Par Grégoire Loiseau, of counsel. Dupiré & Associés
Le retour du licenciement disciplinaire pour un fait tiré de la vie personnelle
On le croyait fermement réprouvé : le licenciement pour un fait relevant de la vie personnelle du salarié est aujourd’hui possible s’il s’évince de ce fait un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail, autrement dit s’il peut être objectivement rattaché à l’activité professionnelle. C’est une lézarde dans les murs dont s’entoure habituellement la vie personnelle.
Officiellement, le licenciement disciplinaire pour un fait tiré de la vie personnelle reste proscrit, au moins sur le principe. La Cour de cassation en a fait depuis longtemps sa doctrine : un fait relevant de la vie personnelle du salarié ne peut constituer une faute (v. encore Cass. soc., 2 mars 2011, n° 09-68.890). Tout au plus, cette position est tempérée, depuis l’arrêt Painsecq (Cass. soc., 17 avril 1991, n° 90-42.636), par la possibilité de prendre en considération le fait tiré de la vie personnelle pour prononcer un licenciement non-disciplinaire lorsqu’il en est résulté un trouble caractérisé au sein de l’entreprise (v. encore Cass. soc., 17 mars 2010, n° 08-43.275 ; Cass. soc., 11 avril 2012, n° 10-25.764). La cause du licenciement n’est pas cependant alors le fait d’ordre personnel mais le trouble qui en est résulté. Et c’est pourquoi, même si ce fait intègre la décision de rupture à travers sa répercussion sur le fonctionnement de l’entreprise, le licenciement ne peut présenter un caractère disciplinaire puisque, par hypothèse, il ne sanctionne pas le comportement à l’origine du trouble qui ne constitue pas en soi une faute (Cass. soc., 9 mars 2011, n° 09-42.150).
La vie personnelle prise en faute au regard des obligations découlant du contrat
On aurait pu penser que, avec ce principe et ce tempérament, la jurisprudence était parvenue à un juste équilibre, garantissant au salarié une immunité pour les faits tirés de sa vie personnelle tout en ménageant une possibilité pour l’employeur de se séparer du salarié, pour un motif non-disciplinaire, si le fonctionnement de l’entreprise est sérieusement perturbé par son comportement extraprofessionnel. Mais la Chambre sociale ne s’en est pas tenue là et a ouvert une brèche qui laisse le pouvoir disciplinaire s’introduire dans la sphère personnelle. Le 3 mai 2011, elle a jugé « qu’un motif tiré de la vie personnelle ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail » (Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464), ce que le Conseil d’État avait admis quelques mois auparavant (CE, 15 décembre 2010, n° 316856). En l’occurrence, les hautes juridictions ont estimé que le fait pour un salarié utilisant son véhicule de fonction dans le cadre de sa vie personnelle de commettre une infraction entraînant la suspension de son permis de conduire ne peut être regardé comme une méconnaissance de ses obligations découlant du contrat. Mais l’essentiel n’est pas là : il est dans l’agrément d’une exception au principe posé jusqu’à présent sans réserve, selon lequel « un fait de la vie personnelle ne peut justifier un licenciement disciplinaire » (v. encore Cass. soc., 21 avril 2010, n° 08-45.030). Dorénavant, la règle s’efface lorsque ce fait constitue un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat. De ce point de vue, la Cour de cassation n’invite plus à prendre en considération l’incidence du comportement du salarié sur l’activité professionnelle ; le manquement se suffit à lui-même quand, à cette condition, un motif tiré de la vie personnelle n’est plus par nature exclusif d’une faute disciplinaire. L’ouverture est donc de taille, d’autant que la notion d’obligation « découlant » du contrat est vaste et peut se rapporter à des obligations dont le contenu et les contours sont eux-mêmes flous, à commencer par l’obligation de loyauté. Les juges de cassation ont d’ailleurs laissé entendre que celle-ci pourrait être concernée dans une espèce où un salarié avait envoyé un courriel de sa messagerie personnelle, en dehors du temps et du lieu de travail, à l’adresse électronique personnelle d’un collègue, courriel dans lequel il dénigrait sa supérieure hiérarchique : la Chambre sociale a estimé que le caractère purement privé du message empêchait de retenir un manquement à l’obligation de loyauté envers l’employeur (Cass. soc., 26 janvier 2012, n° 11-10.189). Il n’est donc pas exclu que, en d’autres circonstances, un fait relevant de la vie personnelle puisse caractériser un défaut de loyauté et motiver, sous les traits de la faute contractuelle, un licenciement disciplinaire.
