Par Marianne Grignard-Gardner et Xavier Gramond, avocats associés. Gramond & Associés
Le LBO, un régime à l’effet de levier «?chahuté?» par le législateur
Instauré pour «?lutter contre des schémas abusifs visant à rattacher artificiellement de la dette en France et consistant à acquérir des titres de sociétés situées hors de France?», une lecture du texte de loi et du projet d'instruction laisse entrevoir que le nouveau dispositif limitant la déductibilité des charges financières est susceptible de s'appliquer également aux schémas franco-français de LBO.
Soufflé par Monsieur le Député Carrez, l'article 40 de la quatrième loi de finances rectificative pour 2011, codifié sous l'article 209 IX du Code général des impôts, a institué un nouveau mécanisme de limitation de la déduction des charges financières lors de l’acquisition de titres de participation d’une société. Le 16?mars dernier, l'Administration fiscale a publié un projet d'instruction commentant ce nouveau dispositif.
Un dispositif qui renverse la charge de la preuve
Applicable aux sociétés et organismes soumis à l'impôt sur les sociétés, aux sociétés non soumises à l'impôt sur les sociétés à hauteur de leurs résultats calculés selon les normes BIC ainsi qu'aux établissements stables de sociétés étrangères, le dispositif vise les acquisitions de titres de participation au sens de l'article 219-I, a quinquies, al. 3 du Code général des impôts, c'est-à-dire ceux relevant du régime d'exonération des plus-values à long terme. Les acquisitions de titres de sociétés à prépondérance immobilière, cotées ou non cotées, ne sont donc pas visées. Comme le rappelle le projet d'instruction, la déductibilité des charges financières résultant de la dette d'acquisition est subordonnée au fait que la société cessionnaire constitue un «?centre de décision disposant, d'une part, d'une autonomie propre pour la gestion des titres acquis et, d'autre part, du contrôle ou de l'influence sur la société ainsi détenue?». Ce pouvoir de décision sur les titres et le contrôle ou l'influence sur la société détenue peuvent être exercés par la société cessionnaire mais aussi, soit par la société française contrôlant la société cessionnaire, soit par les sociétés françaises directement contrôlées par cette dernière. La notion de contrôle est par ailleurs retenue strictement puisque les situations de contrôle visées au II et III de l'article L 233-3 du Code de commerce (détention de plus de 40?% des droits de vote, situation de contrôle conjoint) ne sont pas prises en compte. La charge de la preuve de l'autonomie de gestion des titres et de la participation effective au processus de décision de la société acquise incombe à la société cessionnaire. Lorsqu'il ne peut être apporté la preuve que ces deux conditions sont cumulativement remplies, une quote-part forfaitaire des charges financières de la société cessionnaire, correspondant au rapport du prix d'acquisition des titres au montant moyen de sa dette au cours de l'exercice, doit être réintégrée. La réintégration s'opère sur une période de huit années suivant celle d'acquisition des titres, sauf si les titres sont entre-temps cédés. Cette réintégration s'applique prioritairement et donc préalablement aux autres dispositifs de réintégration des charges financières (dispositif de sous-capitalisation de l'article 212 et amendement «?Charasse » de l'article 223 B du Code général des impôts).
Trois cas de sauvegarde sont prévus pour éviter de remettre en cause la déductibilité fiscale des charges financières de la société cessionnaire : la valeur de la totalité des titres de participation détenus par la société cessionnaire est inférieure à 1 M€, ou l'acquisition des titres de participation n'est pas financée par un emprunt souscrit par la société cessionnaire ou une autre société du groupe, ou le ratio d'endettement de la société cessionnaire est inférieur au ratio d’endettement du groupe auquel elle appartient.
… susceptible de s'appliquer aux LBO français
S'écartant du but initialement poursuivi, les conditions de mise en œuvre de ce nouveau dispositif permettent de faire entrer dans son champ d'application un schéma de LBO franco-français réalisé par des investisseurs étrangers via la création d'une holding de reprise en France. En effet, pour échapper à ce nouveau dispositif, toute holding française de reprise, contrôlée par des investisseurs étrangers, doit être en mesure de prouver qu'elle dispose elle-même du pouvoir de décision sur les titres de la société cible française et d'un contrôle ou d'une influence sur cette société.
