Élie Domota, secrétaire général de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe, va saisir la justice pour obtenir la condamnation de l’État qui se refuse à indemniser les victimes de l’esclavage.
Élie Domota : « Ce n’est pas à l’héritier du bourreau de fixer les réparations »
Décideurs. Dans quel contexte la loi du 30 avril 1849, que vous dénoncez, a-t-elle été adoptée ?
Élie Domota. En 1848, la République a aboli l’esclavage en votant la fameuse loi du 27 avril. Curieusement, l’article 5 du décret qui accompagne ce texte arrête le principe de l'indemnisation des esclavagistes par une loi à venir. Effectivement, un an plus tard, le 30 avril 1849, l’Assemblée nationale vote une loi prévoyant le montant des indemnisations à allouer aux propriétaires d’esclaves sous forme d’une somme soldée immédiatement et d’une rente annuelle versée sur une période de vingt ans. Nous sommes alors sous le régime de la IIe République, un régime dans lequel les principes généraux de la Déclaration des droits de l’homme prévalent, y compris les principes de sauvegarde de la dignité humaine, de la liberté et de l’égalité. Comment se fait-il que la France vote des lois non pas pour indemniser les victimes mais pour indemniser les bourreaux ? Ce qui pose problème c’est que ces textes appartiennent encore aujourd’hui à l’ordre juridique français !
Décideurs. Selon vous, pour quels motifs cette loi doit-elle être déclarée inconstitutionnelle ?
É. D. La Constitution met en avant des droits fondamentaux également repris par les traités internationaux et les institutions internationales (Cour européenne des droits de l’homme, Tribunal pénal international…) tels que la liberté, l’égalité ou la sauvegarde de la dignité humaine. La loi de 1849 viole tous ces principes. En 1848, on nous a fait croire que Victor Schœlcher était un abolitionniste, un humaniste. C’est ce qu’on nous apprend à l’école. En réalité, libérer les esclaves de leur condition était conçu comme un acte stratégique, politique et économique. La raison essentielle de l’abolition était de garantir la domination coloniale sur les îles. En effet, à l’époque, les révoltes d’esclaves se multipliaient : elles mettaient en péril la sécurité des colons blancs et pouvaient aboutir à l’indépendance de la Martinique et de la Guadeloupe, à l’image d’Haïti. Mieux vaut avoir un travailleur sous-payé dominé qu’un esclave prêt à la révolte, voilà l’esprit des lois de 1848 et de 1849. Nous sommes à mille lieues des droits et libertés garantis par la Constitution française.
Décideurs. Quel est votre plan de bataille ?
É. D. Avec un certain nombre d’organisations, nous avons assigné depuis peu l’État français devant les tribunaux pour demander aux juges, et notamment au Conseil constitutionnel, de nous expliquer en quoi l’article 5 du décret de 1848 et la loi de 1849 sont conformes à la Constitution. Si ces textes sont inconstitutionnels, ce que nous croyons, il faut les abroger et logiquement rentrer sur le chemin des réparations pour les vraies victimes. Nous demandons au tribunal d’ordonner à ce titre la réunion d’un groupe d’experts composé notamment de géographes, d’historiens et d’économistes. Ce comité aura pour mission d’évaluer le préjudice subi par les Africains déportés et réduits en esclavage durant des siècles mais aussi les préjudices subis par les Kalinas, premiers habitants de l’île, qui ont été massacrés par les colons. Le principe des réparations doit être clairement acté par le tribunal. Le combat s’annonce long car la France trouvera toujours un moyen de contourner ces évidences pour se dédouaner. Mais nous sommes déterminés à aller jusque devant les instances internationales s’il le faut.
Décideurs. Que répondez-vous aux déclarations de François Hollande en visite en Guadeloupe rejetant toute idée de réparation pécuniaire ?
É. D. Monsieur Hollande peut raconter ce qu’il veut : la question des réparations et des restitutions est cruciale. Une chose est sûre, ce n’est pas à l’héritier du bourreau de fixer le principe des restitutions ni leurs montants et leurs formes. François Hollande est l’héritier du bourreau. La loi Taubira du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité n’est pas une réparation, n’en déplaise au Président. C’est de l’enfumage ! Alain Huygues-Despointes a déclaré en 2009 que l’esclavage avait des côtés positifs. Il a été condamné en première instance puis par la cour d’appel pour apologie de crime contre l’humanité. Pourtant, la Cour de cassation a annulé sa condamnation le 5 février 2013 au motif qu’en tant que loi mémorielle, la loi Taubira ne contient aucun dispositif répressif pour condamner l’apologie de l’esclavage. L’inauguration du Mémorial ACTe n’est absolument pas une réparation non plus. Ce centre ne dit pas la vérité sur l’esclavage et la traite négrière mais relaie le négationnisme colonial habituel. La visite en Guadeloupe de Monsieur Hollande était un calcul politique : il était en campagne pour sa réélection. Rien ne change pour les descendants d’esclaves, les vraies victimes, pour qui le gouvernement n’a que mépris. On nous parle de vivre ensemble, de respect mutuel et de communauté de vie mais c’est une vaste blague ! Nous sommes toujours dans une société qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle du lendemain de l’abolition de l’esclavage. En Guadeloupe, les héritiers des esclavagistes possèdent et ceux des esclaves travaillent.
