Par Richard Renaudier et Marine Nossereau, avocats associés. Cabinet Renaudier
Le contrôle des concentrations appliqué au secteur agricole
L’agriculture française fait face à de grands défis (nouvelle PAC, mondialisation…). Les observateurs s’accordent à souhaiter qu’elle se restructure, pour concentrer l’offre de produits agricoles. À cet égard, il est important d’étudier si le contrôle des concentrations accompagne cette concentration de l’offre de façon adaptée.
Depuis 2008, le nombre de concentrations dans le secteur agricole en France a significativement augmenté. Entre mars 2009 et août 2012, l’Autorité de la concurrence, en charge du contrôle, aura contrôlé 65 opérations, entre opérateurs situés au stade de la collecte (20 opérations) ou à un stade aval de la transformation impliquant des opérateurs du secteur agricole, ce qui représente environ 10 % des décisions rendues. Les particularités du secteur agricole amènent les réflexions suivantes :
La définition des marchés
L’agriculture française étant relativement peu concentrée, les opérations de concentration ont à ce jour toutes été autorisées par l’Autorité. Toutefois, l’analyse s’avère délicate lorsque les marchés concernés sont de dimension locale (collecte et agrofourniture). Fort opportunément, l’Autorité n’hésite pas à faire évoluer sa pratique pour tenir compte de la réalité qui lui est exposée par les parties notifiantes, confortée par les résultats de ses propres tests de marchés. Ainsi, s’agissant de la collecte de céréales, oléagineux et protéagineux, alors que la pratique antérieure retenait un marché distinct pour la collecte de chacune des espèces de céréales, oléagineux et protéagineux, l’Autorité a d’abord considéré que la collecte de toutes les espèces de céréales constituait un seul marché dans la mesure où les points de collecte étaient utilisés indifféremment pour chacune des céréales (22/10/09, Limagrain Domagri). Elle considère aujourd’hui pour les mêmes raisons que le marché de la collecte de toutes les espèces de céréales, oléagineux et protéagineux constitue un seul marché (13/02/12 Cohésis Axion, 26/03/12 Champagne Céréales Nouricia).
Il est permis de regretter, s’agissant de ce marché de la collecte, que l’Autorité continue à calculer les parts de marché au niveau local (45 kilomètres autour d’un silo), ce qui induit de fortes parts de marché. En effet, compte tenu de l’évolution des pratiques (stockage à la ferme, collecte par des opérateurs situés en proximité de zone ou disposant de silos de grandes capacités près d’installations portuaires parfois éloignées), une part de marché définie localement ne reflète pas le réel pouvoir de marché, étant souligné toutefois que l’Autorité tempère sa définition par la prise en compte de l’absence de barrières à l’entrée (faible coût de l’installation de plateformes intermédiaires de collecte).
La prise en compte des principes coopératifs
La Commission européenne a très tôt souligné la spécificité des liens entre les coopératives et leurs associés coopérateurs pour admettre que la redistribution coopérative mette les producteurs à l’abri d’un abus de puissance économique de la coopérative vis-à-vis d’eux (9/03/99, Danish Crown/Vestyske Slagterier). En effet, la coopérative est l’émanation de ses associés. La loi prévoit que la coopérative leur redistribue ses excédents en fin d’année. Il en découle que la coopérative n’est pas suffisamment indépendante de ses associés pour prendre durablement des décisions susceptibles de leur nuire. C’est cette situation qui explique que les
coopératives disposent d’un maillage serré de points de collecte, alors qu’un groupe privé pourrait choisir de fermer des sites au nom de la
rationalité économique. Cette situation, qui privilégie le service aux associés, devrait conduire à considérer qu’il n’y a aucun risque d’affectation de la concurrence entre une coopérative et ses associés, quelle que soit la part de marché locale ou nationale de la coopérative.
Toutefois, la Commission a considéré, dans un cas extrême, que d’éventuels problèmes concurrentiels seraient susceptibles de survenir lorsque la coopérative est devenue très puissante. Dans l’affaire Danish Crown précitée (coopérative regroupant, suite à l’opération contrôlée, tous les producteurs nationaux de porcs du Danemark), la Commission a autorisé l’opération à condition notamment de permettre aux coopérateurs de fournir jusqu’à 15 % de leur livraison hebdomadaire à des abattoirs indépendants. En France, une problématique comparable a conduit l’Autorité à autoriser le rapprochement entre Agrial et Elle &Vire (10/10/11) sous réserve que l’obligation statutaire de se fournir à 80 % minimum en produits d’agrofourniture auprès de la coopérative soit réduite à 50 %. Si l’approche des deux autorités semble comparable, les engagements souscrits ont une portée très différente dès lors que Danish Crown représente trois fois le chiffre d’affaires d’Agrial.