Dès lors et «?à titre préventif?», les investisseurs étrangers désireux d'acquérir une société française par le biais d’une holding emprunteuse située en France devraient d'une part prévoir que les documents préparatoires à l'acquisition (lettre d'intention, protocole d'acquisition…) soient signés par la holding française et non plus par eux et, d'autre part, doter la holding de moyens et d’organes justifiant d’un rôle prépondérant dans la prise de décision d’acquisition des titres mais aussi dans leur gestion. Toutefois, même si le fait d'allouer à la holding française de reprise de la «?substance?» contribue à démontrer son autonomie de fonctionnement et son pouvoir décisionnaire, il n'en demeure pas moins que certaines zones d'ombre subsistent.
… en l'absence d'éléments de preuve satisfaisants
Le projet d'instruction énonce que la preuve de l'existence d'un «?centre de gestion autonome?» peut être faite par tous moyens et mentionne ainsi à titre d'exemple que le pouvoir de décision sur les titres peut être établi par le caractère autonome de «?la décision d'acquisition des titres?» ou encore, que la limitation contractuelle des droits de l'actionnaire à disposer des titres caractérise l'absence d'autonomie de gestion tout en ajoutant «?la preuve peut tout de même être apportée par tout autre moyen?».
À la lecture de ces commentaires, de multiples interrogations apparaissent : comment apprécier l'existence d'un «?centre de gestion autonome?» lorsque les titres sont inscrits au bilan fiscal d'un établissement stable français et financés par endettement ? Comment mesurer le caractère autonome de
«?la décision d'acquisition des titres?» en présence d'un comité d'investissement à l'étranger et d'une équipe de front office en France ? Un pacte d'actionnaires permettant à un actionnaire minoritaire d'empêcher la holding de reprise de céder ses titres est-il de nature à entraîner la remise en cause du pouvoir de décision de ladite holding ? Si l'investisseur majoritaire étranger est un fonds sans personnalité morale, sa société de gestion française permettra-t-elle à la holding française de reprise de bénéficier de la déductibilité fiscale de ses intérêts d'emprunt ? Que de questions qui font du schéma de LBO un instrument passionnant pour l'avocat fiscaliste !
Soufflé par Monsieur le Député Carrez, l'article 40 de la quatrième loi de finances rectificative pour 2011, codifié sous l'article 209 IX du Code général des impôts, a institué un nouveau mécanisme de limitation de la déduction des charges financières lors de l’acquisition de titres de participation d’une société. Le 16?mars dernier, l'Administration fiscale a publié un projet d'instruction commentant ce nouveau dispositif.
Un dispositif qui renverse la charge de la preuve
Applicable aux sociétés et organismes soumis à l'impôt sur les sociétés, aux sociétés non soumises à l'impôt sur les sociétés à hauteur de leurs résultats calculés selon les normes BIC ainsi qu'aux établissements stables de sociétés étrangères, le dispositif vise les acquisitions de titres de participation au sens de l'article 219-I, a quinquies, al. 3 du Code général des impôts, c'est-à-dire ceux relevant du régime d'exonération des plus-values à long terme. Les acquisitions de titres de sociétés à prépondérance immobilière, cotées ou non cotées, ne sont donc pas visées. Comme le rappelle le projet d'instruction, la déductibilité des charges financières résultant de la dette d'acquisition est subordonnée au fait que la société cessionnaire constitue un «?centre de décision disposant, d'une part, d'une autonomie propre pour la gestion des titres acquis et, d'autre part, du contrôle ou de l'influence sur la société ainsi détenue?». Ce pouvoir de décision sur les titres et le contrôle ou l'influence sur la société détenue peuvent être exercés par la société cessionnaire mais aussi, soit par la société française contrôlant la société cessionnaire, soit par les sociétés françaises directement contrôlées par cette dernière. La notion de contrôle est par ailleurs retenue strictement puisque les situations de contrôle visées au II et III de l'article L 233-3 du Code de commerce (détention de plus de 40?% des droits de vote, situation de contrôle conjoint) ne sont pas prises en compte. La charge de la preuve de l'autonomie de gestion des titres et de la participation effective au processus de décision de la société acquise incombe à la société cessionnaire. Lorsqu'il ne peut être apporté la preuve que ces deux conditions sont cumulativement remplies, une quote-part forfaitaire des charges financières de la société cessionnaire, correspondant au rapport du prix d'acquisition des titres au montant moyen de sa dette au cours de l'exercice, doit être réintégrée. La réintégration s'opère sur une période de huit années suivant celle d'acquisition des titres, sauf si les titres sont entre-temps cédés. Cette réintégration s'applique prioritairement et donc préalablement aux autres dispositifs de réintégration des charges financières (dispositif de sous-capitalisation de l'article 212 et amendement «?Charasse » de l'article 223 B du Code général des impôts).
