Par Maxime Dequesne, counsel. De Pardieu Brocas Maffei
 Un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 20 septembre 2011 rappelle la stricte exigence de loyauté qui pèse sur le débiteur d’une condition suspensive, ainsi que la gravité de la sanction attachée à la non-réalisation d’une condition du fait de celui qui y est tenu.

« La condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement » (art. 1178 du C. civ.). La Cour de cassation applique un des grands principes du droit des obligations et sanctionne sévèrement le comportement opportuniste et maladroit d’un arroseur arrosé mis de son propre fait dans l’impossibilité d’exécuter la condition à laquelle il était tenu.

Une situation complexe impliquant un buy or sell
La société Business Value Challenge (BVC) comportait deux groupes d’actionnaires : un groupe majoritaire composé de la société Hi-trois, de M. Parize et de la société SVGM détenant ensemble 685 actions, et un groupe minoritaire composé de la société Jules Dacron et de M. Devai détenant ensemble 315 actions. Dans le cadre d’un projet de cession de la BVC, le groupe majoritaire conclut avec le groupe Sodexo un contrat de cession de 100 % du capital à un prix de 5,5 millions d’euros, soit un prix par action de 5 500 euros, sous la condition suspensive d’acquérir les 31,5 % du capital restant auprès du groupe minoritaire. Parallèlement, le groupe majoritaire négocie une convention dite de « buy or sell » avec le groupe minoritaire. Par la suite, le groupe majoritaire met en œuvre le buy or sell à un prix par action de 3 010,09 euros (soit une décote de plus de 40 % par rapport à l’accord conclu avec Sodexo), laissant au groupe minoritaire l’option de céder ses titres à ce prix décoté ou d’acquérir l’ensemble des titres du groupe majoritaire au même prix par action. Les conséquences de ce « bluff » seront désastreuses. Le groupe minoritaire exercera son option d’achat au titre du buy or sell et obtiendra l’exécution forcée de la convention, obligeant ainsi le groupe majoritaire à céder ses titres au prix décoté. Le groupe majoritaire sera par ailleurs dans l’impossibilité de délivrer le moindre titre au groupe Sodexo qui cherchera à obtenir réparation de son préjudice pour défaut de délivrance des titres.

Réaliser de bonne foi les conditions suspensives
Compte tenu de l’aléa attaché à la notion même de condition, sa non-réalisation n’entraîne pas, en principe, de responsabilité du débiteur. Toutefois, en l’espèce, la Cour de cassation estime sur le fondement de l’article 1178 du Code civil qu’« en proposant un prix manifestement sous-évalué par rapport à celui convenu avec la société Sodexo, [les membres du groupe majoritaire] ont exécuté de mauvaise foi l’obligation à laquelle ils s’étaient engagés envers cette dernière ».
L’article 1178 du Code civil a fait l’objet d’un contentieux abondant en particulier dans le cadre de la condition d’obtention d’un financement bancaire. La jurisprudence a renforcé par palier l’obligation pesant sur le débiteur : après avoir exigé, pour qualifier la faute du débiteur, un acte déloyal ou une fraude de celui-ci, une simple négligence ou imprudence a été retenue, pour enfin imposer une véritable obligation de bonne foi et de diligence du débiteur de la condition. L’arrêt du 20 septembre 2011 fait produire son plein effet à ce devoir de bonne foi à un cas très particulier et invite le spécialiste à réviser ses classiques.
En l’espèce, le groupe majoritaire ne disposait pas du droit de contraindre le groupe minoritaire à céder ses titres, mais d’une convention de buy or sell au titre de laquelle le groupe minoritaire disposait toujours de l’option d’acquérir les titres. Le pari était certainement que le groupe minoritaire n’aurait pas les ressources suffisantes pour mobiliser les sommes nécessaires à l’acquisition de près de 70 % du capital, même à un prix décoté. En réalité, le prix proposé s’est trouvé être une aubaine. La Cour de cassation considère qu’en ne proposant pas au tiers le prix convenu et en prenant ainsi le risque de ne pas être en mesure de remplir ses obligations envers Sodexo, le groupe majoritaire a agi avec une légèreté qui est, en pratique, cause de la non-réalisation même de la condition.

Sanction : formation du contrat et réparation du préjudice
La procédure menant à la décision du 20 septembre 2011 est trop longue pour être détaillée ici, mais il convient de noter qu’initialement Sodexo n’avait obtenu que des dommages-intérêts pour perte de la chance d’avoir pu acquérir les titres. La Chambre commerciale considère cependant que c’est bien l’article 1178 qui a vocation à s’appliquer. La conséquence est sans appel, la condition est réputée réalisée et la vente des titres parfaite, le groupe majoritaire ayant donc l’obligation de délivrer 100 % du capital de la société BVC à Sodexo. N’étant pas en mesure de respecter cet engagement il sera donc tenu à l’entière réparation du préjudice prévisible de Sodexo. En l’espèce, il semble que le groupe minoritaire a immédiatement trouvé preneur pour l’ensemble des titres de la société auprès d’un tiers de sorte que Sodexo a pu démontrer un préjudice minimum de 8 500 000 euros (sous réserve d’expertise), soit plus que le prix de cession initialement envisagé pour l’ensemble des titres ! Le groupe majoritaire a payé très chèrement sa stratégie et le praticien avisé se penchera avec une attention redoublée sur le détail des conditions du prochain contrat de cession de titres dont il aura à connaître.

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