Selon un sondage réalisé par la fondation Jean-Jaurès, seules 46 % des personnes interrogées considèrent le travail comme une source d’épanouissement. Plus de la moitié le perçoit comme une contrainte. Dans cette actualité RH marquée par les thématiques du "quiet quitting" ou de "grande démission", force est de constater la grande stabilité et l’investissement sans faille des équipes de direction des participations de fonds d’investissement.
Léonard Briot de La Crochais et Yvan Coquentin (Abaq) : "Quiet quitting", "grande démission", les LBO sont-ils une solution pour réengager les salariés ?
Le modèle du LBO peut-il faire figure de modèle pour les autres types de sociétés si celles-ci souhaitent retenir et/ou réengager leurs salariés ?
"L’amour dure trois ans"
Le temps du LBO, même s’il avoisine plus les quatre à six ans que trois ans, est finalement le vrai temps d’un poste. Cette constatation est générale : approcher un profil qui est dans le même poste depuis trois ans est le moment idéal pour lui proposer une opportunité professionnelle. Au-delà de ces trois années, il s’ennuie et mis à part un grand dynamisme de sa société, ou des chocs externes, la routine s’installe, le désengagement se fait progressif. Une société en LBO n’a pas ce problème, son temps est celui d’un projet dont la réalisation emporte potentiellement la fin du poste. Nous retrouvons ici l’avantage du statut de "porteur de projet" face à celui un peu désuet de "salarié". Cette constatation est particulièrement vraie pour les générations de managers les plus jeunes, souvent passées par des carrières en conseil ou en start-up. Leur rapide progression les a habitués à avoir une culture "projet". Le modèle du LBO serait donc un terreau permettant plus facilement l’épanouissement de ces fameuses générations XYZ+.
Le modèle du LBO serait donc un terreau permettant plus facilement l’épanouissement de ces fameuses générations XYZ+
"Retrouver du sens"
L’idée de partager un objectif clair autour de la création de valeur constitue une source d’inspiration pour les autres sociétés. Le dynamisme et la tension vers l’atteinte des résultats sur lesquels s’appuie la thèse d’investissement initiale, donnent un sens au quotidien des managers des participations. Ils sont beaucoup moins sujets au revirement de stratégies qui les contraignent à défaire ce qu’ils ont fait, à défendre ce que précédemment ils combattaient. Cette cohérence donne du sens, recentre l’entreprise sur ses fondamentaux en ne l’engageant pas dans des injonctions contradictoires. Cette contrainte interne du LBO, en théorie du moins, aligne l’ensemble de l’entreprise et crée un engagement collectif fort. La composante humaine devient en effet un des éléments clés de succès de la thèse d’investissement, et pour atteindre leurs objectifs, les managers de LBO doivent encore, plus que précédemment, accompagner les salariés et les fidéliser. Le partage plus ou moins grand de la valeur créée à l’issue du LBO y contribue.
"Participer aux fruits de la croissance"
Essence même de ce type d’opération, la participation des managers aux revenus générés par la création de valeur est nécessairement fidélisante. Évidente, elle est au coeur de nouvelles opérations et est clairement encouragée par des dispositifs prévus par la loi Pacte de 2018. Par un certain paradoxe, les LBO pourraient même réduire les inégalités sociales si l’ensemble de leurs salariés étaient les bénéficiaires de leur création de valeur. Ils seraient une version moderne d’une participation qui elle aussi semble perdre son sens aux yeux des salariés actuels. Soit, par exemple, un fonds d’investissement qui achète une entreprise qui n’a pas d’endettement 70 millions d’euros (VE), soit sept fois son résultat (10 millions d’euros). Le prix d’acquisition sera financé par fonds propres de la part du fonds d’investissement et par de la dette (effet de levier) avec par exemple un ratio de 50/50, soit 35 millions d’euros de fonds propres investis et 35 millions d’euros de dette. La revente intervient cinq ans après, la dette étant en principe remboursée pour partie (80 %, par exemple). Imaginons que le résultat est passé de 10 à 20 et que l’entreprise se vend désormais dix fois son résultat, compte tenu de sa progression. Le fonds touche 10 fois 20 (200) moins la dette résiduelle (20 % x 35), soit 193, moins la part due aux autres actionnaires, c’est-à-dire aux cadres.
Ces derniers réaliseront le même multiple que le fonds sur leur investissement et auront accès à une super plus-value au-delà d’un retour d’investissement réalisé par le fonds, souvent de deux fois les fonds propres investis (70 millions d’euros en l’espèce). Si le fonds réalise par exemple un multiple de 5 sur son investissement, un cadre qui a investi 200 000 euros touchera "pari passu" avec le fonds 200 k€ x 5, soit 1 million d’euros, plus une rétrocession supplémentaire de la part du fonds calculée par tranche de plus-value au-delà de la réalisation d’un multiple de 2 par exemple (de manière simplifiée encore). Ce qui vient s’additionner à sa rémunération annuelle.
Or, pendant ces cinq ans, la gestion du cash a pu limiter les augmentations de salaires et les salariés ne toucheront souvent rien lors de cette sortie au titre de la création de valeur à laquelle ils ont pourtant participé, sauf prime spécifique décidée par le management et l’actionnaire. Les dividendes du travail pourraient consister, pour aligner les efforts de tous, à réserver une partie de la plus-value (5%, 10% ?) à l’ensemble du personnel. Loin de nuire aux opérations de LBO, cela pourrait permettre leur développement en alignant toute l’entreprise.
Les fonds à impact montrent le chemin, avec 40% voire 50% des rémunérations variables liées aux performances extra-financières
"Transformer la RSE en effet de levier"
Cette vision très libérale peut être présentée par certains comme incompatible avec les aspirations écologiques et sociétales d’une large partie de la population et lier l’engagement des salariés à leur seule cupidité. C’est ignorer qu’aujourd’hui les LBO intègrent dans leur thèse d’investissement ces paramètres. Ces opérations orientent donc naturellement l’épargne vers des investissements vertueux. Les fonds à impact montrent le chemin avec 40%, voire 50% des rémunérations variables liées aux performances extrafinancières. Nul doute que nous assistions dans les années à venir à une évolution du même ordre sur les fonds plus traditionnels.
Évidemment, il existe une part d’idéalisme dans cette analyse des LBO, néanmoins au-delà des schémas simplificateurs, les LBO rappellent aux autres formes d’entreprise des évidences : pour rester engagé et motivé dans son poste, tout un chacun a besoin d’avoir la sensation de participer à un projet cohérent, lucratif et naturellement porteur de sens.
SUR LES AUTEURS : Léonard Briot de La Crochais est le créateur d’Abaq, acteur reconnu du recrutement au sein des ETI et des participations de fonds. Il a été rejoint par Yvan Coquentin et Emmanuel Keller pour développer une offre globale d’identification et sélection des managers à même d’accompagner les dirigeants et actionnaires pour "6 heures (expertise), 6 mois (projets et transition), 6 ans (recrutement)".