Santé : la consolidation des derniers bastions du secteur porte le marché du M&A
Alors que le ralentissement du volume et du montant des transactions M&A s’est accentué en 2023, certains secteurs continuent d’offrir de belles opportunités d’investissement. Dans un contexte où les valorisations ont été particulièrement affectées, notamment dans la tech, les ratios des entreprises du secteur de la santé résistent. D’après les dernières données PitchBook, le rapport entre les valeurs d’entreprises et leur rentabilité affiche un multiple de 12,5, en croissance par rapport à 2022. Une belle dynamique qui s’illustre aussi en comparaison d’autres activités, les multiples sont de 5 pour l’énergie et de 8,5 pour les activités BtoC.
Résilience
Une résilience stratégique pour le private equity. Les opérations d’acquisitions et de concentrations ont un historique solide. Il y a une dizaine d’années, les laboratoires de biologie avaient lancé le bal. Aujourd’hui les fondamentaux porteurs des mouvements de consolidation sont les mêmes : l’atomicité des enseignes, le vieillissement de la population (21,5 % de la population a plus de 65 ans en 2021 vs 19,7 % en 2018), la nécessité des soins, la valeur des prestations et les gains de productivité dus à l’innovation rendent le secteur propice à la consolidation. Les acteurs du capital- investissement l’ont compris et ont multiplié leurs prises de participation depuis quelques années. L’imagerie médicale et les soins vétérinaires en particulier ont été convoités par des opérateurs stratégiques et les investisseurs, convaincus par leur potentiel.
Des investissements attractifs pour les fonds de private equity car les radiologues bénéficient des valorisations les plus élevées parmi les réseaux de soins
Les fonds sous les rayons
En 2022, le groupe lyonnais d’imagerie médicale Imapôle a fait entrer à son capital le fonds Nov Santé, géré par Eurazeo et Bpifrance. Plus spectaculaire encore, l’entrée au capital d’Ardian en 2022, à l’origine du développement du plus grand réseau d’imagerie médicale en France, Simago, qui a récemment annoncé un partenariat avec 70 radiologues associés dans l’ouest de la France. Autre transaction emblématique en 2023, les groupes de radiologues CRP, Imacam et I-Seris se sont associés derrière l’enseigne Imaneo grâce à l’adossement du fonds Parquest. Des investissements attractifs pour les fonds de private equity car les radiologues bénéficient des valorisations les plus élevées parmi les réseaux de soins, de 14 à 16 fois l’Ebitda, contre 10 à 12x pour les soins dentaires et 11 à 14x pour la biologie médicale.
En France, le marché des soins vétérinaires pèserait plus de 4 milliards d’euros en 2022
La poule aux oeufs d'or
Dans la même veine, le secteur des soins vétérinaires a connu une transformation rapide. L’humanisation croissante des animaux de compagnie, le développement des technologies médicales adaptées à cette nouvelle patientèle et l’aspiration des nouveaux vétérinaires à des conditions de travail moins rudes que celles de leurs prédécesseurs rendent la branche propice à la consolidation. En France, le marché des soins vétérinaires pèserait plus de 4 milliards d’euros en 2022 d’après l’Insee et est en forte croissance. Les acteurs du capital investissement ne s’y trompent pas. En 2023, Ardian annonçait une prise de participation de 100 millions d’euros dans le groupement de cliniques vétérinaires Mon Véto, pour "accompagner son développement en France et en Europe". Sur le Vieux Continent, IVC Evidensia, soutenu par EQT et Silver Lake, est toujours valorisé à plus de 12 milliards d’euros. Entre 2022 et 2023, le français Sevetys, adossé à Ardian et Eurazeo – qui a récemment apporté 250 millions d’euros à son capital – a réalisé une centaine d’acquisitions. Le marché se consolide vite, parmi les autres noms de réseau, Argos, Univet ou encore Anicura, tous structurent un marché à coups d’opérations de M&A.
"la fenêtre est ouverte mais dans quelques années les opportunités deviendront plus rares" Aubert Simonnot, Clearwater
Saturation et réglementation à l'horizon
La bonne santé des investissements dans ces deux branches de soins ne serait pas éternelle. "Ce sont deux segments très atomisés des réseaux de soins qui n’étaient pas adressés, le marché a commencé avec les laboratoires et les services de soins dentaires, la fenêtre est ouverte mais dans quelques années les opportunités deviendront plus rares", explique Aubert Simonnot, Managing Director chez Clearwater. À ce jour, pour l’imagerie médicale environ 70 % des groupes composés de moins de 20 radiologues sont encore indépendants. Pour les cliniques vétérinaires, le marché estime que, d’ici à 2025, 50 % des enseignes seront rattachées à un réseau. Encore quelques années de prospérité, à moins que la réglementation ne ralentisse la consolidation. En juillet dernier, le Conseil d’État a validé la radiation de l’ordre des vétérinaires de quatre cliniques appartenant aux groupes AniCura, Evidensia et Mon Véto, estimant le nouvel actionnariat non conforme à la loi. Un durcissement de la réglementation auquel ont déjà fait face les investisseurs dans l’imagerie médicale, notamment en dissociant les droits de vote et les droits financiers au sein de l’actionnariat. La fin de financiarisation de la santé n’est pas pour demain.
Céline Toni