Historien spécialiste des États-Unis, directeur d’études à l’EHESS et du centre d’études Nord-américaines (Cena), Romain Huret revient sur une élection « exceptionnelle » par sa violence et sur l’impact qu’elle ne manquera pas d’avoir sur l’électorat américain et la fonction présidentielle elle-même.

Décideurs. En quoi cette élection aura-t-elle été différente des autres ?

Romain Huret. C’est une élection qui restera exceptionnelle par le degré de violence inouï déployé par les deux candidats : aussi bien Donald Trump qu’Hillary Clinton ayant passé les dernières semaines à s’attaquer et à se menacer, Clinton allant, à la fin, jusqu’à traiter les électeurs de Trump d’imbéciles. Même aux États-Unis où l’on aime la confrontation, on n’avait jamais vu cela.

 

Pensez-vous que cela aura un impact sur l’attitude des électeurs au cours des prochaines heures ?

Cela va très probablement jouer sur le taux d’abstention. Les plus jeunes électeurs de gauche, notamment, sont extrêmement déçus et pourraient s’abstenir de voter pour sanctionner la médiocrité des débats et l’agressivité extrême des deux candidats.

 

Comment résumeriez-vous la posture des deux favoris ces dernières semaines ?

Trump a cultivé son image d’électron libre, de candidat anti-système, en maintenant des positions très dures et, surtout, en jouant la carte anti-Clinton, ce qui, on le constate maintenant qu’ils sont au coude-à-coude, lui a plutôt bien réussi. Quant à Hillary Clinton, elle a eu très peu de prise sur lui car il a refusé l’essentiel des débats de fond. Résultat, cela a produit une campagne flottante, qui n’a pas apporté de réponse véritable aux interrogations des Américains, mais a donné un débat extrêmement personnalisé, marqué par des attaques individuelles qui ont escamoté les sujets de fond : inégalités, emploi, dette…

 

« La campagne telle qu’elle a été menée va laisser des traces au sein de la société américaine et impacter le rôle du nouveau président, quel qu’il soit »

 

Cette absence de débat véritable ne risque-t-elle pas d’aggraver le mécontentement d’une partie de la société américaine ?

C’est évident. L’absence de réponse ne peut qu’alimenter la colère d’une partie de l’électorat qui considérait déjà que le politique ne servait plus à rien. Au final, cela va dépasser l’enjeu de l’élection elle-même : la campagne telle qu’elle a été menée va laisser des traces au sein de la société américaine et impacter le rôle du nouveau président, quel qu’il soit.

 

 

 

Cela risque-t-il de fragiliser la fonction présidentielle ?

J’en suis convaincu : celui qui sera élu cette nuit arrivera au pouvoir confronté à une fronde sévère et à un mécontentement massif. Il lui faudra de toute urgence jouer l’apaisement et apporter des réponses. Dans un contexte qui était déjà marqué par une forte défiance à l’égard du politique, l’impact très négatif de cette élection sur le public américain complique encore la tâche au nouveau président : sa fonction en sort amoindrie, c’est certain.

 

Dans un tel contexte, quelle devra être la priorité du nouveau chef de l’État américain ?

Restaurer la confiance, c’est une certitude. Les Américains sont totalement désabusés, ils ne croient plus au Congrès, en l’éducation, en la police… Une démocratie ne peut fonctionner sans un certain degré de confiance entre ses citoyens et ses institutions : le nouveau président devra donc impérativement restaurer du lien. Vu le contexte de son élection cela ne sera déjà pas chose aisée. Espérons que le perdant ne compliquera pas encore les choses en jetant le doute sur le résultat du scrutin. Espérons qu’il aura un discours d’apaisement.

 

Propos recueillis par Caroline Castets

@CaroCastets1 

 

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