Selon la présidente de l'Association française de droit constitutionnel, une VIe République ne résoudrait rien.
Anne Levade (AFDC) : «Une VIe République, pour quoi faire?»
Professeur et présidente de l'Association française de droit constitutionnel (AFDC) et de la haute autorité de l'UMP, Anne Levade s'exprime sur ce sujet qui fait débat.
Décideurs. De Jean-Luc Mélenchon à Arnaud Montebourg, beaucoup réclament une nouvelle république. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans le système actuel ?
Anne Levade. Je ne pense pas que les dysfonctionnements de la Ve République trouvent leur origine dans les textes. La Constitution a été pensée avec beaucoup de plasticité de telle sorte que chacun peut la mettre en œuvre à sa manière. Ainsi, François Mitterrand a interprété différemment ces dispositions pendant son mandat, alors qu’il avait pris position contre le modèle gaullien en 1958. Chacun peut exercer les pouvoirs rattachés à sa fonction selon ce qu’il veut en faire. En revanche, modifier la Constitution pourrait conduire à rigidifier ce système, qui manquerait alors de souplesse. Il faut se demander si les problèmes rencontrés sous la Ve République ne viennent pas plutôt de la pratique.
Décideurs. Faut-il que le pays soit en crise pour que le serpent de mer de la VIe République refasse surface dans le débat politique ?
A. L. Les Français ont une appétence historique à invoquer la réforme constitutionnelle comme la solution miracle à leurs problèmes : c’est culturel. On a déjà tout essayé, preuve que nous ne sommes jamais satisfaits de notre système constitutionnel, ou peut-être que nous sommes trop idéalistes. D’autres pays comme les États-Unis n’ont jamais changé de Constitution, se contentant de quelques révisions nécessaires. Tout comme nos voisins, la France traverse une crise politique mais elle reste gouvernée. En l’absence de blocage institutionnel, changer de Constitution serait superflu et pourrait aboutir à l’effet inverse de ce qui est recherché. On a procédé à des réformes constitutionnelles mais il y a toujours un temps de latence dans leur mise en œuvre. Le référendum d’initiative partagée issue de la réforme constitutionnelle de 2008 ne sera mis en œuvre qu’à partir du 1er janvier 2015. Attendons de voir quels en seront les effets avant de penser à de nouvelles modifications.
Décideurs. Justement, Jean-Luc Mélenchon plaide pour un référendum révocatoire des élus en cours de mandat, y compris le président de la République. Est-ce réalisable en pratique ?
A. L. Tout d’abord, le référendum n’est pas un mécanisme inhérent au bon fonctionnement d’une démocratie. Cela n’existe pas en Allemagne, par exemple. En revanche, toutes les démocraties contemporaines reposent sur une base représentative qui suppose des mandats dont la durée ne peut être remise en cause que dans certaines circonstances. En dehors de ces hypothèses, la sanction politique survient uniquement au moment de la réélection. L’objectif est de laisser à l’élu le choix des conditions et du rythme de la mise en œuvre des réformes. En remettant en cause la durée du mandat, le référendum révocatoire heurte le principe même de la représentativité. Par ailleurs, la pression qui pèserait sur les élus ne leur permettrait pas d’exercer leurs fonctions efficacement.
Décideurs. Existe-t-il une disproportion entre les pouvoirs de l’exécutif et ceux du Parlement ?
A. L. C’était l’objectif même poursuivi en 1958. Après l’échec de la IVe République, Charles de Gaulle a souhaité renforcer l’exécutif afin que le Parlement ne fasse pas obstacle à l’action du gouvernement comme cela avait été le cas auparavant. Actuellement, cette domination s’est très nettement atténuée et les pouvoirs se sont équilibrés du fait des textes et de la pratique. Les réformes de 1995 et de 2008 ont permis de redonner une marge de manœuvre aux parlementaires, qui ont retrouvé un droit de résolution ainsi qu’un pouvoir de contrôle des nominations par le président de la République. Néanmoins, des dysfonctionnements peuvent venir du fait que les parlementaires n’ont pas encore bien appréhendé tous les outils mis à leur disposition. Par exemple, ils consacrent beaucoup de temps au contrôle a priori. Le vote du projet de loi de finance s’étale sur plusieurs mois tandis que le contrôle de la loi d’exécution budgétaire a posteriori ne leur prend que quelques heures. Par ailleurs, les parlementaires tentent le plus souvent de parasiter l’action du gouvernement sur un plan politique et médiatique sans faire usage de leurs pouvoirs d’opposition.
