Le cabinet Ydès, fondé en 1945, se distingue par son ancrage local et international grâce à 4 bureaux en France et ses réseaux internationaux. La polyvalence et la complémentarité de ses équipes corporate font aussi sa force. L’occasion pour les associés Cécile Dessapt et Laurent Nogaret, de revenir sur l’actualité du marché M&A et nous livrer leur vision de l’avenir.
C. Dessapt (Ydès) : "Il y a un effet boule de neige sur l’adoption des critères RSE, venant notamment des grandes entreprises"
DÉCIDEURS. Quelles tendances avez-vous pu relever sur le marché M & A en 2023 ?
Cécile Dessapt. Malgré une rupture certaine de l’euphorie qui s’était emparée du marché depuis deux ans, nous avons tout de même eu une belle année avec de nombreux dossiers intéressants. Cependant les discussions sur les prix ont été plus tendues et certaines valorisations ont dû être renégociées en cours de transaction. La situation aujourd’hui est donc différente avec des acteurs qui font plus attention à leurs investissements, ce qui peut conduire à des comportements plus précautionneux.
Laurent Nogaret. Outre l’activité sur le large cap plus que ralentie, notre positionnement en smid-cap nous permet d’observer une même forme de ralentissement ou encore une plus grande sélectivité dans les choix d’investissement. Malgré les tensions sur les valorisations, nous avons pu constater une forte attractivité pour la dette privée unitranche.
C. D. Effectivement, les délais pour lever de la dette bancaire sont devenus très longs et les conditions sont de plus en plus restrictives, ce qui oblige à passer de comité en comité. Ces délais peuvent faire avorter les deals et nous obligent parfois à restructurer les investissements en cours de route si le financement bancaire ne joue pas le jeu.
Dans ce contexte, comment voyez-vous l’avenir du marché ?
L. N. Les mouvements économiques actuels nous font présager une hausse des procédures collectives. Cette tendance ne nous effraie pas. Au sein de notre département fusions & acquisitions composé de plus de dix associés, nous bénéficions d’une large palette d’expertise qui va, outre les deals M & A, du private equity au restructuring, pour des clients tant français qu’internationaux ce qui nous permet de les accompagner pendant toute la durée de leurs investissements, quelle que soit la situation.
"Outre les tensions sur les valorisations, nous avons toujours pu constater une forte attractivité pour la dette privée unitranche" L. Nogaret
Vous disiez avoir enregistré de nombreux deals cette année. Quels secteurs ont été les plus résilients selon vous ?
L. N. Plus qu’un secteur en particulier, c’est la préoccupation croissante des investisseurs à se positionner sur des projets à impact qui a attiré mon attention. Ces entreprises qui développent des solutions ayant un impact social, de gouvernance, ou environnemental positif, pour les- quelles la RSE n’est que le point de départ de leur stratégie.
C. D. Ces critères sont présents dans toutes les structures aujourd’hui, et les deals impliquant des sociétés à impact sont souvent moins importants en termes de valorisation mais bénéficient de financements diversifiés ce qui les rend extrêmement résilients. De notre côté, nous avons récemment été retenus par un fonds qui investit exclusivement sur des projets à impact.
Comment peut-on être persuadé que ces projets ne sont pas du greenwashing ?
L. N. La réglementation permet de nous en assurer. Un règlement européen a notamment été mis en place en juillet 2020. Il vise à instaurer un cadre pour favoriser les investissements durables en fournissant un référentiel commun et des standards d'évaluation. De nombreux acteurs se sont pliés à ces normes afin de faire progresser non seulement leurs investissements mais aussi les outils utilisés pour y parvenir. Cette dimension fait partie d’un mouvement général, entre autres porté par les fonds d’investissement qui ont structuré leur offre en ce sens, ce que l’on appelle les fonds dit articles 8 ou 9 (réglementation SFDR). La charte mise en place par France Invest apporte aussi un cadre intéressant. De notre côté, nous adaptons nos outils de due diligence afin d’intégrer ces critères dans des process d’acquisition pour nos clients. C’est également le cas en matière d’intéressement puisque les entreprises et les fonds mettent aussi en place, en complément des critères traditionnels, des indicateurs spécifiques dans la définition de la performance des équipes de management. Le but est de promouvoir une réussite économique qui ne serait pas uniquement financière mais aussi en lien avec la transition écologique.
"Aujourd’hui, l'information extra-financière devient une réalité pour les ETI et PME" C. Dessapt
C. D. Généralement, ce sont plutôt les fonds d’investissement qui mettent en place ces critères que doivent respecter les dirigeants pour déclencher leurs rétrocessions de plus-value. Cependant, dans la vie des affaires en général, il y a un effet boule de neige sur l’adoption des critères RSE venant notamment des grandes entreprises. Sauf exception, ce sont elles qui, volontairement ou non, ont été les premières à mettre en place des actions écologiques et sociales. Les plus petites entreprises n’ont pas d’autre choix que de s’adapter. Aujourd’hui, l'information extra-financière devient une réalité pour les ETI et PME. Leur adoption est certes plus lente, mais elles sont obligées d'en prendre conscience pour, par exemple, continuer à répondre à des appels d’offres de structures privées et publiques. Enfin, et c’est aussi indispensable dans le recrutement, les jeunes talents sont beaucoup plus sensibles aux thématiques écologiques et sociétales. Les entreprises n’ont, là encore, pas d’autres choix que de mettre en place des actions concrètes pour rester attractives.
Avez-vous été confrontés récemment à des cas de jurisprudence significatifs ?
L. N. Plusieurs décisions marquantes sont intervenues ces derniers mois qui ont fait évoluer notre analyse sur certaines pratiques. Si nous prenons l’une des plus récentes, à savoir un arrêt du Conseil d’État du 4 octobre 2023, on note une évolution intéressante concernant la structuration de la rémunération d’un dirigeant d’une entité via sa société personnelle. Là aussi, l’analyse de la décision et des conclusions de la rapporteuse publique font apparaître de nouvelles possibilités en clarifiant les critères permettant de fixer des principes de rémunération sans risquer une éventuelle requalification. En quoi est-ce intéressant ? Depuis une vingtaine d'années, nous avions une jurisprudence à la fois balbutiante et problématique sur cet aspect où l’on avait du mal à avoir une position claire du juge de l'impôt sur la manière dont on peut structurer la rémunération d'un dirigeant dans ce contexte. Cet arrêt récent ouvre une brèche en ce sens. Désormais, il nous revient de bien accompagner les clients sur cette thématique, ce que nous avons pu faire dès les jours qui ont suivi cet arrêt.
Propos recueillis par Tom Laufenburger