La considération de la faute couplée au risque de responsabilité de l’employeur
D’ores et déjà, la voie étant ouverte au pouvoir disciplinaire de l’employeur en présence de faits tirés de la vie personnelle, a été jugé fondé le licenciement pour faute grave d’un salarié qui était, par ses fonctions, en contact permanent avec des mineurs et chez qui avaient été découvertes, dans le logement de fonction qu’il occupait dans l’enceinte du centre, des photographies à caractère pédopornographiques (Cass. soc., 8 novembre 2011, n° 10-23.593). A également été retenue la faute grave d’un personnel navigant commercial qui avait consommé des drogues dures pendant des escales entre deux vols, motif pris qu’il n’avait pas respecté les obligations prévues par son contrat de travail et fait courir un risque aux passagers dans la mesure où il pouvait se trouver encore sous l’influence des produits stupéfiants pendant l’exercice de ses fonctions (Cass. soc., 27 mars 2012, n° 10-19.915). La reconnaissance dans ces espèces d’une faute grave, déduite d’un manquement aux obligations découlant du contrat, n’est certainement pas étrangère au risque de responsabilité que le salarié faisait courir à son employeur, en menaçant la sécurité des mineurs du fait d’une déviance sexuelle pénalement sanctionnée ou celles des passagers par la consommation de drogue, fût-ce en dehors de son activité professionnelle.
Concilier le respect de la vie personnelle et la direction de l’activité professionnelle
Les apparences restent tout de même sauves : le motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut constituer en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement. Mais sa considération objective au regard de l’activité professionnelle est de nature à justifier la rupture du contrat. Il suffit, pour cela, que le motif puisse être rattaché à cette activité, ce qui résulte – la règle subsiste – de ses répercussions sur le fonctionnement de l’entreprise. En pareil cas, le trouble objectif, qui constitue le motif de rupture, ne présentant cependant pas un caractère fautif, le licenciement est non-disciplinaire. En revanche, lorsque le rattachement avec l’activité professionnelle procède de ce que le fait en cause, relevant de la vie personnelle du salarié, constitue un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail, le caractère fautif de ce manquement imprime au licenciement une nature disciplinaire.
À l’employeur, dès lors, de voir sur quel terrain se placer, selon les circonstances, et de suivre ou non la procédure disciplinaire : il ne se heurte plus en tout cas, aveuglément, aux murs de la vie personnelle.
Officiellement, le licenciement disciplinaire pour un fait tiré de la vie personnelle reste proscrit, au moins sur le principe. La Cour de cassation en a fait depuis longtemps sa doctrine : un fait relevant de la vie personnelle du salarié ne peut constituer une faute (v. encore Cass. soc., 2 mars 2011, n° 09-68.890). Tout au plus, cette position est tempérée, depuis l’arrêt Painsecq (Cass. soc., 17 avril 1991, n° 90-42.636), par la possibilité de prendre en considération le fait tiré de la vie personnelle pour prononcer un licenciement non-disciplinaire lorsqu’il en est résulté un trouble caractérisé au sein de l’entreprise (v. encore Cass. soc., 17 mars 2010, n° 08-43.275 ; Cass. soc., 11 avril 2012, n° 10-25.764). La cause du licenciement n’est pas cependant alors le fait d’ordre personnel mais le trouble qui en est résulté. Et c’est pourquoi, même si ce fait intègre la décision de rupture à travers sa répercussion sur le fonctionnement de l’entreprise, le licenciement ne peut présenter un caractère disciplinaire puisque, par hypothèse, il ne sanctionne pas le comportement à l’origine du trouble qui ne constitue pas en soi une faute (Cass. soc., 9 mars 2011, n° 09-42.150).
