Pour l’ancien Premier ministre, le temps du programme est venu. Entretien exclusif.
Décideurs. Si le programme d’Alain Juppé repose sur le triptyque « apaiser-rassembler-réformer », le vôtre semble davantage fondé sur la rupture.

François Fillon.
Lucidité, action, espérance : ça c’est mon triptyque ! Je suis pour une puissante refondation de notre pays. Notre modèle économique et social est usé, paralysé par des tabous et des habitudes que personne n’ose affronter de face. Nous sommes tous un peu coupables d’avoir pensé que la concurrence mondiale pouvait nous épargner et que l’endettement sans fin pouvait financer notre immobilisme.

À droite comme à gauche, les responsables politiques ont choisi d’agir avec prudence, pas à pas. François Hollande et son gouvernement ont accentué le mal en multipliant les impôts et en éludant les réformes nécessaires. Matraquage fiscal, laxisme budgétaire, conservatisme économique et social : c’est le triangle des Bermudes. Nous sommes maintenant au bord de la récession. La France s’appauvrit et le chômage s’étend.

L’heure du choix est venue : soit on continue comme avant et alors nous n’arriverons jamais à retrouver une croissance solide, soit on réagit fortement. J’ai décidé de tenir un langage de vérité et de proposer un projet de redressement national. J’ai le sentiment que les Français sont prêts à assumer des changements de fond, ils sont exaspérés par le statu quo.



Décideurs. Le pari est audacieux, ne risque-t-il pas d’être moins fédérateur ?

F. F.
Il est évidemment plus simple de dire aux électeurs que l’on peut s’en sortir sans changements. Mais la démagogie nous tue. Les Français sentent que la situation est grave et ils sont à deux doigts de la révolte. Notre devoir est de canaliser cette colère autour d’un projet crédible et percutant. Je crois qu’il y a plus de chance de rassembler le pays autour d’un programme franc et net qu’autour d’un programme vaporeux.



Décideurs. Vous promettez un allègement de cent dix milliards d’euros en cinq ans. S’agissant des entreprises, cet allègement fiscal serait de cinquante milliards et financé de la manière suivante : trente milliards par une augmentation de la TVA et vingt milliards avec des économies. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces dernières économies ?

F. F.
Ce que je propose, c’est simultanément de réformer en profondeur notre économie pour lui permettre de croître et créer de l’emploi à nouveau et de réduire la part de la dépense publique dans la richesse nationale : c’est à ces deux conditions que nous parviendrons à revenir à l’équilibre et à cesser d’accumuler toujours plus de dettes.  

Les cent dix milliards d’euros d’économies sur cinq ans que vous évoquez sont à la fois un programme d’économies plus ambitieux que tout ce qui a été fait précédemment dans notre pays mais correspondent aussi à la stabilisation en euros courants de la dépense publique, ce qui est tout sauf extravagant dans un pays où elle atteint 57 % du PIB. C’est à la fois exigeant et raisonnable. Pour y parvenir, il est nécessaire de réformer tous les champs de la dépense publique : dépenses de l’État et de ses établissements publics, dépenses des collectivités territoriales, nombre de niveaux d’administrations locales, durée de la vie active, dépenses de santé en médecine de ville comme à l’hôpital, effectifs de la fonction publique, interventions et subventions diverses…

Tout doit être passé au peigne fin, évalué de façon approfondie pour dépenser moins et mieux, écarter les modes d’action inefficaces, parfois accepter que la puissance publique se désengage quand elle est inutile ou contre-productive.



Décideurs. Vous préconisez les mesures suivantes : travailler trente-neuf heures, une retraite à 65 ans, ainsi qu’un « retour en arrière sur les contraintes et réglementations qui ont protégé les Français ». Après avoir dénoncé l’état de faillite du pays, ne risquez-vous pas d’incarner le « Père la Rigueur », voire le « Père Fouettard » ?

F. F.
Quand son pays à deux mille milliards de dettes et que son système social croule sous les déficits, mieux vaut être l’homme qui veut la rigueur budgétaire que celui qui emmène son peuple vers la faillite.

Dans n’importe quelle famille responsable, on gère son budget avec vigilance. Or la France, c’est notre grande famille à tous. Il faut remettre ses comptes publics en ordre. L’effort à fournir pour redresser nos finances et amorcer le désendettement est de l’ordre de cent dix milliards d’euros en cinq ans. L’objectif est atteignable dès lors qu’on réforme la sphère publique, qu’on resserre ses effectifs, qu’on passe au crible toutes les dépenses. Je ne dis pas que c’est facile mais c’est une question d’intérêt national et de liberté ! Mieux on gérera la France, plus on pourra agir pour la croissance, pour l’emploi et pour alléger les prélèvements obligatoires.

Les « pères fouettards » dont vous parlez, ce sont les tenants de l’immobilisme avec ses conséquences qui s’appellent l’impôt, le chômage, la paupérisation des classes moyennes et populaires. Moi, je veux moderniser pour impulser un nouvel élan et une nouvelle espérance.


Décideurs. Vos concurrents aux primaires optent soit pour une réforme prudente, soit pour une réhabilitation des mesures du passé. Comment comptez-vous faire accepter votre « rupture » aux Français ?

F. F.
Peut-on gagner les élections en proposant des solutions de choc pour sortir le pays de l’impasse ? C’est la grande question de la démocratie française. Certains pensent que la meilleure façon d’être élu, c’est de ruser, de « feutrer » les propositions. Moi je crois que les Français sont lucides et beaucoup plus courageux qu’on ne le dit. Mais il y a des conditions pour réussir.

Il faut s’y prendre en amont et pas quatre mois avant les élections. Il faut une campagne d’explication, il faut dire la vérité, poser le diagnostic sur la situation française, travailler sur des propositions précises et prioritaires. Et il faut le faire longtemps à l’avance pour enclencher une révolution des esprits. Cela exige d’aller sur le terrain pour écouter et s’expliquer. C’est la démarche que j’ai entreprise.

Ces six derniers mois, j’ai dû rencontrer plus d’une centaine d’entrepreneurs. Sans caméra, ni micros, pour que le dialogue soit direct.


Décideurs. Outre l'aura, votre adversaire direct ne serait-il pas davantage Xavier Bertrand, notamment sur les questions relatives aux trente-cinq heures ?

F. F.
Avec Xavier Bertrand, nous avons des points en commun. Je ne le vois pas comme un adversaire mais comme un contradicteur utile car il a une expérience des questions sociales.

Sur les trente-cinq heures, je pense que leur maintien serait une erreur. Au niveau de l’entreprise, il faut libérer le pouvoir de négocier l’organisation du travail. Par ailleurs, on ne peut pas, d’un côté, augmenter le temps de travail des fonctionnaires pour compenser la baisse des effectifs qui est nécessaire pour réduire les déficits, et, de l’autre côté, rester purement et strictement aux trente-cinq heures dans les entreprises. Ce serait inéquitable. C’est tous ensemble que l’on doit produire plus et mieux pour relancer le pays.


Julien Beauhaire & Camille Drieu

Pour aller plus loin : 
Dépenses publiques : le traitement de choc de François Fillon
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