Denis Cristol est l’auteur d’Humaniser la formation des dirigeants : vers un leadership démocratique. Regrettant un déficit d’éducation au leadership, il plaide pour la reconnaissance de sa forme collégiale.

Décideurs. Les grands succès d’entreprise sont-ils le fait d’un leader central ou d’un leadership collégial ?

Denis Cristol. Je plaiderais pour un leadership collégial. Il est difficile de définir ce qu’est le leadership : certaines études distinguent jusqu’à 230 traits différents du leader… Y a-t-il donc réellement des traits caractéristiques ? Je crois beaucoup plus aux « actes de leadership ». C’est leur multiplication qui produit un impact. Si une entreprise se développe à toute vitesse, fonctionne et croît, c’est que plus d’une personne fait preuve de leadership. Selon moi, il faut se détacher d’une personne centrale, qui est un héritage conceptuel de type féodal…

 

Décideurs. Quelle est la part de « centralisation » apparente, induite par les récits, et la part d’influence réelle de l’individu ?

D. C. Quand on lit la presse sur des leaders ou des grands hommes, l’histoire s’acharne à résumer le succès autour de trois à cinq atouts (diplômes, relations, origine familiale…). Les motivations du leader sont légèrement plus variées, quelques dizaines. Le story telling des médias est très compassé : les scénarios sur la vie des dirigeants ont le caractère de « contes de fées », construits autour de plusieurs variantes normées comme « il était né pour… » ou au contraire « il a su saisir l’opportunité »… Les médias font mine d’oublier ou minorent les personnages « secondaires », moins intéressants sur le plan symbolique. Quel raccourci !

 

Décideurs. Quand on voit le redressement spectaculaire de groupes comme Apple ou Nissan, la thèse d’un impact du leadership individuel semble pourtant confortée, non ?

D. C. Il ne faut pas négliger le rôle d’un individu et son libre arbitre. Pour Steve Jobs, son collectif l’a rejeté en 1985 : il n’était plus leader. Si Apple l’a repris en 1997, c’est que le collectif avait changé, mais Steve Jobs aussi. La relation entre le leader et le collectif est d’une richesse énorme. On n’a pas fini de réfléchir sur ces interactions. Le collectif « engage » le leader… comme le leader « engage » le collectif. Au-delà, il y a un troisième larron : les circonstances. C’est parce qu’un danger menaçait

Apple ou Nissan, que le leader a su rassembler les énergies du collectif. Le leader, c’est un dirigeant qui a gardé le pouvoir d’agir comme celui d’organiser. La différence est fondamentale. Les dirigeants classiques font de la communication, alors que les vrais leaders fondent une culture d’entreprise forte et l’incarnent dans chaque acte.

 

Décideurs. Comment le leadership individuel se nourrit- il d’un collectif de leaders rassemblés autour de lui, autour d’un projet ?

D. C. Ce qui est important, c’est la qualité de l’écoute mutuelle. Et elle sera déterminée par la maturité et l’intelligence émotionnelle du leader, comme de son équipe de direction. Il faut que les deux parties s’autorisent le parler vrai. Qu’ils soient humbles. Quand le leader est puissant et admiré, l’autocensure peut guetter. D’où l’importance d’une grande maturité émotionnelle du côté de l’équipe de direction.

 

Décideurs. La rareté des grands succès s’explique-t-elle par la rareté des grands leaders ou par celle d’équipes collégiales de leadership ?

D. C. Avoir une intention commune, c’est ça qui est rare. Et tisser une culture qui permette la patte personnelle de chacun sur une intention commune, c’est encore plus rare. Le leadership permet de faire grandir le pouvoir d’agir de chacun, c’est une énergie qui circule dans un groupe, avec une gouvernance qui a su faire remonter à la surface le meilleur de chacun.

 

Décideurs. Comment transformer des dirigeants en leaders ?

D. C. La formation des dirigeants est fondamentale. Ceux qui ont été nourris de façon normée, verticale, ne deviendront jamais des leaders. Ceux qui se seront formés et développés dans un cadre collaboratif, auront les compétences sociales requises par le leadership. L’école ou l’enseignement supérieur doit aussi favoriser trois clés de développement personnel oubliées dans le système actuel : la réflexivité, la pensée systémique et l’intelligence émotionnelle.

 

Propos recueillis par Pierre-Étienne Lorenceau

 

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