Décideurs. Que pensez-vous des déclarations de Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, qui propose qu’une partie des députés soient élus à la proportionnelle ?
A. L. Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours permet d’obtenir une majorité politique au sein de l’Assemblée nationale qui offre la garantie au gouvernement de pouvoir gouverner. L’inconvénient est que tous les partis n’y sont pas représentés. Si le scrutin proportionnel permet la représentation de toutes les idéologies politiques, il aboutit généralement à un gouvernement de coalition. Or, ce n’est pas dans la tradition française. Certains proposent d’instaurer une « dose » de proportionnelle, mais se pose alors la question du pourcentage et de sa mise en œuvre. Si la part de proportionnelle est faible, les partis qui ne sont pas représentés actuellement ne le seraient certainement pas davantage car il y aurait toujours une part significative d’élus socialistes et UMP. Par ailleurs, cela reviendrait à créer deux catégories de députés : ceux élus sur liste et ceux élus nommément.
Décideurs. Dans un récent rapport, le Peterson Institute – prestigieux think tank américain – recommande l’abolition de notre système présidentiel en faveur d’un chef de gouvernement élu à la majorité parlementaire. Pourrions-nous nous passer d’un président de la République ?
A. L. En France, nous avons un régime parlementaire à tendance présidentialiste en ce sens que le Président a des pouvoirs forts sans contrepartie politique. Il peut dissoudre l’Assemblée nationale tandis qu’elle ne pourra s’attaquer qu’au gouvernement. Il n’y a pas de symétrie des pouvoirs. Dès lors, si supprimer le chef de l’Etat n’a pas de sens, supprimer ses pouvoirs constituerait un retour à un régime parlementaire classique comme celui qui existe au Royaume-Uni. Or, notre histoire a montré que cela ne fonctionne pas chez nous. Par ailleurs, ce n’est tout simplement pas envisageable en l’état. Il faudra effectivement changer de Constitution et c’est un processus très lourd dont on peut se passer en l’absence de réels dysfonctionnements de nos institutions. Les Français ont certainement d’autres priorités.
*Crédit photo: UMP Photos.
Décideurs. De Jean-Luc Mélenchon à Arnaud Montebourg, beaucoup réclament une nouvelle république. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans le système actuel ?
Anne Levade. Je ne pense pas que les dysfonctionnements de la Ve République trouvent leur origine dans les textes. La Constitution a été pensée avec beaucoup de plasticité de telle sorte que chacun peut la mettre en œuvre à sa manière. Ainsi, François Mitterrand a interprété différemment ces dispositions pendant son mandat, alors qu’il avait pris position contre le modèle gaullien en 1958. Chacun peut exercer les pouvoirs rattachés à sa fonction selon ce qu’il veut en faire. En revanche, modifier la Constitution pourrait conduire à rigidifier ce système, qui manquerait alors de souplesse. Il faut se demander si les problèmes rencontrés sous la Ve République ne viennent pas plutôt de la pratique.
Décideurs. Faut-il que le pays soit en crise pour que le serpent de mer de la VIe République refasse surface dans le débat politique ?
A. L. Les Français ont une appétence historique à invoquer la réforme constitutionnelle comme la solution miracle à leurs problèmes : c’est culturel. On a déjà tout essayé, preuve que nous ne sommes jamais satisfaits de notre système constitutionnel, ou peut-être que nous sommes trop idéalistes. D’autres pays comme les États-Unis n’ont jamais changé de Constitution, se contentant de quelques révisions nécessaires. Tout comme nos voisins, la France traverse une crise politique mais elle reste gouvernée. En l’absence de blocage institutionnel, changer de Constitution serait superflu et pourrait aboutir à l’effet inverse de ce qui est recherché. On a procédé à des réformes constitutionnelles mais il y a toujours un temps de latence dans leur mise en œuvre. Le référendum d’initiative partagée issue de la réforme constitutionnelle de 2008 ne sera mis en œuvre qu’à partir du 1er janvier 2015. Attendons de voir quels en seront les effets avant de penser à de nouvelles modifications.
