Urgence et précipitation
« Il faut anticiper la fin de l’état d’urgence. » Devant la presse, Manuel Valls donne le ton. Le gouvernement prévoit d’ajouter à la réforme pénale préparée depuis un an par la garde des Sceaux, une loi « renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale ».
Le juge judiciaire absent du projet de réforme
Un projet qui pose problème sur le fond et notamment pour les professionnels du droit. D’abord parce qu’il donne davantage de prérogatives au parquet, aux policiers, aux préfets, et donc à l’État, pour lutter contre le terrorisme au détriment du pouvoir judiciaire. Les perquisitions de nuit pourraient ainsi se faire à l’avenir sous les ordres du procureur, et non du juge d’instruction largement absent du projet de réforme. Ces derniers n’auraient d’ailleurs pas été conviés à la « réflexion collective » menée pour élaborer le projet. Diminuer les pouvoirs du juge d’instruction n’est pas une velléité inédite pour l’exécutif. En 2009, Nicolas Sarkozy envisageait de supprimer la fonction, prétextant le scandale provoqué par l’affaire d’Outreau. « Il est temps que le juge d'instruction cède la place à un juge de l'instruction qui contrôlera le déroulement de l'enquête mais ne la dirigera plus », avait-il alors déclaré. Mais le projet proposé par le gouvernement Valls semble aller encore plus loin. Pour Céline Parisot, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats, « l’État policier s’instaure de manière pérenne. Avec pour principale conséquence, j’insiste, un risque d’atteinte aux libertés des citoyens sans véritable contrôle. » Même crainte du côté de Pascal Gastineau, le représentant des magistrats instructeurs : « Nous sommes abasourdis, s’indignait-il au micro de RTL le 6 janvier. Comme l’a affirmé la Cour européenne des droits de l’homme, le procureur n’a pas le même statut qu’un juge indépendant. » Dans une décision du 23 novembre 2010[1], la CEDH condamne effectivement la France pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme, rappelant que « les membres du ministère public en France ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif », et ne sont par conséquent pas à même d’examiner le bien-fondé d’une arrestation et de la privation de la liberté s’en suivant. Une décision que le gouvernement préfère apparemment oublier.
Le pouvoir administratif renforcé
Le texte prévoit que les préfets pourront notamment assigner à résidence des « présumés terroristes », les obliger à signaler leurs déplacements et leur interdire de parler à certaines personnes. Ils auraient également la possibilité d’obliger ces derniers à mentionner leurs déplacements aux autorités sur une durée de six mois. Un véritable contrôle judiciaire entre les mains du représentant de l’État. Les forces de l’ordre, de leur côté, seront en mesure de retenir une personne, même mineure, que celle-ci soit en mesure de justifier son identité ou non, pendant quatre heures s’il y a simplement des « raisons sérieuses » de croire qu’elle a un lien avec une activité terroriste. Le second volet du texte annoncé envisage enfin une simplification de la procédure pénale et une augmentation des garanties du justiciable. Oubliant par là que les procédures, qu’elles soient civiles, pénales ou administratives, ont justement vocation à donner un maximum de garanties aux justiciables. Le Premier ministre compte pourtant sur la transposition à venir de deux directives européennes pour renforcer « certaines garanties procédurales »... Quant à la forme, le projet aussi est plus que contestable puisqu’une partie des mesures prévues dans le texte ne seront pas directement débattues au Parlement, Manuel Valls ayant annoncé le 6 janvier qu’il aurait recours aux ordonnances, sans préciser les dispositions concernées.
Des mesures liberticides envisagées dans l’urgence
« Cette loi complète l’ensemble de l’arsenal pour lutter contre le terrorisme », concluait le chef du gouvernement. Mais au nom de la lutte contre le terrorisme, il pérennise des mesures d’exception liberticides. « Il y a désormais une perméabilité entre les mesures de l’État d’urgence, temporaire et le droit commun », analyse le professeur de droit pénal Pascal Beauvais dans une interview accordée à Libération. Un texte difficilement acceptable en l’état donc, qui laisse encore une fois apercevoir certes l’urgence, mais aussi la précipitation dans laquelle il a été pris. Le gouvernement n’a par ailleurs toujours pas évoqué la question de la prise en charge des personnes radicalisées ni celle de l’analyse des données. Espérons que le texte, actuellement examiné par le Conseil d’État, et soumis au Conseil des ministres dans le courant du mois de février, sera plus réfléchi dans sa version définitive.
Capucine Coquand