Propos reccueillis par Sybille Vié
Élie Domota. En 1848, la République a aboli l’esclavage en votant la fameuse loi du 27 avril. Curieusement, l’article 5 du décret qui accompagne ce texte arrête le principe de l'indemnisation des esclavagistes par une loi à venir. Effectivement, un an plus tard, le 30 avril 1849, l’Assemblée nationale vote une loi prévoyant le montant des indemnisations à allouer aux propriétaires d’esclaves sous forme d’une somme soldée immédiatement et d’une rente annuelle versée sur une période de vingt ans. Nous sommes alors sous le régime de la IIe République, un régime dans lequel les principes généraux de la Déclaration des droits de l’homme prévalent, y compris les principes de sauvegarde de la dignité humaine, de la liberté et de l’égalité. Comment se fait-il que la France vote des lois non pas pour indemniser les victimes mais pour indemniser les bourreaux ? Ce qui pose problème c’est que ces textes appartiennent encore aujourd’hui à l’ordre juridique français !
Décideurs. Selon vous, pour quels motifs cette loi doit-elle être déclarée inconstitutionnelle ?
É. D. La Constitution met en avant des droits fondamentaux également repris par les traités internationaux et les institutions internationales (Cour européenne des droits de l’homme, Tribunal pénal international…) tels que la liberté, l’égalité ou la sauvegarde de la dignité humaine. La loi de 1849 viole tous ces principes. En 1848, on nous a fait croire que Victor Schœlcher était un abolitionniste, un humaniste. C’est ce qu’on nous apprend à l’école. En réalité, libérer les esclaves de leur condition était conçu comme un acte stratégique, politique et économique. La raison essentielle de l’abolition était de garantir la domination coloniale sur les îles. En effet, à l’époque, les révoltes d’esclaves se multipliaient : elles mettaient en péril la sécurité des colons blancs et pouvaient aboutir à l’indépendance de la Martinique et de la Guadeloupe, à l’image d’Haïti. Mieux vaut avoir un travailleur sous-payé dominé qu’un esclave prêt à la révolte, voilà l’esprit des lois de 1848 et de 1849. Nous sommes à mille lieues des droits et libertés garantis par la Constitution française.
Décideurs. Quel est votre plan de bataille ?
É. D. Avec un certain nombre d’organisations, nous avons assigné depuis peu l’État français devant les tribunaux pour demander aux juges, et notamment au Conseil constitutionnel, de nous expliquer en quoi l’article 5 du décret de 1848 et la loi de 1849 sont conformes à la Constitution. Si ces textes sont inconstitutionnels, ce que nous croyons, il faut les abroger et logiquement rentrer sur le chemin des réparations pour les vraies victimes. Nous demandons au tribunal d’ordonner à ce titre la réunion d’un groupe d’experts composé notamment de géographes, d’historiens et d’économistes. Ce comité aura pour mission d’évaluer le préjudice subi par les Africains déportés et réduits en esclavage durant des siècles mais aussi les préjudices subis par les Kalinas, premiers habitants de l’île, qui ont été massacrés par les colons. Le principe des réparations doit être clairement acté par le tribunal. Le combat s’annonce long car la France trouvera toujours un moyen de contourner ces évidences pour se dédouaner. Mais nous sommes déterminés à aller jusque devant les instances internationales s’il le faut.
Décideurs. Que répondez-vous aux déclarations de François Hollande en visite en Guadeloupe rejetant toute idée de réparation pécuniaire ?
É. D. Monsieur Hollande peut raconter ce qu’il veut : la question des réparations et des restitutions est cruciale. Une chose est sûre, ce n’est pas à l’héritier du bourreau de fixer le principe des restitutions ni leurs montants et leurs formes. François Hollande est l’héritier du bourreau. La loi Taubira du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité n’est pas une réparation, n’en déplaise au Président. C’est de l’enfumage ! Alain Huygues-Despointes a déclaré en 2009 que l’esclavage avait des côtés positifs. Il a été condamné en première instance puis par la cour d’appel pour apologie de crime contre l’humanité. Pourtant, la Cour de cassation a annulé sa condamnation le 5 février 2013 au motif qu’en tant que loi mémorielle, la loi Taubira ne contient aucun dispositif répressif pour condamner l’apologie de l’esclavage. L’inauguration du Mémorial ACTe n’est absolument pas une réparation non plus. Ce centre ne dit pas la vérité sur l’esclavage et la traite négrière mais relaie le négationnisme colonial habituel. La visite en Guadeloupe de Monsieur Hollande était un calcul politique : il était en campagne pour sa réélection. Rien ne change pour les descendants d’esclaves, les vraies victimes, pour qui le gouvernement n’a que mépris. On nous parle de vivre ensemble, de respect mutuel et de communauté de vie mais c’est une vaste blague ! Nous sommes toujours dans une société qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle du lendemain de l’abolition de l’esclavage. En Guadeloupe, les héritiers des esclavagistes possèdent et ceux des esclaves travaillent.
Propos reccueillis par Sybille Vié