Décideurs. Justement, Jean-Luc Mélenchon plaide pour un référendum révocatoire des élus en cours de mandat, y compris le président de la République. Est-ce réalisable en pratique ?
A. L. Tout d’abord, le référendum n’est pas un mécanisme inhérent au bon fonctionnement d’une démocratie. Cela n’existe pas en Allemagne, par exemple. En revanche, toutes les démocraties contemporaines reposent sur une base représentative qui suppose des mandats dont la durée ne peut être remise en cause que dans certaines circonstances. En dehors de ces hypothèses, la sanction politique survient uniquement au moment de la réélection. L’objectif est de laisser à l’élu le choix des conditions et du rythme de la mise en œuvre des réformes. En remettant en cause la durée du mandat, le référendum révocatoire heurte le principe même de la représentativité. Par ailleurs, la pression qui pèserait sur les élus ne leur permettrait pas d’exercer leurs fonctions efficacement.
Décideurs. Existe-t-il une disproportion entre les pouvoirs de l’exécutif et ceux du Parlement ?
A. L. C’était l’objectif même poursuivi en 1958. Après l’échec de la IVe République, Charles de Gaulle a souhaité renforcer l’exécutif afin que le Parlement ne fasse pas obstacle à l’action du gouvernement comme cela avait été le cas auparavant. Actuellement, cette domination s’est très nettement atténuée et les pouvoirs se sont équilibrés du fait des textes et de la pratique. Les réformes de 1995 et de 2008 ont permis de redonner une marge de manœuvre aux parlementaires, qui ont retrouvé un droit de résolution ainsi qu’un pouvoir de contrôle des nominations par le président de la République. Néanmoins, des dysfonctionnements peuvent venir du fait que les parlementaires n’ont pas encore bien appréhendé tous les outils mis à leur disposition. Par exemple, ils consacrent beaucoup de temps au contrôle a priori. Le vote du projet de loi de finance s’étale sur plusieurs mois tandis que le contrôle de la loi d’exécution budgétaire a posteriori ne leur prend que quelques heures. Par ailleurs, les parlementaires tentent le plus souvent de parasiter l’action du gouvernement sur un plan politique et médiatique sans faire usage de leurs pouvoirs d’opposition.
Décideurs. Que pensez-vous des déclarations de Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, qui propose qu’une partie des députés soient élus à la proportionnelle ?
A. L. Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours permet d’obtenir une majorité politique au sein de l’Assemblée nationale qui offre la garantie au gouvernement de pouvoir gouverner. L’inconvénient est que tous les partis n’y sont pas représentés. Si le scrutin proportionnel permet la représentation de toutes les idéologies politiques, il aboutit généralement à un gouvernement de coalition. Or, ce n’est pas dans la tradition française. Certains proposent d’instaurer une « dose » de proportionnelle, mais se pose alors la question du pourcentage et de sa mise en œuvre. Si la part de proportionnelle est faible, les partis qui ne sont pas représentés actuellement ne le seraient certainement pas davantage car il y aurait toujours une part significative d’élus socialistes et UMP. Par ailleurs, cela reviendrait à créer deux catégories de députés : ceux élus sur liste et ceux élus nommément.
Décideurs. Dans un récent rapport, le Peterson Institute – prestigieux think tank américain – recommande l’abolition de notre système présidentiel en faveur d’un chef de gouvernement élu à la majorité parlementaire. Pourrions-nous nous passer d’un président de la République ?
A. L. En France, nous avons un régime parlementaire à tendance présidentialiste en ce sens que le Président a des pouvoirs forts sans contrepartie politique. Il peut dissoudre l’Assemblée nationale tandis qu’elle ne pourra s’attaquer qu’au gouvernement. Il n’y a pas de symétrie des pouvoirs. Dès lors, si supprimer le chef de l’Etat n’a pas de sens, supprimer ses pouvoirs constituerait un retour à un régime parlementaire classique comme celui qui existe au Royaume-Uni. Or, notre histoire a montré que cela ne fonctionne pas chez nous. Par ailleurs, ce n’est tout simplement pas envisageable en l’état. Il faudra effectivement changer de Constitution et c’est un processus très lourd dont on peut se passer en l’absence de réels dysfonctionnements de nos institutions. Les Français ont certainement d’autres priorités.
*Crédit photo: UMP Photos.