La vie personnelle prise en faute au regard des obligations découlant du contrat
On aurait pu penser que, avec ce principe et ce tempérament, la jurisprudence était parvenue à un juste équilibre, garantissant au salarié une immunité pour les faits tirés de sa vie personnelle tout en ménageant une possibilité pour l’employeur de se séparer du salarié, pour un motif non-disciplinaire, si le fonctionnement de l’entreprise est sérieusement perturbé par son comportement extraprofessionnel. Mais la Chambre sociale ne s’en est pas tenue là et a ouvert une brèche qui laisse le pouvoir disciplinaire s’introduire dans la sphère personnelle. Le 3 mai 2011, elle a jugé « qu’un motif tiré de la vie personnelle ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail » (Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464), ce que le Conseil d’État avait admis quelques mois auparavant (CE, 15 décembre 2010, n° 316856). En l’occurrence, les hautes juridictions ont estimé que le fait pour un salarié utilisant son véhicule de fonction dans le cadre de sa vie personnelle de commettre une infraction entraînant la suspension de son permis de conduire ne peut être regardé comme une méconnaissance de ses obligations découlant du contrat. Mais l’essentiel n’est pas là : il est dans l’agrément d’une exception au principe posé jusqu’à présent sans réserve, selon lequel « un fait de la vie personnelle ne peut justifier un licenciement disciplinaire » (v. encore Cass. soc., 21 avril 2010, n° 08-45.030). Dorénavant, la règle s’efface lorsque ce fait constitue un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat. De ce point de vue, la Cour de cassation n’invite plus à prendre en considération l’incidence du comportement du salarié sur l’activité professionnelle ; le manquement se suffit à lui-même quand, à cette condition, un motif tiré de la vie personnelle n’est plus par nature exclusif d’une faute disciplinaire. L’ouverture est donc de taille, d’autant que la notion d’obligation « découlant » du contrat est vaste et peut se rapporter à des obligations dont le contenu et les contours sont eux-mêmes flous, à commencer par l’obligation de loyauté. Les juges de cassation ont d’ailleurs laissé entendre que celle-ci pourrait être concernée dans une espèce où un salarié avait envoyé un courriel de sa messagerie personnelle, en dehors du temps et du lieu de travail, à l’adresse électronique personnelle d’un collègue, courriel dans lequel il dénigrait sa supérieure hiérarchique : la Chambre sociale a estimé que le caractère purement privé du message empêchait de retenir un manquement à l’obligation de loyauté envers l’employeur (Cass. soc., 26 janvier 2012, n° 11-10.189). Il n’est donc pas exclu que, en d’autres circonstances, un fait relevant de la vie personnelle puisse caractériser un défaut de loyauté et motiver, sous les traits de la faute contractuelle, un licenciement disciplinaire.
La considération de la faute couplée au risque de responsabilité de l’employeur
D’ores et déjà, la voie étant ouverte au pouvoir disciplinaire de l’employeur en présence de faits tirés de la vie personnelle, a été jugé fondé le licenciement pour faute grave d’un salarié qui était, par ses fonctions, en contact permanent avec des mineurs et chez qui avaient été découvertes, dans le logement de fonction qu’il occupait dans l’enceinte du centre, des photographies à caractère pédopornographiques (Cass. soc., 8 novembre 2011, n° 10-23.593). A également été retenue la faute grave d’un personnel navigant commercial qui avait consommé des drogues dures pendant des escales entre deux vols, motif pris qu’il n’avait pas respecté les obligations prévues par son contrat de travail et fait courir un risque aux passagers dans la mesure où il pouvait se trouver encore sous l’influence des produits stupéfiants pendant l’exercice de ses fonctions (Cass. soc., 27 mars 2012, n° 10-19.915). La reconnaissance dans ces espèces d’une faute grave, déduite d’un manquement aux obligations découlant du contrat, n’est certainement pas étrangère au risque de responsabilité que le salarié faisait courir à son employeur, en menaçant la sécurité des mineurs du fait d’une déviance sexuelle pénalement sanctionnée ou celles des passagers par la consommation de drogue, fût-ce en dehors de son activité professionnelle.
Concilier le respect de la vie personnelle et la direction de l’activité professionnelle
Les apparences restent tout de même sauves : le motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut constituer en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement. Mais sa considération objective au regard de l’activité professionnelle est de nature à justifier la rupture du contrat. Il suffit, pour cela, que le motif puisse être rattaché à cette activité, ce qui résulte – la règle subsiste – de ses répercussions sur le fonctionnement de l’entreprise. En pareil cas, le trouble objectif, qui constitue le motif de rupture, ne présentant cependant pas un caractère fautif, le licenciement est non-disciplinaire. En revanche, lorsque le rattachement avec l’activité professionnelle procède de ce que le fait en cause, relevant de la vie personnelle du salarié, constitue un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail, le caractère fautif de ce manquement imprime au licenciement une nature disciplinaire.
À l’employeur, dès lors, de voir sur quel terrain se placer, selon les circonstances, et de suivre ou non la procédure disciplinaire : il ne se heurte plus en tout cas, aveuglément, aux murs de la vie personnelle.