Dans son dernier ouvrage, Devenir soi (Fayard), Jacques Attali exhorte les Français à se prendre en main.
Bon nombre de présidents de la République lui ont prêté oreille. Pourtant, depuis quelque temps, c’est vers le citoyen que se tourne Jacques Attali. Dans son dernier ouvrage, Devenir soi (Fayard), il exhorte les Français à se prendre en main, sans constamment attendre de l’État qu’il les conduise. En exclusivité pour Décideurs, il annonce proposer cette année un programme politique pour se libérer et agir.


Décideurs. Dans Devenir soi, vous parlez peu de l’État et de ses représentants. Est-ce parce que vous êtes las de les conseiller sans forcément être suivi ?

Jacques Attali.
Oui, c’est une des dimensions. Au-delà, c’est surtout parce que, même si le gouvernant écoute le conseil et même si le pays voit ses conditions s’améliorer, chaque citoyen doit trouver sa voie et réussir sa vie indépendamment de ce qu’apporte l’État.
Ce n’est donc pas par déception que j’aborde peu cette question, mais parce que c’est un autre sujet extrêmement important qui m’intéresse, celui d’une vie réussie, même si la puissance publique ne remplit pas ses obligations.
Une vie ne consiste pas à se débrouiller. Une vie consiste à utiliser à plein le temps très bref qui nous est laissé sur la Terre.


Décideurs. Beaucoup de blocages que vous tentez de briser dans votre ouvrage ne sont pourtant dus qu’à cet État. C’est notamment le cas du système social français, envié certes, mais également décrié pour son ultra-protection, voire son assistanat.

J. A.
Nous sommes en démocratie. Les citoyens ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.
Si la société française est bloquée, c’est de notre faute à tous. Il est vrai que telle qu’elle se présente à nous, elle n’est qu’une juxtaposition de rentes et de corporatismes, où chacun préfère le confort de sa situation présente à une amélioration qui comprendrait des risques pour les uns et les autres.


Décideurs. Que devient le politique si chacun de nous suit les étapes du « devenir soi » que vous énoncez ?

J. A.
C’est une très bonne question, car je suis convaincu que si une majorité de la population suit ce parcours, une très forte croissance naîtra. Le citoyen ne sera plus contraint. Il fera enfin ce qu’il souhaite et sera ainsi beaucoup plus créateur et novateur.
Dans un deuxième temps, cela entraînerait un formidable renouvellement de la classe politique : beaucoup comprendraient que devenir soi signifie aussi aider les autres à le devenir.
Enfin, si chacun devient soi, il n’y aura plus grand monde pour faire des travaux ennuyeux et on assistera à une très forte pression en faveur d’un développement de l’automatisation et de la robotisation.
Il en va de même pour l’éducation qui ne reproduira plus simplement un modèle social, mais sera au service de « se trouver soi ».
Quant au débat politique, il aura bien changé lui aussi ! La question ne sera plus de savoir si l’on travaille trente-deux ou trente-cinq heures ou bien s’il faut partir à la retraite à soixante ou soixante-cinq ans, mais celle de savoir ce que l’on peut faire durant ces années qui ait de l’intérêt et du sens.
La vitalité du débat politique, la nature de la croissance, le modèle éducatif en sortiront changés. Et la question de l’utilité et de la finalité du temps enfin posée.


Décideurs. Ce que vous proposez correspond à l’issue du processus. Mais durant les étapes mêmes, que faire du politique ? Le défier, s’abstenir de voter ou continuer comme aujourd’hui ?

J. A.
Je pense que va surgir quelque part un nouvel homme politique, ou à tout le moins un programme politique. Et je vais m’y employer.


Décideurs. Vous voulez dire que vous allez vous lancer en politique ?

J. A.
Quels que soient les hommes politiques qui le mettront en œuvre, ce programme permettra l’épanouissement du modèle de soi. Je proposerai en 2015 un programme politique pour le « devenir soi ».
Le danger trop souvent couru dans la société française est de ne parler de la politique qu’à travers les hommes et non les programmes. Je veux remettre les choses à l’endroit.


Décideurs. L’entreprenariat français est exceptionnel par sa densité et son dynamisme, n’est-ce pas la preuve qu’il fait fi du conformisme que vous dénoncez ?

J. A.
Bien sûr qu’il est exceptionnel. Dans mon livre, j’explique qu’il existe une demande mondiale de devenir soi par l’entreprise, qu’elle soit privée, sociale, gouvernementale ou non. C’est la raison pour laquelle je refuse l’idée d’une France comme celle d’un Titanic sombrant progressivement. C’est davantage un sous-marin à qui l’on refuse de remonter à la surface.


Décideurs. Si l’on vous suit, le meilleur maître que l’on a, c’est soi-même. Jacques Attali est-il un anarchiste ?

J. A.
Je pense en effet comme les anarchistes que la finalité de la société n’est pas l’individu ici et maintenant et qu’un État à son service n’est pas une fin en soi. Mais s’ils estiment que l’État ne peut rien, ce n’est pas mon avis. La puissance publique peut aider à créer une plate-forme pour faciliter le devenir soi et en particulier le rendre accessible à tous ceux qui n’ont pas eu la chance de bénéficier d’un héritage culturel ou financier.


Décideurs. Malgré leur nombre record, les TPE et PME françaises ont du mal à s’internationaliser. Comment expliquez- vous qu’elles peinent à faire sauter les barrières nationales ?

J. A. U
ne série de bouleversements s’impose au regard des difficultés actuelles : s’internationaliser prend du temps et suppose un accompagnement. Le travail collectif est par ailleurs à privilégier. Les grands groupes, quant à eux, doivent prendre en compte les galaxies de sous-traitants. Enfin, le capital doit devenir patient et ne plus exiger trop vite des rentabilités rapides. Que de changements ! Mais je demeure très optimiste.


Décideurs. Justement, votre plus grand optimisme, outre celui de croire encore en la France, n’est-il pas de présumer de la bonté humaine ?

J. A.
C’est vrai, et je le ressens à travers le mouvement d’économie positive [Pour une économie positive, Fayard, 2013] que j’ai lancé et qui rassemble des gens du monde entier, et en particulier des jeunes.
Beaucoup comprennent que l’on prend un immense plaisir et une joie extrême à rendre les autres heureux. Et cela me rend très optimiste.


Décideurs. Entre « libérez-vous » et « aimez-vous », quels vœux formulez-vous pour nos lecteurs en 2015 ?

J. A.
Libérez-vous. Essayez de voir profondément en quoi vous êtes uniques et comprenez que la meilleure façon d’être unique c’est peut-être de déclencher un sourire chez l’autre.


Propos recueillis par Julien Beauhaire


photo : © Jean-Marc Gourdon


Cet entretien fait partie du dossier Cinq bonnes résolutions pour la France

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