faut dire que nous avons fait la lumière sur un sujet tabou. Certaines auditions ont dû être réalisées de manière anonyme et sans traces écrites. Certains sujets sont assez polémiques.

Certaines auditions ont dû être réalisées de manière anonyme et sans traces écrites

Avez-vous eu connaissance de comportements à risques??

Globalement, il faut reconnaître le sérieux du travail des autorités administratives. Nombreuses sont celles qui ont une action très positive dans notre économie. Notre objectif était de mettre en place un cadre général, ce qu’elles ne voulaient pas. Et avant qu’une nouvelle ne soit créée, de l’eau aura coulé sous les ponts?!

 

Propos recueillis par Pascale D’Amore

 

Lire Les régulateurs dans le vieur du législateur

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