Sur ce marché de l’agrofourniture comme sur celui de la collecte, il convient de tenir compte des relations particulières existant entre la coopérative et les associés coopérateurs. En effet, à la différence des opérateurs privés, les coopératives sont tenues, pour répondre aux attentes de leurs agriculteurs, de disposer de magasins d’agrofourniture à proximité des exploitations et de garantir à leurs clients, producteurs de produits alimentaires, des critères de qualité drastiques. Il en résulte des charges supplémentaires pour la coopérative, qui justifient les obligations minimales demandées en termes d’approvisionnement. Là encore, une délimitation locale du marché amène à une appréciation faussée car les agriculteurs peuvent toujours s’approvisionner auprès d’opérateurs situés hors de leur département, en l’absence de barrière à l’entrée.
L’analyse des effets congloméraux
L’analyse des effets congloméraux doit, dans le secteur coopératif agricole, tenir compte des effets positifs qu’ils peuvent avoir pour le développement futur des agriculteurs. Il est acquis que la vente de produits agricoles ne permet pas aux agriculteurs de dégager des marges importantes et que c’est lors de la transformation des produits agricoles que s’effectuent les premières marges commerciales. Les coopératives, en développant elles-mêmes des activités commerciales de transformations, créatrices de valeur ajoutée, permettent aux agriculteurs de bénéficier indirectement de cette plus-value. Dès lors, le fait de conditionner l’autorisation à des désinvestissements des coopératives dans le secteur de la première transformation les prive d’un moyen de valorisation des matières premières et les cantonne aux activités à marges plus faibles, au détriment des agriculteurs.
L’Autorité doit tenir compte de toutes ces particularités dans son analyse des opérations de concentration dans le secteur agricole afin notamment de permettre aux groupes coopératifs français d’atteindre la taille de leurs concurrents européens (notamment néerlandais, allemands et danois), qui se sont créés avec l’aval d’autres autorités de concurrence.
Depuis 2008, le nombre de concentrations dans le secteur agricole en France a significativement augmenté. Entre mars 2009 et août 2012, l’Autorité de la concurrence, en charge du contrôle, aura contrôlé 65 opérations, entre opérateurs situés au stade de la collecte (20 opérations) ou à un stade aval de la transformation impliquant des opérateurs du secteur agricole, ce qui représente environ 10 % des décisions rendues. Les particularités du secteur agricole amènent les réflexions suivantes :
La définition des marchés
L’agriculture française étant relativement peu concentrée, les opérations de concentration ont à ce jour toutes été autorisées par l’Autorité. Toutefois, l’analyse s’avère délicate lorsque les marchés concernés sont de dimension locale (collecte et agrofourniture). Fort opportunément, l’Autorité n’hésite pas à faire évoluer sa pratique pour tenir compte de la réalité qui lui est exposée par les parties notifiantes, confortée par les résultats de ses propres tests de marchés. Ainsi, s’agissant de la collecte de céréales, oléagineux et protéagineux, alors que la pratique antérieure retenait un marché distinct pour la collecte de chacune des espèces de céréales, oléagineux et protéagineux, l’Autorité a d’abord considéré que la collecte de toutes les espèces de céréales constituait un seul marché dans la mesure où les points de collecte étaient utilisés indifféremment pour chacune des céréales (22/10/09, Limagrain Domagri). Elle considère aujourd’hui pour les mêmes raisons que le marché de la collecte de toutes les espèces de céréales, oléagineux et protéagineux constitue un seul marché (13/02/12 Cohésis Axion, 26/03/12 Champagne Céréales Nouricia).