Trois cas de sauvegarde sont prévus pour éviter de remettre en cause la déductibilité fiscale des charges financières de la société cessionnaire : la valeur de la totalité des titres de participation détenus par la société cessionnaire est inférieure à 1 M€, ou l'acquisition des titres de participation n'est pas financée par un emprunt souscrit par la société cessionnaire ou une autre société du groupe, ou le ratio d'endettement de la société cessionnaire est inférieur au ratio d’endettement du groupe auquel elle appartient.
… susceptible de s'appliquer aux LBO français
S'écartant du but initialement poursuivi, les conditions de mise en œuvre de ce nouveau dispositif permettent de faire entrer dans son champ d'application un schéma de LBO franco-français réalisé par des investisseurs étrangers via la création d'une holding de reprise en France. En effet, pour échapper à ce nouveau dispositif, toute holding française de reprise, contrôlée par des investisseurs étrangers, doit être en mesure de prouver qu'elle dispose elle-même du pouvoir de décision sur les titres de la société cible française et d'un contrôle ou d'une influence sur cette société.
Dès lors et «?à titre préventif?», les investisseurs étrangers désireux d'acquérir une société française par le biais d’une holding emprunteuse située en France devraient d'une part prévoir que les documents préparatoires à l'acquisition (lettre d'intention, protocole d'acquisition…) soient signés par la holding française et non plus par eux et, d'autre part, doter la holding de moyens et d’organes justifiant d’un rôle prépondérant dans la prise de décision d’acquisition des titres mais aussi dans leur gestion. Toutefois, même si le fait d'allouer à la holding française de reprise de la «?substance?» contribue à démontrer son autonomie de fonctionnement et son pouvoir décisionnaire, il n'en demeure pas moins que certaines zones d'ombre subsistent.
… en l'absence d'éléments de preuve satisfaisants
Le projet d'instruction énonce que la preuve de l'existence d'un «?centre de gestion autonome?» peut être faite par tous moyens et mentionne ainsi à titre d'exemple que le pouvoir de décision sur les titres peut être établi par le caractère autonome de «?la décision d'acquisition des titres?» ou encore, que la limitation contractuelle des droits de l'actionnaire à disposer des titres caractérise l'absence d'autonomie de gestion tout en ajoutant «?la preuve peut tout de même être apportée par tout autre moyen?».
À la lecture de ces commentaires, de multiples interrogations apparaissent : comment apprécier l'existence d'un «?centre de gestion autonome?» lorsque les titres sont inscrits au bilan fiscal d'un établissement stable français et financés par endettement ? Comment mesurer le caractère autonome de
«?la décision d'acquisition des titres?» en présence d'un comité d'investissement à l'étranger et d'une équipe de front office en France ? Un pacte d'actionnaires permettant à un actionnaire minoritaire d'empêcher la holding de reprise de céder ses titres est-il de nature à entraîner la remise en cause du pouvoir de décision de ladite holding ? Si l'investisseur majoritaire étranger est un fonds sans personnalité morale, sa société de gestion française permettra-t-elle à la holding française de reprise de bénéficier de la déductibilité fiscale de ses intérêts d'emprunt ? Que de questions qui font du schéma de LBO un instrument passionnant pour l'avocat fiscaliste !