La voie du silence
À un an de l’élection présidentielle, Dominique Strauss-Kahn reste sacré meilleur candidat de la gauche par les sondages. Pourtant le patron du FMI ne s’est toujours pas déclaré prétendant à l’investiture suprême. Pour combien de temps encore ?
Le calendrier est très clair. Il reste à Dominique StraussKahn deux mois (date limite du 13 juillet 2011) pour se déclarer candidat à l’élection présidentielle de 2012. Pour l’heure, pas un mot explicite, pas un geste démonstratif, rien qui ne pourrait dévoiler officiellement une quelconque volonté de briguer le « Château ». Tout le monde attend. Pas tant l’homme que la petite phrase ou le bon mot qui confirmera ce que tous présupposent : l’actuel patron du Fonds monétaire international (FMI), envoyé à Washington, sera candidat et se présentera aux primaires socialistes. Le temps passe vite et les prétendants doivent se manifester entre le 28 juin et le 13 juillet 2011. Le scrutin de désignation de « l’élu » est prévu le 9 octobre 2011.
Dans l’hypothèse d’un second tour, un nouveau scrutin est envisagé le 16 octobre 2011.Depuis des mois, tout chez Dominique StraussKahn est scruté, épié, détaillé et analysé.La classe politique, dans son ensemble, attend la parabole du messie, pas tant pour son intérêt que pour la menace qu’elle représente dans la course à l’Élysée. Durant les cinquantedeux minutes du documentaire de Canal + (« Un an avec DSK, au cœur du FMI » réalisé par Nicolas Escoulan, François Lescalier et Chloé Davant), chacun a espéré le signe prophétique. Rien.
Cherchez la femme
DSK, compte tenu de sa fonction à la tête de l’organisation économique mondiale, a un devoir de réserve et ne peut se prononcer sur la politique francofrançaise. Alors, comme derrière chaque grand homme il y a une femme, tous se tournent vers la journaliste Anne Sinclair qui partage sa vie. La pythie de Delphes ne dit pourtant mot, tout juste émetelle un souhait (« Je ne souhaite pas qu’il fasse un second mandat au FMI » ou « Il faut être tordu pour se dire que Dominique n’est pas de gauche ») ou une critique acerbe du pouvoir en place sur son blog (« Jouer avec le feu » du 20 février 2011, in Deux ou trois choses vues d’Amérique). Si DSK décide de se présenter, il devra rentrer précipitamment de Washington. Sur place, en France, tout est quasiment déjà prêt. À Sarcelles, François Pupponi, son dauphin et actuel députémaire de la ville, a déjà les clés. Mais la route est loin d’être toute tracée.
Obstacles
Le 31 mars dernier, jour de sa réélection à la tête de la Corrèze, François Hollande a annoncé sa candidature à la primaire socialiste. Depuis, il n’en finit plus de recueillir sympathie et intérêt. Le signe d’un désir ardent de la part des électeurs socialistes de voir enfin évoluer les lignes directrices. Le député Bruno Le Roux, proche de François Hollande, presse d’ailleurs DSK d’entrer dans la danse, persuadé qu’il ne tiendra pas. Le 12 avril, l’Ifop relève même que, « pour la première fois depuis 2007, François Hollande est le dirigeant du PS bénéficiant de la meilleure cote d’opinion auprès des sympathisants socialistes, atteignant 84 % de popularité. » L’ancien premier secrétaire du PS est peutêtre bien le premier obstacle à Dominique StraussKahn. Si Dominique StraussKahn décide in fine de ne pas se présenter, son fidèle lieutenant Pierre Moscovici a d’ores et déjà déclaré ne pas souhaiter un transfert automatique vers François Hollande. Il est favorable à la « désignation d’une personnalité sociale-démocrate ». Rien contre Martine Aubry assuretil. C’est sans doute la raison pour laquelle la première secrétaire du PS vient de regrouper autour d’elle une dizaine de députés dont Catherine Lemorton, Olivier Dussopt, Régis Juanico, Alain Vidalies, etc. Des députés étiquetés comme clairement de gauche.
Un libéral décomplexé
Si DSK fait figure d’opposition à Nicolas Sarkozy, voire d’alternative crédible pour une bonne partie de la droite et du centre, il reste pour les caciques de la gauche traditionnelle un libéral décomplexé. À commencer par la gauche de la gauche, où le bouillant Jean-Luc Mélenchon abhorre son capitalisme à couleur socialedémocrate. Il demeure pour beaucoup l’homme de Washington, sauveur d’un monde ultralibéral totalement dérégulé et le riche politique de Marrakech et de la place des Vosges. Souvent associé aux forces de l’argent et des puissants, beaucoup pensent qu’une réduction annuelle de 140 000 euros (de 380 000 euros à 240 000 euros) sur son salaire découragera l’hypothétique candidat à briguer la présidence. À lui de rappeler qu’il a aussi été maire de Sarcelles et professeur d’économie, un profil opposé à celui de son concurrent, ancien avocat et maire de Neuilly.
En attendant l’échéance de juillet 2011, la gauche se rassure comme elle peut. Toujours aussi divisée, elle parie sur le rejet national du gouvernement en place. Feignant l’unité, le parti socialiste s’est laissé précipiter par les annonces de candidature (Manuel Valls, puis Ségolène Royal, Arnaud Montebourg et François Hollande) et a rendu public un projet programmatique, somme toute très consensuel. La rue de Solferino va rapidement devoir s’unir derrière une figure tutélaire pour donner raison aux sondages favorables.
Campagne violente
La campagne qui s’ouvre promet, à l’ère de l’ultracommunication, d’être sans concession, violente et passionnée. La famille de DSK le sait et ne s’est pas cachée de le mettre en garde.
Devenu un « voyageur de commerce », Dominique StraussKahn va devoir quitter le FMI, un lieu où il est pourtant quasi assuré d’être réélu. À lui d’affronter tout de suite les éléphants de son parti : Ségolène Royal qu’il méprise, mais qui l’a battu aux dernières primaires, François Hollande, Arnaud Montebourg et Martine Aubry selon un calendrier qu’il n’a pu changer, signe d’une candidature implicite et promise depuis longtemps. Impatiemment, toute la classe politique attend les futurs débats opposant DSK à Nicolas Sarkozy, à l’image des réparties cinglantes échangées dans l’émission « Mots croisés » d’Arlette Chabot, le 18 mars 2002. Atterré par l’attitude du socialiste qui l’autorise par un « continuez, continuez », Nicolas Sarkozy rétorque d’un mouvement d’épaule : « Pardon, mais on n’est pas à l’université. Excusez-moi, mais le “continuez, continuez”, merci, merci Monsieur le professeur ». DSK lui rétorque aussitôt : « Si vous étiez mon élève vous n’auriez pas fait cette erreur ».