Il est permis de regretter, s’agissant de ce marché de la collecte, que l’Autorité continue à calculer les parts de marché au niveau local (45 kilomètres autour d’un silo), ce qui induit de fortes parts de marché. En effet, compte tenu de l’évolution des pratiques (stockage à la ferme, collecte par des opérateurs situés en proximité de zone ou disposant de silos de grandes capacités près d’installations portuaires parfois éloignées), une part de marché définie localement ne reflète pas le réel pouvoir de marché, étant souligné toutefois que l’Autorité tempère sa définition par la prise en compte de l’absence de barrières à l’entrée (faible coût de l’installation de plateformes intermédiaires de collecte).
La prise en compte des principes coopératifs
La Commission européenne a très tôt souligné la spécificité des liens entre les coopératives et leurs associés coopérateurs pour admettre que la redistribution coopérative mette les producteurs à l’abri d’un abus de puissance économique de la coopérative vis-à-vis d’eux (9/03/99, Danish Crown/Vestyske Slagterier). En effet, la coopérative est l’émanation de ses associés. La loi prévoit que la coopérative leur redistribue ses excédents en fin d’année. Il en découle que la coopérative n’est pas suffisamment indépendante de ses associés pour prendre durablement des décisions susceptibles de leur nuire. C’est cette situation qui explique que les
coopératives disposent d’un maillage serré de points de collecte, alors qu’un groupe privé pourrait choisir de fermer des sites au nom de la
rationalité économique. Cette situation, qui privilégie le service aux associés, devrait conduire à considérer qu’il n’y a aucun risque d’affectation de la concurrence entre une coopérative et ses associés, quelle que soit la part de marché locale ou nationale de la coopérative.
Toutefois, la Commission a considéré, dans un cas extrême, que d’éventuels problèmes concurrentiels seraient susceptibles de survenir lorsque la coopérative est devenue très puissante. Dans l’affaire Danish Crown précitée (coopérative regroupant, suite à l’opération contrôlée, tous les producteurs nationaux de porcs du Danemark), la Commission a autorisé l’opération à condition notamment de permettre aux coopérateurs de fournir jusqu’à 15 % de leur livraison hebdomadaire à des abattoirs indépendants. En France, une problématique comparable a conduit l’Autorité à autoriser le rapprochement entre Agrial et Elle &Vire (10/10/11) sous réserve que l’obligation statutaire de se fournir à 80 % minimum en produits d’agrofourniture auprès de la coopérative soit réduite à 50 %. Si l’approche des deux autorités semble comparable, les engagements souscrits ont une portée très différente dès lors que Danish Crown représente trois fois le chiffre d’affaires d’Agrial.
Sur ce marché de l’agrofourniture comme sur celui de la collecte, il convient de tenir compte des relations particulières existant entre la coopérative et les associés coopérateurs. En effet, à la différence des opérateurs privés, les coopératives sont tenues, pour répondre aux attentes de leurs agriculteurs, de disposer de magasins d’agrofourniture à proximité des exploitations et de garantir à leurs clients, producteurs de produits alimentaires, des critères de qualité drastiques. Il en résulte des charges supplémentaires pour la coopérative, qui justifient les obligations minimales demandées en termes d’approvisionnement. Là encore, une délimitation locale du marché amène à une appréciation faussée car les agriculteurs peuvent toujours s’approvisionner auprès d’opérateurs situés hors de leur département, en l’absence de barrière à l’entrée.
L’analyse des effets congloméraux
L’analyse des effets congloméraux doit, dans le secteur coopératif agricole, tenir compte des effets positifs qu’ils peuvent avoir pour le développement futur des agriculteurs. Il est acquis que la vente de produits agricoles ne permet pas aux agriculteurs de dégager des marges importantes et que c’est lors de la transformation des produits agricoles que s’effectuent les premières marges commerciales. Les coopératives, en développant elles-mêmes des activités commerciales de transformations, créatrices de valeur ajoutée, permettent aux agriculteurs de bénéficier indirectement de cette plus-value. Dès lors, le fait de conditionner l’autorisation à des désinvestissements des coopératives dans le secteur de la première transformation les prive d’un moyen de valorisation des matières premières et les cantonne aux activités à marges plus faibles, au détriment des agriculteurs.
L’Autorité doit tenir compte de toutes ces particularités dans son analyse des opérations de concentration dans le secteur agricole afin notamment de permettre aux groupes coopératifs français d’atteindre la taille de leurs concurrents européens (notamment néerlandais, allemands et danois), qui se sont créés avec l’aval d’autres autorités de concurrence.