Pour Michèle Alliot-Marie, ancienne ministre d'État, députée européenne et présidente du mouvement gaulliste Le Chêne, « la décentralisation a été une source de dépenses supplémentaires ». 
Décideurs. Restructurer la France profondeur... Cela passe-t-il par une réforme de nos institutions ? La Ve République est-elle dépassée ?
Michèle Alliot-Marie. Michèle Alliot-Marie. Ce qui est dépassé, c’est surtout la façon de faire fonctionner la Ve République. Tous les équilibres de la Constitution de 1958, révisée depuis, sont détournés. C’est de là que viennent les problèmes. La Constitution est très équilibrée entre l’exécutif et le Parlement. C’est justement parce que ces équilibres ne sont plus respectés qu’il y a des difficultés. Son texte nous a permis d’affronter de nombreuses crises, qu’elles soient politiques ou économiques. Je pense que les institutions de la Ve République sont de bonnes institutions..

Décideurs. Quelle analyse faites-vous des propositions formulées par Jean-Luc Mélenchon en faveur d'une VIe République ?
M. A.-M. Ce n’est pas très sérieux. Cela fait des années que l’on en parle. Ces propositions viennent d’acteurs qui n’exercent pas concrètement le pouvoir, qui manquent totalement d’imagination et de sens des responsabilités. On voit bien que se sont des mots extrêmement généraux. Jean-Luc Mélenchon serait sans doute très gêné si on lui demandait de formuler des propositions concrètes. Lancer une constituante, pour quoi faire ? L’élection à la proportionnelle, j’y suis totalement opposée. La démocratie, c’est quand l’électeur connaît celui qu’il a élu et qu’il se trouve en mesure de le juger sur les engagements qu’il a pris. La démocratie, c’est aussi la possibilité pour l’électeur d’interpeller son élu le dimanche à la sortie de la messe ou du marché s’il est mécontent. Le système de la proportionnelle, c’est un système totalement technocratique dans lequel les gens sont élus s’ils sont en bonne relation avec les dirigeants de leur parti. Ensuite, ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent, comme ils ne sont pas connus de leurs électeurs et ne les connaissent pas. Rien ne les empêche de revenir sur les engagements qu’ils ont pris puis de se repositionner et d’être élu.

Décideurs. Que répondez-vous à ceux qui estiment que le fonctionnement de nos institutions est trop coûteux ?
M. A.-M. Je crois que les institutions françaises ne sont pas extrêmement onéreuses par rapport à d'autres. Il y aurait des simplifications à faire, évidemment. Dans le passé, on a eu tendance à créer des organismes qui auraient du être de la responsabilité des dirigeants. De la même façon, la décentralisation n'a jamais été une source d'économies. Sur le coût proprement dit des institutions « de base » comme le Parlement ou le gouvernement, les sommes sont dérisoires par rapport à d'autres dépenses qui peuvent être effectuées.

Décideurs. À l'heure où le Parlement examine le projet de loi de nouvelle organisation territoriale de la République (Notr), le constat de la Cour des Comptes qui estimait en 2009 que "la décentralisation engendre structurellement un coût supplémentaire" n'a-t-il pas été oublié ?
M. A.-M. Tout à fait. J’avais eu l’occasion de le dire il y a quelques années. La décentralisation a été une source de dépenses supplémentaires. Premièrement, celle-ci aurait dû entraîner la disparition d’un certain nombre de services de l’État central, dès lors que les collectivités décentralisées prenaient en charge la mission. La plupart du temps, cela n’a pas été le cas. La Fonction publique d’État a vu ses effectifs inchangés, alors que le nombre de fonctionnaires territoriaux titulaires a explosé. Deuxièmement, il y a eu des dépenses de communication, de représentation, de stratégie politique qui ont entraîné des doublons, notamment de compétences dans les investissements. C’est la raison pour laquelle, lorsque j’étais ministre de l’Intérieur, j’avais lancé une nouvelle restructuration dans laquelle les Régions et les départements auraient reçu des compé­tences encadrées, ce qui aurait évité la surenchère qu’il existe parfois entre les collectivités. J’estime que seules les communes doivent disposer de la clause de compétence générale.

Décideurs. Faut-il pour autant recentraliser l’État français ?
MAM. Non. Il serait toutefois bon de remettre à plat la décentralisation. Il est évident que le transfert de certaines compétences à l'échelle du terrain participe à la bonne gestion administrative. Il faut toutefois rechercher s'il n'y a pas eu d'erreurs dans le passé dans le transfert de certaines compétences à un mauvais niveau.

Décideurs. Êtes-vous favorable à la suppression des départements ?
M. A.-M. Non. Le département est un échelon auquel les Français tiennent. Je serais toutefois favorable à la constitution de très grandes régions qui pourraient procéder aux investissements nécessaires aux grandes infrastructures.

Décideurs. Que faudrait-il faire évoluer dans le fonctionnement des institutions centrales de l’État (gouvernement, Parlement, etc.) ?
M. A.-M. Si le Parlement jouait vraiment son rôle, les Français n'auraient pas ce sentiment de ne pas être représentés. Si les gouvernements et les ministres jouaient vraiment leur rôle, ils n'écouteraient pas leurs administrations et prendraient des mesures de bons sens, moins technocratiques. Si on utilisait davantage le référendum – plusieurs fois par an – sur des questions précises, les Français auraient moins le sentiment que la technocratie décide de leur avenir.

Décideurs. Le recours au référendum reste particulièrement complexe à mettre en œuvre...
M. A.-M. Oui et je suis favorable à une simplification et même une dépolitisation du référendum. Du fait de son usage trop limité, il a pris une dimension plébiscitaire pour celui qui en est à l'origine. Le référendum, c'est la participation des citoyens à la décision politique.

Décideurs. Quid du quinquennat ?
M. A.-M. J'ai fait la campagne pour le quinquennat en tant que présidente du RPR à l'époque. Mais je vous avoue que je le regrette un peu. Je pense que cela empêche le président de la République de jouer son rôle de source d'équilibre des institutions.

Propos recueillis par Mathieu Marcinkiewicz


Cet article fait partie du dossier Dix ans pour changer la France

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