Le recours à la prévention ou aux procédures collectives a cessé d’être honteux
Décideurs. Vous réalisez actuellement une étude sur la typologie des difficultés rencontrées par les entreprises dans les départements d’outre-mer. Quel est le contexte ?

Alain Miroite.
Mon étude a d’abord concerné sur la Martinique, avant d’être étendue à l’ensemble des départements d’outre-mer. Tous présentent un environnement d’insularité conjugué à une réelle dépendance vis-à-vis de la métropole et une économie constituée par un tissu d’entreprises de petites tailles, un taux de chômage élevé et beaucoup d’emplois publics.

90 % des entreprises se composent simplement du chef d’entreprise, de sa famille et d’un salarié. Le dirigeant a donc une perception très sensible et très personnelle des difficultés lorsqu’elles existent, puisqu’elles l’affectent directement.

Décideurs. Bien qu’indépendant, le dirigeant prend-il conscience à temps des difficultés que rencontre son entreprise ?


A. M. Le chef d’entreprise réagit trop tardivement aux difficultés rencontrées. Plusieurs raisons permettent d’expliquer cette situation, et parmi celles-ci, l’absence dans la plupart des entreprises d’experts comptables ou de commissaires aux comptes dont la présence n’est obligatoire que dans les entreprises de plus grandes tailles. Le chef d’entreprise ne réagit presque jamais en amont. Quand il perçoit enfin la réalité de la situation, les outils sont dès lors inadaptés et obsolètes. L’état de cessation de paiement est déjà caractérisé. Le seul recours qui lui reste est le redressement judiciaire. Mais c’est aussi le plus compliqué.

En instituant une typologie des difficultés que peut rencontrer l’entreprise, le dirigeant se rendra compte qu’il n’est pas isolé et que les solutions dégagées dans des situations comparables à la sienne peuvent être généralisées pour toutes les entités en difficulté. À partir d’une typologie identifiée, les outils disponibles pourront être adaptés à chaque sous-performance.

Décideurs. L’insularité accroît-elle ces difficultés ?


A. M. L’insularité est un facteur d’accroissement des difficultés structurelles. Quatre facteurs lui donnent un effet levier. Tout d’abord, les entreprises sont sous-capitalisées : les mécanismes de constitution des fonds propres sont inexistants. Il est nécessaire de mettre en place un système qui favorise l’accumulation de fonds propres et qui se substituerait, pour certains de ses mécanismes, à la défiscalisation actuelle. Les particuliers seraient ainsi incités à investir dans les entreprises plutôt que dans l’immobilier.

De plus le système de financement de l’économie locale est inadapté, il privilégie les financements courts alors que les fonds propres sont inexistants, les délais clients longs et le poids des stocks plus lourd. Ces constatations induisent donc la nécessité de réadapter les mécanismes de financement de l’économie.
Vient s’ajouter à cela un problème d’incivilité vis-à-vis des charges obligatoires (fiscales et sociales) qui fausse la concurrence et permet à deux types d’économies de coexister au sein d’un même ensemble dans ces territoires : l’une développée et l’autre tiers-mondiste, contre laquelle il faut lutter. Enfin, les délais de règlements des collectivités locales des DOM sont beaucoup plus longs et participent à des tensions de trésorerie, voire à l’écrasement de certains secteurs de l’économie locale.

Décideurs. Qui fait appel à vous ? Comment dispensez-vous votre aide ?

A. M. AJAssociés est la seule étude présente sur ces territoires (Guadeloupe, Martinique, Guyane) avec un administrateur installé : nous avons donc de nombreuses demandes, qui proviennent des tribunaux de commerce et des chefs d’entreprise. Dans les DOM, un administrateur judiciaire est systématiquement nommé, ce qui n’est pas le cas en métropole.

Je suis notamment intervenu sur des dossiers appartenant aux secteurs de la grande distribution, de la pharmacie, de l’hôtellerie, de la pêche et du secteur bananier. Afin de faciliter la prévention, j’informe et je popularise les outils à disposition du dirigeant grâce à des conférences avec les chambres de commerce et les partenaires locaux. Je perçois depuis quelques années un net changement : les rapports face aux difficultés sont moins empreints de méfiance, plus simples, l’usage de l’aide extérieure est plus fréquent et le recours à la prévention ou aux procédures collectives a cessé d’être honteux. Les méthodes de prévention sont désormais partie intégrante de la boîte à outils.

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